Soudan: « Ces camps abritaient 100 000 personnes et ils ont été réduits en cendres »

Des milliers de personnes ont fui le conflit au Soudan vers le Soudan du Sud.
communiqué de presse

Peu de temps après le début du conflit qui touche actuellement le Soudan, la ville d'El Geneina, capitale du Darfour-Occidental, a été le théâtre de violences généralisées. Avant de suspendre ses activités en raison de l'insécurité, MSF soutenait l'hôpital universitaire de la ville depuis 2021, notamment les soins pédiatriques. Fleur Pialloux, coordinatrice de projet MSF de retour du Soudan, fait le récit de ces quelques jours où tout a basculé.

Le samedi 15 avril, j'ai appris dès les premiers instants de la journée que des combats avaient lieu à Khartoum. Je n'étais pas tout à fait surprise, mon travail de coordinatrice de projet consiste notamment à suivre l'évolution du contexte politique et sécuritaire. On sentait qu'un conflit se préparait, sans savoir quand cela pourrait arriver. Je pensais consacrer les trois dernières semaines de ma mission à la rédaction de mon rapport d'activité.

Dans la mesure où nos équipes faisaient face à une épidémie de rougeole qui ne faiblissait pas, j'avais l'intention de plaider vigoureusement auprès des autorités la mise en place de campagnes de vaccination. Nous allions finaliser nos plans d'urgence afin d'être prêts pour la prochaine vague de malnutrition et de paludisme, liée aux changements de saisons, et travailler sur notre stratégie de soutien à deux nouveaux services de l'hôpital : la néonatologie et la maternité.

Faire face à l'insécurité

J'ai réuni l'équipe qui vit dans la maison du personnel MSF et je les ai informés de la situation. Nous avons mis en place un plan pour réduire les risques au cas où la situation dégénérerait à El Geneina. La première étape consistait à limiter, dans la mesure du possible, les déplacements du personnel MSF sur les routes ou dans la rue. Nous avons contacté nos collègues qui travaillent dans les bureaux MSF et leur avons demandé de rester chez eux le lendemain. Pour l'hôpital, nous avons demandé à ce que les soins essentiels soient couverts par le personnel habitant à proximité. Nous avons organisé le ravitaillement en nourriture, en eau et en produits de première nécessité pour la maison MSF. Nous ne l'avons pas quittée pendant 14 jours d'affilée.

La première semaine a été relativement calme au regard des violences qui se sont déroulées à Khartoum et dans les autres villes du Darfour comme El Fasher ou Nyala. Des confrères étrangers travaillant pour d'autres associations ont été évacués, mais de notre côté, nous espérions que la situation à El Geneina reste ainsi et que nous pourrions continuer à fournir des soins. Puis, le 20 avril, jour de l'Aïd, tous les patients et le personnel ont fui l'hôpital, craignant pour leur vie. La structure a été fermée, malgré les efforts de plusieurs membres du personnel administratif.

Des pillages généralisés

Le 24 avril, le conflit a frappé El Geneina. Des groupes armés ont commencé à cibler des endroits clés à l'intérieur de la ville. Les jours suivants, des combats ont éclaté dans la plupart des quartiers. Les pillages sont devenus la norme et le marché, l'hôpital, les pharmacies et même les voitures ont été attaqués. Des rumeurs et des discours de haine se sont répandus sur les réseaux sociaux. De nos fenêtres, nous avons vu la fumée des incendies qui ravageaient des sites de personnes déplacées. Ces camps abritaient 100 000 personnes et ils ont été réduits en cendres.

Dans toute la ville, les gens se sont retrouvés sans électricité ni eau pendant des jours. Les réseaux téléphoniques étaient en panne. Les banques étaient fermées et de nombreuses personnes n'avaient pas d'argent pour acheter les produits de première nécessité comme la nourriture, le carburant ou les médicaments. Des centaines de personnes ont été blessées ou tuées, mais pratiquement aucun établissement de santé n'a pu fonctionner.

Se protéger et évacuer

Nous avons passé plusieurs nuits dans la pièce sécurisée de notre maison, tandis que les combats avaient lieu dans la ville. J'ai passé ces deux semaines à travailler 15 heures par jour pour recouper les informations et les partager, pour évaluer les risques et préparer une possible évacuation vers le Tchad. Au moment où le dernier membre de notre équipe souhaitant quitter le pays a traversé la frontière vers le Tchad, et a retrouvé ses collègues MSF, j'ai ressenti un immense soulagement. Et tout de suite après, un immense stress, de la peur et de l'incertitude. Nous avions quitté le pays et laissé sur place nos confrères et nos patients soudanais. J'ai été envahie par une grande tristesse, celle de voir s'effondrer des mois d'efforts dans le soutien à l'hôpital universitaire d'El Geneina et de n'avoir pas pu mettre en place le plan d'extension d'activités que nous avions prévu.

Depuis, je suis rentrée chez moi. Je me sens désormais en sécurité et rassurée. L'association reste déterminée à fournir des soins de santé dans l'ouest du Darfour. Une équipe d'urgence spécialisée et une cargaison médicale ont déjà été organisées pour commencer à répondre aux immenses besoins médicaux de la région. Les prochains pics de paludisme et de malnutrition n'attendront pas la fin du conflit et l'épidémie mortelle de rougeole ne diminuera pas d'elle-même.

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