Le cancer du pancréas cause de nombreux décès chaque année dans les formations sanitaires du Burkina. Maladie évitable et guérissable, il demeure, malheureusement, un véritable problème de santé publique. Dans cette interview, Pr Ag Aboubacar Bambara, oncologue médical et chef de service oncologie hématologie clinique du Centre hospitalier universitaire de Bogodogo, nous parle des causes, des conséquences, du traitement et surtout de la stratégie pour éviter la maladie.
Sidwaya(S) : Qu'est-ce que le cancer du pancréas ?
Aboubacar Bambara (A.B.) : Le pancréas est une glande qui est située derrière l'estomac. Et, lorsqu'on constate une multiplication anarchique des cellules qui sont dans cette glande avec possibilité d'aller vers d'autres organes, par exemple le foie, des poumons ..., on appelle cela cancer. C'est donc la multiplication anarchique des cellules du pancréas qui échappe aux différents mécanismes de contrôle de notre organisme avec possibilité de donner des localisations secondaires ou métastases.
S : Quels en sont les facteurs de risque ?
A.B. : Les facteurs de risque du cancer du pancréas sont en première position le tabac. Lorsque vous avez une consommation exagérée de tabac, environ 20 paquets par année, vous avez beaucoup plus de chance de faire le cancer du pancréas. Secondairement, nous avons le surpoids, la consommation d'alcool frelaté avec une possibilité d'évoluer vers une pancréatite chronique qui, si rien n'est fait, va tendre vers le cancer du pancréas. Il y a aussi l'obésité et des patients diabétiques, surtout le diabète de type 2. Ce sont des situations favorisantes. Mais notons qu'il y a 5 à 10 % de facteurs héréditaires au niveau du cancer de pancréas. Souvent, aucun facteur de risque n'est retrouvé.
S : Selon Global cancer observatoire, en 2020, le Burkina Faso enregistrait 278 cas de cancer du pancréas avec 266 décès. En 2023, quelle est la situation ?
A.B. : La situation n'a pas changé. Nous sommes en train de confiner les statistiques pour 2023. Mais, si vous regardez, le ratio de nouveaux cas, cela donne à peu près 95 % des cas de décès. C'est énorme. Cela signifie que beaucoup de patients atteints du cancer de pancréas décèdent. L'étude que nous sommes en train de mener, nous avons constaté que dans ce service entre 2017 et 2022, nous avons eu près de 75 cas de cancer du pancréas. Environ, 15 cas par an, au niveau du service d'oncologie hématologie clinique du CHU de Bogodogo, c'est énorme. C'est la même proportion avec près de 98 % des malades atteints de ce cancer du pancréas qui meurent, c'est un problème de santé publique très grave.
S : Qu'est-ce qui explique ce taux de mortalité élevé ?
A.B. : La mortalité élevée du cancer du pancréas est due d'abord à l'organe qui est profond, donc non palpable. C'est un cancer de très mauvais pronostic avec un diagnostic le plus souvent tardif. Ce sont des malades qui arrivent à un stade avancé surtout avec des localisations secondaires ou métastases associées et cela devient un peu plus compliqué. Donc, le pronostic est réservé, ce qui fait qu'on remarque cette mortalité accrue pour ces patients atteints du cancer du pancréas au Burkina Faso et même partout dans le monde.
S : Peut-on guérir de cette maladie ?
A.B. : Oui et non. Oui, si vous venez à un stade précoce, où on n'a pas de localisation secondaire ou métastase, où il n'y a pas d'extension locorégionale, c'est-à-dire, un stade où le cancer est toujours localisé à l'organe et n'a pas de ganglions, c'est-à-dire des boules qu'on retrouve autour de cet organe. Il n'y a pas de localisation ,par exemple une extension au niveau du foie, des poumons, des os, du cerveau, en ce moment, vous avez toutes les chances de vous en sortir. Malheureusement, si vous arrivez à des stades avancés ou métastatiques, c'est un peu compliqué et vous êtes éligibles uniquement aux soins palliatifs.
S : Comment se fait le traitement ?
A.B. : Le traitement se fait à deux grands niveaux, notamment par la chirurgie. Le plus souvent, si vous arrivez à un stade qui est très local avec un bon pronostic sans altération de l'état général du patient, on se rend compte qu'on peut faire une proposition de chirurgie, une grande chirurgie d'ailleurs. Nous avons la chance qu'au Burkina Faso, nous avons des spécialistes d'organes qui sont très bien dans le cadre de la chirurgie du cancer du pancréas. Si malheureusement vous dépassez ce stade, et que vous avez déjà des localisations secondaires, où vous avez la taille du nodule du cancer qui est très énorme, il faut passer par une chimiothérapie première pour voir s'il y a une réduction de la taille. Donc, c'est essentiellement la chirurgie qui est le traitement, mais il y a aussi la chimiothérapie et quelques personnes qui nécessitent en fonction des protocoles, qu'on fasse une clôture (booste) avec la radiothérapie. Mais dans notre contexte, très peu de patients atteints du cancer du pancréas sont éligibles à la radiothérapie. Donc, on essaie de jongler entre la chirurgie et surtout la chimiothérapie pour la grande majorité de nos patients.
S : Le traitement est-il couteux ?
A.B. : C'est un traitement qui est très coûteux et qui est invalidant parce que c'est une grande chirurgie. Et, il faut des experts que nous avions ici au Burkina Faso avec une très grande satisfaction. Cela nécessite souvent l'hospitalisation en réanimation après cette grande chirurgie. Ensuite, il y a la chimiothérapie. Les médicaments anticancéreux coûtent cher et peuvent varier en fonction des protocoles de chimiothérapie à chaque séance de 150 000 F CFA à 200 000 F CFA toutes les deux semaines. C'est énorme pour nos populations. D'où l'intérêt de comprendre les signes de la maladie. Dans le cadre de la prévention de la maladie, il faut faire attention à son corps. Nous avions parlé de tabac, d'alcool, d'obésité..., il faut avoir une bonne hygiène de vie et de bonnes habitudes alimentaires. C'est très important. Aussi il faut être quelqu'un de regardant par rapport à son organisme. Lorsque vous constatez que vous maigrissez, vous avez des douleurs abdominales par exemple, il ne faut pas attendre pour aller consulter un agent de santé. L'idéal, tout Homme doit pouvoir faire le bilan de santé annuel parce que nous avons soit des voitures ou des mobylettes que nous donnons en révision régulièrement.
Nous devons penser, nous aussi à aller en révision, à consulter, faire des examens pour voir s'il n'y a pas de problèmes. Par exemple, si vous avez des yeux jaunes, qu'on appelle ictère ou des douleurs abdominales persistantes, il faut vite aller en consultation. Alors pour le cancer du pancréas, c'est un cancer qui fait très mal avec des douleurs abdominales qui sont vraiment rebelles au traitement contre la douleur habituelle, ce qui signifie que ce ne sont pas des signes cliniques de début, mais des signes cliniques avancés. Lorsque vous avez des yeux qui sont jaunes, c'est sûr que vous avez des complications qui sont présentes.
Cela peut être une atteinte du foie qui donne l'ictère. Déjà le cancer du pancréas est très difficile à gérer, avec un pronostic vraiment réservé quand c'est un stade avancé, et si vous trainez encore, cela devient plus difficile. D'où l'importance de jouer sur la prévention. Notre mode de vie et nos habitudes alimentaires sont très importants et faire attention à son corps. Dès qu'il y a des symptomatologies, il faut aller consulter.
S : Le traitement peut durer combien de temps ?
A.B. : Le traitement dépend du stade. Si vous venez à un stade qui est au début, alors vous avez au bout de six mois un traitement qui est fini avec tout le bilan nécessaire et vous allez entrer dans un programme de surveillance post- traitement pendant cinq ans. Mais si vous venez à un stade qui est avancé ou métastatique, vous allez être obligé d'avoir une chimiothérapie prolongée. L'objectif en ce moment est de vous permettre d'avoir une meilleure qualité de vie et de prolonger votre survie. En fonction de votre état, le traitement peut être plus long. D'où l'appel à faire attention à son organisme et de venir se faire consulter à temps, ce qui va nous permettre de découvrir des stades précoces.
S : Le centre de radiothérapie est de nouveau fonctionnel. Que peut être son apport dans le traitement de la maladie ?
A.B. : Certains patients atteints du cancer du pancréas sont éligibles en termes de clôture du traitement par la radiothérapie. Cela veut dire que la reprise donc de la radiothérapie au Burkina est vraiment une bouffée d'oxygène pour nous les praticiens, les oncologues.
C'était le maillon manquant depuis la panne que nous avons connue. C'est important qu'il n'y ait plus de panne. Nous pensons que les autorités ont pris les mesures nécessaires parce qu'il apporte beaucoup dans le traitement des cancers. La radiothérapie de manière générale intervient dans deux tiers des cas dans le traitement des cancers. C'est un moyen de traitement indispensable. C'est une arme qui est très importante comme tous les autres types de traitement. C'est une joie pour nous de constater la réouverture de ce service qui fait désormais partie du CHU de Bogodogo.
S : Quels conseils avez-vous à donner à toute la population pour éviter la maladie ?
A.B. : Nous devons faire beaucoup attention à notre corps. Il faut s'aimer. Il faut revoir d'abord, nos habitudes et notre façon de vivre. Vous consommez exagérément beaucoup d'alcool, de tabac, cela va vous créer beaucoup de maladies.
Vous aimez tout ce qui est gras, la viande rouge, les graisses animales (viande de porc avec exagération), cela va vous créer beaucoup de maladies. Ce sont des pathologies qui sont le plus souvent, quand elles sont diagnostiquées tardivement, c'est compliqué de vous en sortir. Cela va aussi créer de l'absentéisme au niveau du travail et des problèmes financiers, psychologiques qui s'ajoutent.
D'où l'importance de consulter à temps pour éviter qu'on soit dans des situations difficiles. Pour ce qui est du cancer du pancréas, il a un très mauvais pronostic depuis longtemps. Près de 98 % de décès dans nos contextes sont liés au stade avancé ou métastatique. C'est important de se faire consulter, de faire le bilan annuel et de s'approcher des personnels de santé qui peuvent vous dire quel est le bilan minimum annuel. Par exemple, les diabétiques de type 2, surtout sont exposés au cancer du pancréas. Ils doivent faire attention, faire des bilans pour qu'au cas où on découvre le cancer du pancréas, que cela soit à un stade précoce. Nous vous remercions.