Les raisons de la transformation de la brève fédération camerounaise en Etat unitaire apparaissaient déjà dans le Décret n° 75/DF/139 du 09 mai 1972 portant publication d'un projet de Constitution et décidant de le soumettre au référendum du 20 mai 1972 :
« Approuvez-vous, dans le but de consolider l'unité nationale et d'accélérer le développement économique, social et culturel de la nation, le projet de constitution soumis au peuple camerounais par le Président de la République fédérale du Cameroun et instituant une République, une et indivisible, sous la dénomination de République Unie du Cameroun ? »
Une écrasante majorité des camerounais, 98,10%, avait répondu favorablement à cette question. La réalisation de l'unité nationale était, ainsi, parachevée. Nous fêtons le 20 mai prochain, la 51e édition de l'histoire de l'apothéose de cette unité nationale.
La recherche de l'unité n'est pas un phénomène seulement ahidjoiste, biyaiste ou contemporain. Dès l'antiquité, cette idée fonde et donne du sens à l'action politique. Dans La politique d'Aristote, il souligne que Socrate assigne à la cité l'unité comme fin essentielle. « L'unité la plus parfaite possible constitue le bien suprême ». Platon considère également l'unité comme fondement de sa République. « La cité, écrit-il, se développe en restant une et non multiple ».
Même Machiavel n'échappe pas à la recherche de l'unité lorsqu'il écrit Le Prince. C'est bel et bien l'unification de l'Italie qu'il cherche à obtenir. Dans le domaine religieux, dès lors que l'on affirme l'existence d'un Dieu unique, l'idée d'unité est toujours présente. L'unité humaine semble donc être le reflet de l'unité divine et est d'ailleurs aperçue comme un tout, moralement cohérent et organiquement institutionnalisable.
Il paraît ainsi fondamental de créer la communauté politique sur la recherche du bien commun. Son Excellence Paul Biya, à travers ses multiples discours à la nation camerounaise depuis 1982, s'inscrit dans cette tradition de la théorie et de la pratique politique de l'unité. L'unité de la République telle qu'elle ressort de l'article 1er alinéa 2 de la Constitution du 18 janvier 1996, implique aussi l'unité de la nation camerounaise.
Cette Constitution n'envisage qu'une seule nation camerounaise, c'est-à-dire en réalité, un unique sujet collectif dépositaire historique de la souveraineté. D'autre part, l'unité de la nation est indissoluble et en tant que reflet de la patrie commune, indivisible.
C'est cette nation qui légitime l'existence et l'exercice du pouvoir et qui constitue notre premier cercle d'identification. Elle est tout à la fois, un principe spirituel, une âme collective comme disait encore Ernest Renan à propos de la nation française au cours d'une conférence prononcée en Sorbonne le 11 mars 1882. L'existence d'une telle nation est un plébiscite de tous les jours. La notion et son incarnation dans la République forment le modèle politique sur lequel se fonde l'histoire constitutionnelle du Cameroun depuis le 1er janvier 1960.
L'indépendance est nationale, la souveraineté est nationale, l'assemblée est nationale etc. Dès l'article 1er alinéas 5 et 6 de la Constitution du 18 janvier 1996, le constituant a même prévu un drapeau national et un hymne national.
L'unité nationale doit être présentée non comme une unité linguistique ou religieuse, mais comme l'oeuvre de l'intelligence et de la volonté des camerounais. Il s'agit d'une quête permanente. En tout cas, comme le laissent entendre les historiens et les géographes qui ont étudié le Cameroun, les populations de notre pays se divisent en deux grands groupes : les Bantous et les
Semi-Bantous au Sud, les Soudanais et les Foulbés au Nord. Cet univers de la diversité est à l'origine de certaines demandes socio-politiques qui ont abouti à l'adoption dans la Constitution du 18 janvier 1996, de la forme de l'Etat unitaire décentralisé.
La loi n° 2019/024 du 24 décembre 2019 portant Code Générai des Collectivités Territoriales Décentralisées s'inscrit dans cette logique. La décentralisation protège, en effet, la République. Si la définition des droits et des dispositifs sociaux qui doivent être identiques sur l'ensemble du territoire national, est indiscutablement l'affaire de l'Etat, la construction des liens et des repères sociaux est d'abord l'affaire du local. Elle représente un atout pour le vivre-ensemble. Toutefois, le principe d'indivisibilité de la République marque les frontières de l'autonomie locale desdites Collectivités Territoriales Décentralisées.
Toutes ces précisions apportées, nous parlerons du contenu matériel de l'unité nationale qui ne peut se comprendre qu'à travers notre patrimoine culturel commun (I) et notre citoyenneté camerounaise (II).
I- UN PATRIMOINE CULTUREL COMMUN
La culture germe du vécu des camerounais et est appelée à résister à l'épreuve du temps. La culture camerounaise est si riche et si variée. Elle va de la manière d'être à la manière d'agir en passant par la façon de vivre, de penser, de se nourrir, de se vêtir, de parler etc. qui diffèrent d'une tribu à l'autre. Or il existe autant de tribus que de cultures dans notre pays. Le propre de la culture est de dire l'homme dans les limites d'un village, d'un arrondissement, d'un département ou même d'une région.
L'univers de la culture devient dès lors l'univers de la diversité. Et comme l'a écrit feu le Professeur Marcien Towa, il s'agit de la « diversité naturellement des intérêts matériels, diversité aussi des goûts, cela va sans dire diversité des croyances, des opinions, c'est tout à fait évident, diversité des niveaux de vie, des niveaux de savoir, de savoir-faire, diversité des habitudes, des moeurs etc. ». Malgré cette diversité, on parle d'identité culturelle camerounaise.
Il est complètement absurde de prétendre que le Cameroun, de par sa diversité ethnique, de par son histoire et sa géographie, n'ait pas d'identité culturelle. Cette identité culturelle est une réalité et repose sur cette histoire et cette géographie particulières. Elle repose sur cette diversité ethnique, linguistique, économique et même artistique. Feu François Sengah Kuo va l'exprimer autrement : « notre configuration sociologique milite pour une identité culturelle éclectique ».
Certaines valeurs culinaires ont émergé et sont devenues le patrimoine des camerounais. Il s'agit ici du mbongôô tjobi, du ndole, de l'atchu, du mendim'é zong. Certaines valeurs artistiques ont également émergé et sont devenues le patrimoine culturel des camerounais. Il s'agit du makossa, du samelin, du bikutsi, du mangambû, de l'assiko. Dans l'ensemble, nous ne nous posons plus aucune question sur leur origine tribale ou ethnique. Parce que ces valeurs n'ont plus ni tribu, ni ethnie.
La plus grande richesse du Cameroun réside incontestablement dans sa diversité culturelle et dans le dialogue de cette diversité. Dès lors, on peut se demander à quoi servirait de bâtir un Cameroun unifié, fier et fort si c'est pour diluer voire même perdre ces spécificités respectives dans l'aventure. La culture est l'âme d'un peuple, centenaire sinon millénaire, et des échanges avec d'autres ne suffisent pas pour l'altérer. Au contraire, l'identité culturelle a tendance à se renforcer au contact d'autres cultures. Et pour paraphraser Jean Jaurès, « Un peu d'internationalisme éloigne de la nation, beaucoup d'internationalisme y ramène ».
Notre patrimoine culturel commun se matérialise aussi à travers nos deux langues officielles d'égale valeur que sont le français et l'anglais. Et, découlant de son souci de construction d'une nation unie, inclusive et bilingue, option de tout un peuple qui constitue une expérience unique en Afrique, le Président de la République, Son Excellence Paul Biya, va créer par Décret, le 23 janvier 2017, la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme.
Cette commission, dont les missions apparaissent clairement dans son appellation, oeuvre dans l'optique de maintenir la paix, de consolider l'unité nationale du pays et de renforcer la volonté et la pratique quotidienne du vivre-ensemble des populations. La langue, qu'elle soit orale ou écrite, est le lien social par excellence. Et c'est ici que nous invitons chaque camerounais à maîtriser d'abord sa langue maternelle pour mieux se pénétrer de sa culture ethnique afin d'en extraire les universaux culturels.
Lesquels universaux culturels sont destinés à ses autres compatriotes par volonté d'échange et de complémentarité. C'est à partir de ce niveau que le français et l'anglais, nos deux langues officielles, peuvent être sollicitées, pour permettre à ces universaux culturels d'être universellement connus. On aura ainsi non seulement dépassé le tribalisme, mais on l'aura fortement paralysé. Notre intégration culturelle passe par notre intégration linguistique. Les deux sont indissociables.
II- UNE CITOYENNETE CAMEROUNAISE
C'est Cicéron qui, à Rome, établit le lien entre la chose publique (respublica) et cette nouvelle figure de l'individu que les Révolutions du XVIllème siècle nommeront citoyen. La naissance de la République moderne s'accompagne de celle du citoyen. La citoyenneté est cette capacité reconnue aux camerounais de jouir des droits et libertés fondamentaux, des droits sociaux garantis par la Constitution. Elle permet aussi aux camerounais de participer aux affaires publiques directement ou par l'intermédiaire des représentants élus. La citoyenneté donne enfin aux camerounais le devoir d'accéder aux charges
publiques. La citoyenneté vise ainsi une dialectique de l'homme et de la cité, de la liberté et de la responsabilité. Dans cet ordre d'idées, l'individualisme est le prisme par lequel le citoyen s'accomplit pour mieux assurer le service de la chose publique. Être citoyen, c'est avoir conscience d'être un être de liberté, mais en même temps la vigile de l'intérêt général. Or, il n'y a pas d'intérêt général sans la conscience assumée d'une collectivité de destin.
Autour de l'Etat se tisse ce qui nous rassemble, notre projet commun, la République. Cette République est synonyme de notre libération collective. Libération des superstitions, des religions et des politiques qui asservissent. Le Cameroun a ainsi hérité du sens constitutionnel de la République qui ne peut cependant être coupé de ses bases doctrinales européennes et américaines qui posent le principe de la liberté ou de la souveraineté du peuple.
L'article 2 alinéa 1 de la Constitution est clair : « La souveraineté nationale appartient au Peuple Camerounais qui l'exerce soit par l'intermédiaire du Président de la République et des membres du Parlement, soit par voie de référendum. Aucune fraction du Peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice ».
Le peuple souverain considéré comme source de tout pouvoir au sein de l'Etat, est appelé à se gouverner lui-même par le biais d'élections périodiques. Pour mieux exprimer sa citoyenneté, l'engagement politique compte énormément. Il est toujours bien de s'intéresser à la chose publique et de s'informer quotidiennement des problèmes auxquels notre société est confrontée.
L'engagement politique n'a rien de honteux, au contraire, il constitue même la plus haute forme de civisme. Aussi, adhérer à une formation politique n'est pas forcément synonyme de corruption ou de compromission. Et si la politique n'est pas toujours ce qu'on voudrait qu'elle soit, ce n'est pas en restant au balcon de son appartement qu'on la fera changer.
La citoyenneté s'étend au droit de vote qui est l'expression même de la souveraineté. Le droit de vote est un moyen nécessaire pour faire progresser l'idéal unitaire. Même s'il est facultatif au Cameroun, il n'en demeure pas moins important. Le pouvoir de construire l'unité nationale est l'affaire de tous les camerounais et il importe d'élire à tous les échelons du pouvoir local ou national, des femmes et des hommes convaincus de cet idéal et de l'urgence à renforcer son évolution.
Le rôle des citoyens dans la construction du Cameroun est essentiel, voire décisif. Ils en sont les premiers bénéficiaires et doivent en être les premiers artisans. Mon pays ! Qu'il ait tort ou raison, c'est mon pays. En ce sens, la citoyenneté est synonyme de patriotisme et permet une certaine transfiguration. Elle est un état de l'individu en République. En accord avec cet état, le constituant de 1996 l'a autrement exprimé dans le préambule de la Constitution :
« La liberté et la sécurité sont garanties à chaque individu dans le respect des droits d'autrui et de l'intérêt supérieur de l'Etat ». Cette dynamique citoyenne ne peut se faire que dans fa démocratie qui s'exerce de plus en plus aujourd'hui chez nous en regroupant les intérêts similaires d'un maximum de citoyens afin de démultiplier leur poids politique respectif et de parvenir, en
conjuguant leurs forces, à exercer sur les autorités publiques, des pressions qui sont alors bien plus efficaces.
En guise de conclusion, les problèmes culturels de survie et d'accomplissement de la communauté nationale doivent passer au premier plan de nos préoccupations. Ce qui est important, c'est la valeur d'une culture. En tant que valeur, le culturel s'affirme. Et c'est par ce biais que le peuple camerounais s'affirme à ses propres yeux et au monde.
Dans ce sens, la République doit être la fusion de toutes les volontés, de tous les talents, de tous les arts pour réaliser l'alchimie de l'accomplissement concomitant du citoyen et de la République. À la fin de ce voyage, un seul défi reste à relever au chercheur et à nous-mêmes : l'amélioration des conditions de vie de nos populations, seul gage de l'unité nationale.