Afrique: Annie Mutamba et Eniola Harrison - « AfricaCommsWeek est la preuve de ce que l'Afrique peut accomplir quand on fait fi des frontières »

interview

Du 22 au 26 mai se tiendra la septième édition d'Africa communications week (ACW), à travers différents pays africains, sur le thème « Borderless Africa » (Afrique sans frontières). Annie Mutamba de la République démocratique du Congo (RDC) et Eniola Harrison du Nigeria, co-fondatrices de cet événement panafricain, reviennent sur ses objectifs ainsi que sur les innovations et les enjeux liés à cette semaine qui réunit les professionnels de la communication. Entretien.

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Vous organisez, cette année, la septième édition d'ACW. Pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste cette semaine ?

Annie Mutamba (A.M.) : La Semaine africaine de la communication (AfricaCommsWeek) est un moment de réflexion sur le rôle de la communication dans la transformation économique de l'Afrique. Depuis 2017, nous proposons ce rendez-vous annuel à tous les professionnels de la communication d'Afrique ou d'ailleurs avec une expertise et un intérêt pour le continent.

Il se tient en marge de la Journée de l'Afrique (25 mai) et simultanément dans des dizaines de pays à travers le monde. Au-delà d'une série d'événements, notre objectif a toujours été de créer des ponts entre les professionnels du secteur et de mettre en lumière leur rôle crucial dans le développement des économies africaines.

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LCK : Qu'est-ce qui vous a motivées à lancer cet évènement ?

A.M. : AfricaCommsWeek est née d'une frustration. Je me souviens d'une discussion, en 2016, avec ma future co-fondatrice, Eniola Harrison, où nous faisions le triste constat de la réputation de nos pays respectifs: le Nigeria et la RDC. Deux magnifiques géants africains, englués dans une réputation désastreuse et une image incomplète à l'extérieur de leurs frontières.

Certes, au vu des nombreux défis que ces pays et leurs voisins ont à relever, la maîtrise de leur réputation n'est pas vue comme une urgence absolue. Nous entendons et respectons totalement cet argument. Cependant, une réputation mal gérée a des répercussions colossales sur la performance et la résilience de leurs économies et induit une incapacité à susciter la confiance des investisseurs, créer des emplois durables, transformer leur agriculture, développer leur éducation et garantir des soins de santé aux 95 millions de Congolais et aux 213 millions de Nigérians. Est-ce vraiment négligeable?

À cette époque, la crise Ebola et ses conséquences économiques sur l'ensemble du continent nous a ouvert les yeux. Il devenait urgent de faire l'évaluation critique du rôle de la communication et de prendre des mesures plus spécifiques pour façonner les récits sur l'Afrique, vu leur impact indéniable. AfricaCommsWeek a donc vu le jour, initialement pour répondre à une question: quel est le rôle de la communication dans tout cela? Et où sont les experts?

L.C.K. : Quelles sont les activités prévues au cours de cette édition ?

A.M. : Une trentaine d'événements est prévue dans divers pays et chaque activité est absolument essentielle au renforcement du réseau, qu'elle se déroule en présentiel, en ligne ou en format hybride.

Par ailleurs, après Kigali l'année dernière, notre événement phare aura lieu cette année à Johannesburg, orchestré par le ministère de la communication qui a fait siens les principes d'AfricaCommsWeek. Depuis deux ans, le gouvernement sud-africain organise une semaine complète d'activités mobilisant des décideurs de haut niveau, des experts et des leaders du secteur.

LCK : Pourquoi le choix du thème « Afrique sans frontières » (Borderless Africa) cette année ?

A.M. : AfricaCommsWeek est la preuve de ce que l'Afrique peut accomplir quand on fait fi des frontières. C'est une plateforme inclusive, multiculturelle et multilingue, qui se déploie à l'international bien au-delà de l'axe Nord-Sud, avec des connections en Asie et en Amérique latine.

Elle démontre également que la véritable force du secteur de la communication réside dans ces collaborations au niveau transnational, régional, continental et global. Ce thème est à la fois une célébration des nombreux partenariats qui ont émergé depuis la création de notre plateforme et une promesse pour l'avenir.

L.C.K. : Quel bilan faites-vous depuis la création d'ACW ?

Eniola Harrison (E.H.) : Il y a six ans, nous avons lancé AfricaCommsWeek en invitant les communicants travaillant en Afrique et autour de l'Afrique à réfléchir au rôle de la communication comme levier stratégique de la transformation économique du continent. Nous avions le sentiment que trop de professionnels oeuvraient en vase clos, totalement déconnectés les uns des autres, en essayant de changer les récits sur le continent. Pour cela, il nous a fallu créer des synergies.

Après six éditions de l'AfricaCommsWeek, nous sommes ravis de constater un tel changement et une telle poussée en faveur de récits et d'histoires plus équilibrés sur le continent, et les communicateurs mènent la charge ! Le changement de narratif est fermement inscrit à l'agenda global et le pouvoir de la communication dans #L'AfriqueQueNousVoulons n'a jamais été aussi clair.

Notre plateforme permet des interactions et des échanges qui n'existaient pas avant, et qui portent leurs fruits par-delà les frontières géographiques, linguistiques et culturelles. C'est notre plus grande satisfaction.

L.C.K. : Quelles sont les innovations apportées depuis la première édition ?

E.H. : Au fil des ans, nous avons réuni plus d'un millier de professionnels de la communication lors d'événements organisés dans quarante pays à travers le monde. Nous avions opté pour des événements virtuels bien avant que cela ne devienne la norme, car nous cherchions un moyen de réunir les personnes ne pouvant pas voyager.

La véritable innovation est venue de la croissance organique du réseau. Pour nous, l'évidence s'est imposée dès la première édition: ce qui était censé être un événement annuel est devenu un formidable réseau florissant de professionnels de la communication qui s'engagent activement, partagent leurs connaissances et font des affaires les uns avec les autres. Les partenariats sont au coeur d'AfricaCommsWeek et nous sommes fiers de travailler avec des acteurs de changement, tant au niveau national qu'international.

À titre d'exemple, nous collaborons avec le réseau DevCom de l'OCDE, avec lequel nous organisons régulièrement des activités pour connecter nos deux écosystèmes. Nous avons aussi construit des partenariats avec diverses institutions académiques. En 2020, notre collaboration avec l'Organisation mondiale de la santé au début de la pandémie a permis de développer en un temps record des outils de communication dans plusieurs langues africaines. En 2022, nous avons collaboré avec Clipse au lancement du premier guide africain des agences de communication.

Et, bien sûr, notre équipe s'est agrandie. Après la première édition de 2017, notre binôme a été rejoint par Jessica Ilunga (RDC), Maryse Sam (Côte d'Ivoire) et Emmanuella (Nigeria), sans lesquelles tout ceci serait tout simplement ingérable.

L.C.K. : Quels sont les enjeux et les challenges du secteur de la communication en Afrique, en général, et en RDC, en particulier ?

A.M. : Ces dernières années, l'impératif de communiquer s'est propagé à travers le continent. Quand elle est bien pensée et exécutée, la communication démontre sa pertinence en tant que domaine stratégique participant, de manière significative, à la transformation économique du continent africain. C'est un effort collectif que notre secteur se doit de mener.

L'Afrique dispose de communicants d'élite (nous le voyons tous les jours!) mais ces pépites ne sont sans doute pas assez nombreuses, et certaines ne sont pas reconnues à leur juste valeur, pour affronter les défis de demain. L'enjeu réside à la fois dans la formation (de base et continue) des spécialistes en communication, et leur accès à des postes stratégiques leur permettant de contribuer réellement à la transformation de nos économies.

Quant à la RDC, elle a fait un pas en avant. Elle pose désormais des balises pour gérer sa réputation, actif stratégique de l'Etat. Le dispositif est fragile mais a le mérite d'exister. Il démontre surtout que le changement de narratif ne se décrète pas. Il faut y mettre des moyens colossaux. Pour paraphraser feu Pius Adesanmi (Carleton University) : consacrez-vous autant d'énergie, d'intention et d'efforts à changer votre narratif que ceux qui ont intérêt à ce qu'il ne change pas?

Le positionnement de la RDC sur la question climatique est, à cet égard, un exemple intéressant. Quels sont ses axes de communication stratégique et comment a-t-elle capitalisé sur la "COP africaine"? Au-delà du slogan, quels voies et moyens pour incarner le "pays-solution" et les retombées pour sa population?

Intelligence économique, veille, diplomatie publique, autant de concepts à inscrire dans la stratégie de développement des décideurs de ce pays en pleine mutation. Et il est nécessaire que ce travail réputationnel s'appuie également sur une interaction mûre et réfléchie avec les acteurs du secteur privé. Eléments-clés de la diplomatie publique de la RDC, les entrepreneurs congolais ont déjà démontré leur capacité à dégager des espaces de dialogue et de visibilité souvent inabordables par l'action publique classique.

L.C.K. : Quelle analyse faites-vous de la communication des pays africains, en général, et de la RDC, en particulier, lors de la crise du covid-19, par exemple ?

A.M. : La pandémie a révélé l'importance de la communication sous divers aspects. Au-delà de la communication de crise, elle a également souligné l'urgence d'ériger en priorité la collecte, le traitement et la maîtrise de l'information stratégique liée à l'économie nationale afin de mieux gérer sa réputation, gagner en influence et piloter efficacement sa communication.

L'enjeu ici consistait à passer intelligemment d'une approche réactive (réagir, répondre, contrer les stéréotypes, la désinformation, les fake news) à une stratégie de communication offensive: éclairer l'agenda du pays, démontrer les faits, souligner les réalités économiques, politiques, culturelles, scientifiques...

Pour certains Etats africains, cette démarche plus assertive s'est traduite par un positionnement clarifié à l'international, notamment auprès des instances multilatérales. Je suis basée à Bruxelles, où mon travail de consultante en affaires publiques consiste essentiellement à interagir avec les institutions européennes et internationales. C'est un incroyable poste d'observation pour analyser les stratégies de communication et d'influence des États africains vis-à-vis de leurs homologues internationaux.

Certains Etats ont fait d'énormes efforts en matière de communication scientifique, par exemple. D'autres ont vu dans cette crise l'occasion de renforcer leurs systèmes de veille économique. Pour d'autres encore, la communication de crise a constitué le socle de l'action collective face aux conséquences de la pandémie. Et il est clair que les inégalités d'accès aux vaccins ont mené certains pays à muscler leur communication institutionnelle.

Si les résultats varient, il est indéniable que la communication stratégique des États africains a connu un avant et un après covid.

L.C.K. : Quels progrès/résultats espérez-vous pour ACW dans les années à venir?

A.M.: L'un des principaux objectifs de la Semaine africaine de la communication est de sensibiliser à l'importance d'une communication efficace pour stimuler la croissance et le développement en Afrique. Nous souhaitons nous engager davantage auprès des gouvernements et des décideurs politiques, car ils jouent un rôle essentiel dans cette mission. Il reste encore beaucoup à faire.

Nous voulons également continuer de jouer notre rôle de facilitateur, créateur d'opportunités pour les communicants. Encourager une plus grande collaboration et des partenariats entre les professionnels de la communication, les médias et les autres parties prenantes, non seulement sur le continent, mais aussi au-delà. Nous allons pousser les limites du réseau actuel et approfondir les relations avec d'autres régions comme l'Asie et l'Amérique latine.

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