Ile Maurice: Le TOC du PM

Dans le Sud, les habitants de Tyack ne comprennent pas pourquoi le député Kavi Doolub s'intéresse davantage aux comprimés ou aux stimulants de Navin Ramgoolam (ce qui relève du voyeurisme ou de la vie privée), et non pas à leurs problèmes quotidiens, dont celui persistant des drains bouchés qui transforment bien des rues en rivières.

Mais, en fait, Doolub n'est qu'un jouet entre les mains du pouvoir, tout comme les députés Vikash Nuckcheddy ou Subhasnee Luchmun Roy, entre autres, qui chauffent les bancs de la majorité en fantasmant sur un maroquin ministériel, quitte à prendre le plus facile, soit celui, bien reluisant, d'Avinash Teeluck, ou encore un des deux fauteuils de Maneesh Gobin, écartelé qu'il est entre les deux.

La question de Doolub, sans doute plantée, était loin d'être innocente, mais les détails croustillants fournis lors de la PMQT, frisant la pornographie, relèvent d'un voyeurisme pathologique, peut-être un trouble obsessionnel-compulsif (TOC), dont Pravind Jugnauth n'est qu'une pauvre victime. Pour comprendre son obsession avec la vie sexuelle de son rival, il faudrait songer à le faire ausculter par un psy indépendant - (Dr Jagutpal, soucieux de conserver son maroquin, pourrait ne pas pouvoir faire l'affaire pour cause de conflit d'intérêts).

Ce n'est pas sur le plan médical, mais sur celui de la moralité publique, que nous préférons interpeller le Premier ministre (PM), dont les propos ont désagréablement surpris un bon nombre de Mauriciens, même ceux qui n'aiment pas particulièrement le leader des Rouges. C'est dire que le faux-pas de Pravind Jugnauth, en voulant discréditer Navin Ramgoolam, a surtout contribué au capital sympathie du leader travailliste.

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La démarcation entre vie privée et vie publique est fine. En attaquant les adversaires (et aussi leurs enfants !) sous la ceinture, comme il aime le faire, Pravind Jugnauth n'expose pas uniquement que lui, mais il expose sa propre famille aux représailles. Pourquoi ménager quelqu'un qui ne ménage pas les autres, clament déjà ses adversaires, en se frottant les mains, avec malice.

En 2014, quelques mois avant les élections, l'express avait publié des images de Navin Ramgoolam et de Nandanee Soornack dansant lors d'une sympathique fête privée. Comme n'importe qui, ils avaient le droit de s'amuser comme bon leur semble, en adultes consentants. Mais demeurait centrale pour nous la question du respect de la vie privée d'un PM et de la puissante femme d'affaires (d'alors).

Au final, nous avions choisi de publier ces images car, dans une démocratie qui se respecte, elles sont justifiées par notre liberté d'informer le public sur un débat d'intérêt général : quels sont les liens entre le pouvoir politique et le monde des affaires ?

Selon l'article 9 du Code civil français (qui est similaire à l'article 22 de notre Code civil), «l'atteinte à la vie privée est justifiée par l'exercice de la liberté d'expression lorsqu'elle est nécessaire à la compréhension d'un évènement public, d'un fait d'actualité ou d'un débat d'intérêt général avec lequel la personne concernée est en lien direct. Bien que nécessaire, la violation de la personnalité peut être injustifiée lorsqu'elle est disproportionnée en ce qu'elle se double d'une atteinte au principe de dignité».

Dans un jugement émis le 6 février 2013, qui a mis fin au Gagging Order réclamé par Nandanee Soornack, contre notre groupe de presse et le groupe Le Mauricien, le juge Eddy Balancy cite cet article 9 et explicite bien le dilemme entre la liberté d'expression et le respect de la vie privée.

Le juge rappelle que «the press has already published, rightly or wrongly, a mass of material of a nature to create public concern about the circumstances in which the applicant has, apparently through her intimate connections, within the realm of her private life, with a high profile politician, obtained favours at the hands of state-controlled agencies which have led her, within a relatively short time, to move from a relatively modest condition to that of a very successful business woman. And the applicant's (NdlR, Nandanee Soornack) business and private life have already become a subject of public debate in the media».

Le journalisme, disait Georges Orwell, consiste à publier ce que d'autres ne voudraient pas voir publier. Dans un journal indépendant comme celui que vous lisez, publier ou ne pas publier des informations d'intérêt public - surtout en l'absence d'une Freedom of Information Act, pourtant tant promise -, se révèle un calcul complexe et quotidien, mais passionnant et souvent déterminant.

Notre raison d'être, c'est de vous informer - souvent en opposant votre droit démocratique de savoir et notre responsabilité journalistique de publier ou de ne pas publier.

C'est ce que nous avons fait dans le cadre de nos papiers sur l'Euroloan de Vishnu Lutchmeenaraidoo (malgré le secret bancaire) ou de notre série de révélations ininterrompues sur Álvaro Sobrinho (malgré les menaces de procès par millions). C'est aussi ce que nous avions fait, sous l'ancien régime, dans le cadre de la publication des photos de l'ancien PM dansant avec Nandanee Soornack (où le principe d'intérêt public a dominé celui du respect de la vie privée).

Nous sommes persuadés que, dans certains cas, l'intérêt public, principe-clé pour toute démocratie qui se respecte, doit prendre le dessus sur les autres droits. L'intérêt général étant, souvent, plus fort que l'intérêt particulier. Mais à écouter le déballage lubrique de Pravind Jugnauth, mardi au Parlement, on a surtout envie de... gerber. A se demander si un PM, qui veut achever son rival, pouvait tomber aussi bas...

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