Afrique: Les piscines aggravent la pénurie d'eau dans les villes

19 Mai 2023

NAIROBI — Selon une étude, les riches élites possédant de grandes piscines et des pelouses bien entretenues laissent les communautés les plus pauvres sans accès de base à l'eau dans les villes du monde.

Au cours des deux dernières décennies, plus de 80 grandes villes ont connu de graves pénuries d'eau causées par des épisodes de sécheresse et par une utilisation non viable de l'eau, selon un article paru le mois dernier dans Nature Sustainability.

Elisa Savelli, spécialiste des crises relatives à la sécheresse et à l'accès à l'eau, chargée de recherche à l'Université d'Uppsala en Suède, et auteure principale de cette étude, explique que les inégalités socio-économiques peuvent exacerber les pénuries d'eau, « autant que la croissance démographique ou le changement climatique, voire davantage ».

Le nombre d'habitants des grandes villes qui n'ont pas accès à un réseau d'eau potable bien géré a augmenté de plus de 50 pour cent depuis 2000, selon ONU-Eau.

La population urbaine mondiale devant atteindre près de sept milliards de personnes d'ici 2050, la gestion durable de l'approvisionnement en eau des grandes villes est l'un des plus grands défis de notre époque.

L'équipe de recherche, qui comprenait aussi des scientifiques de l'Université libre d'Amsterdam au Pays-Bas et de l'Université de Manchester au Royaume-Uni, a analysé la consommation d'eau de ménages de différentes catégories sociales en zone urbaine.

L'équipe a découvert que la majeure partie de l'eau consommée par les classes sociales privilégiées était utilisée à des fins non essentielles, par exemple pour remplir leurs piscines et arroser leurs jardins.

De telles propriétés disposent souvent de ressources en eau privées, comme des forages et des puits, pour les périodes de crise, lesquels ne sont pas accessibles au reste de la population, selon cette étude.

« Le problème, c'est que les pratiques de l'élite en matière hydrique, qui sont injustes et non durables, sont le produit d'un système socio-économique qui doit changer si nous voulons nous rapprocher de la durabilité, voire l'atteindre », a déclaré Elisa Savelli à SciDev.Net.

La ville du Cap a été choisie comme modèle pour cette étude en raison des fortes inégalités socio-économiques et des pénuries d'eau qui la caractérisent. La ville a connu une grande sécheresse entre 2015 et 2017, ce qui a donné lieu à une pénurie d'eau sans précédent.

Pour parvenir à leurs conclusions, les chercheurs ont effectué des recherches interdisciplinaires, associant la modélisation socio-hydrologique des interactions humanité-eau à une analyse sociale des inégalités et de la dynamique du pouvoir dans ces grandes villes.

Piscines et jardins

Alors que l'élite et les catégories à revenu intermédiaire élevé ne constituent que 14% de la population urbaine, elles consomment plus de 50 % de l'eau de la ville du Cap. La majeure partie de cette eau étant utilisée à des fins non essentielles, selon l'étude.

Au contraire, les habitants des bidonvilles et les ménages à plus faible revenu, qui représentent plus de 60 %de la population de la ville ne consomment que 27 %de son eau, principalement pour subvenir à des besoins fondamentaux comme la boisson et l'hygiène par exemple. La plupart de ces gens n'ont pas accès à l'eau courante.

« Bien trop souvent, les catégories sociales les plus aisées ont le sentiment qu'utiliser des quantités non viables d'eau à des fins non essentielles, comme pour les jardins et les piscines, est un droit », ajoute Elisa Savelli.

Elle soutient que de tels comportements ne profitent qu'aux riches, au détriment de l'environnement et des populations désavantagées.

« A long terme, le comportement injuste et non durable de ces élites appauvrira encore plus les ressources hydriques communes. La sécheresse s'aggravera, et les pénuries d'eau seront plus fréquentes », a-t-elle ajouté.

Les études antérieures se sont intéressées à la consommation moyenne d'eau, mais elles ont souvent ignoré les politiques et les inégalités existantes, responsables, entre autres, des pénuries d'eau, selon les chercheurs.

Selon l'article, ces injustices liées à l'eau ne sont pas spécifiques à la ville du Cap, mais sont une réalité dans toutes les grandes villes.

Il recommande que les politiques ayant trait à l'eau et à la sécheresse reconnaissent les injustices socio-économiques qui mènent à une utilisation non viable de l'eau et provoquent des pénuries, comme en Afrique du Sud, et qu'elles luttent contre ces inégalités.

Kenneth K'oreje, défenseur de l'environnement et expert en matière de pollution et de qualité de l'eau au sein de l'Autorité en charge des ressources hydriques au Kenya, indique que le pays est aussi aux prises avec les problèmes mis en évidence par cette étude.

« A Nairobi, comme au Cap, on compte davantage de forages dans les quartiers aisés, où les privilèges de l'élite sont préservés », a-t-il déclaré à SciDev.Net.

« En effet, les décideurs ou ceux qui ont le pouvoir d'influer sur les politiques sont issus de ces mêmes élites, ce qui, en aval, a une incidence sur le développement de l'infrastructure du réseau hydrique qui, souvent, va d'abord dans le sens de leurs intérêts. »

Il convient que, même si d'autres facteurs comme le changement climatique et la croissance démographique restent les causes principales des pénuries d'eau, la consommation non viable d'eau par l'élite y contribue aussi beaucoup.

« Parmi [les solutions], on peut envisager une gradation de la redevance sur l'eau : les gros consommateurs paieraient davantage que ceux qui consomment moins, quelle que soit l'origine de l'eau utilisée », a-t-il suggéré.

La version originale de cet article a été produite par l'édition mondiale de SciDev.Net.

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