Sénégal: Saliou Sarr de « Taxawu Sénégal » sur le dialogue politique - « L'évaluation du cadre normatif de l'action politique et de la citoyenneté doit être réglée en urgence »

interview

Le dialogue politique pourra faire progresser les discussions entre pouvoir et opposition, suite aux concertations qui ont eu lieu en 2019. C'est le point de vue de Saliou Sarr de Taxawu Sénégal de Khalifa Sall. M. Sarr fut le coordonnateur de la délégation de l'opposition au dialogue politique de 2019.

Le Chef de l'État a invité les forces vives de la Nation à un dialogue. Que pensez-vous d'une telle initiative?

Dans un pays démocratique, le dialogue doit être permanent. En ces moments de tensions politiques élevées, le dialogue se justifie davantage.

Ce dialogue va faire suite à celui de 2019. Quelle était la particularité de ces assises ?

Durant les travaux du dialogue politique qui ont eu lieu entre 2019 - 2021, sous l'initiative du Chef de l'État, Macky Sall, nouvellement réélu en 2019, on avait noté la participation de certains acteurs de l'opposition regroupés au sein du Front de résistance nationale (Frn). Plusieurs Objectifs spécifiques (Os) étaient retenus et discutés, parmi lesquels l'Os N°7 intitulé « Évaluer le cadre normatif de l'action politique et de la citoyenneté ». Quand cette proposition a été faite par l'opposition, les représentations de la coalition au pouvoir se sont demandé ce que mijotait l'opposition ? Cette dernière a simplement répondu qu'il s'agit de voir les voies et moyens de la déjudiciarisation de la vie politique !

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L'opposition avait fait adopter l'Os susmentionné dans les termes de référence du dialogue. Entre 2003 et 2011, une série d'agressions et de menaces faites à des leaders de partis politiques a été opérée : Talla Sylla, au sortir d'un restaurant, est assailli à coups de gourdins et de marteaux ; Abdoulaye Bathily et feu Amath Dansoko, ont reçu des gestes d'intimidation dans leurs domiciles respectifs et au même moment la mairie de Mermoz Sacré-Coeur (avec à sa tête Barthélémy Diaz) a été attaquée, etc. En 2018, 30 ans après les élections de 1988, une cinquantaine de membres du Pds sont arrêtés et jetés en prison. Deux candidats déclarés à l'élection présidentielle de 2019 sont non seulement emprisonnés, mais exclus de la compétition. Au-delà de la nécessité d'évaluer le cadre normatif de l'action politique et citoyenne, il est impératif de revenir à l'orthodoxie en se conformant à la loi et au règlement, dans le sens de l'exercice des libertés et de la modernisation de notre démocratie ».

Pour développer son argumentaire, l'opposition a traité quatre sujets ou thématiques : l'exercice des libertés, l'accès aux médias d'État, la déjudiciarisation du débat public et les cas de Khalifa Ababacar Sall, Karim Meissa Wade et autres.

Les candidatures de Khalifa Sall et de Karim Wade, recalés lors de la dernière présidentielle par le Conseil constitutionnel, ont été au centre de vos discussions. Qu'est-ce qui a été retenu ?

Oui, j'avais l'honneur de présenter l'argumentaire développé par l'opposition et contenu dans son document introductif. Je cite : « À propos de la déjudiciarisation du débat public, il a été retenu, à tort ou à raison, que la justice est au coeur du débat public. Une bonne partie de l'opinion et des acteurs politiques a cessé d'avoir confiance en nos juges et soupçonne la justice d'être un instrument entre les mains du pouvoir qui l'utilise pour des règlements de comptes politiques. Ainsi, nous estimons que s'il n'est pas possible d'agir directement sur la justice, supposée indépendante, il est souhaitable d'apporter une modification substantielle des conditions de poursuites des hommes publics en revisitant certaines dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale, pour protéger l'opposition contre l'autoritarisme d'État.

À quelques mois de la Présidentielle de 2024, les dossiers de Khalifa Sall et de Karim Wade sont de nouveau remis sur le tapis. Quelle analyse en faites-vous ?

Il faut rappeler qu'en 2019, le document introductif de l'opposition avait indiqué que « Khalifa Sall et Karim Wade ont été présentés comme les symboles vivants de la judiciarisation de la vie politique et l'utilisation de la justice pour la liquidation d'adversaires politiques ». Pour la consolidation du dialogue, il est attendu que le Chef de l'État, comme il l'a promis lors d'un entretien avec la presse étrangère, que Khalifa Ababacar Sall soit libre totalement, avec la restitution de tous ses droits et la levée de l'exil de Karim Meissa Wade par l'annulation de tous les mandats et réquisitions pris contre lui ! », selon le texte introductif !

Mais il vous est reproché de mettre le focus sur la libération de ces deux présidentiables au détriment d'autres détenus politiques. Votre avis ?

Je pense qu'il est important d'ouvrir une parenthèse et de rappeler, au moment du dialogue politique de 2019, après une rencontre entre la plateforme « Ñoo lànk » et le Frn, l'on pouvait lire dans un communiqué du Frn ce qui suit: « l'Opposition, dans le dialogue national, estime que le moment était venu, pour le Président de la République, de promouvoir la décrispation politique pour que le parquet ne s'oppose plus, comme cela est de coutume, à la libération de Guy Marius Sagna ». Par la suite, grâce à une démarche du Frn, avant même d'obtenir un accord sur l'objectif spécifique N°7, l'on obtient, par exemple, la liberté provisoire de l'honorable député actuel, Guy Marius Sagna. C'est dire que c'est important de dialoguer.

Pour revenir sur le sujet, à l'issue d'un long, large et fructueux débat, concernant l'objectif spécifique N°7, au sein de la Commission politique du Dialogue national, un accord a été obtenu et formulé, sous forme de forte recommandation, visant le renforcement de la décrispation de l'espace politique. Aujourd'hui, comme nous pouvons tous le constater, les évènements qui se déroulent dans notre pays ressemblent beaucoup au contexte qui était décrit en 2019, au moment du dialogue politique. C'est pourquoi la situation politique de l'heure fait du sujet évoqué lors du dialogue politique de 2019, l'évaluation du cadre normatif de l'action politique et de la citoyenneté, une question plus que jamais actuelle à traiter et à régler en urgence, en cette période de prédéclarations de candidatures pour la présidentielle de 2024.

De larges consensus ont été enregistrés lors du dialogue politique, mais des acteurs politiques exigent une mise en oeuvre des recommandations issues de ces assises. Qu'est-ce qu'il faut retenir ?

Soucieux du même esprit de l'époque, de la décrispation de l'espace politique et de la paix sociale dans notre cher pays, en tant que coordonnateur de la délégation de l'opposition dans la Commission politique du Dialogue national, je viens faire un appel solennel et formuler une demande à la Haute autorité, son Excellence, Monsieur le Président de la République, la mise en oeuvre des consensus passés et la prise de mesures d'apaisement dans l'espace politique, notamment la restitution de tous les droits politiques et civils de Khalifa Ababacar Sall et de Karim Meissa Wade, conformément aux accords du dialogue politique et votre promesse d'appliquer tous les consensus, mais aussi la libération et l'arrêt des poursuites des militants et leaders politiques, dans le sens du renforcement de la paix sociale et de l'intérêt supérieur de la Nation.

Dans le même registre, je lance aussi un appel, du fond du coeur, à l'endroit de la classe politique, singulièrement à toute l'opposition, à calmer le jeu et à répondre à l'appel à la concertation du Président de la République, pour aboutir à un climat politique apaisé et à un Sénégal réconcilié.

Oui, il me semble important d'aller à la table de concertation, pour tenter de trouver les moyens de mise en oeuvre des autres points d'accords importants du dialogue politique, notamment : la nécessité de conformer la loi 78-02 du 29 janvier 1978 relative aux réunions, à la Constitution actuelle en y intégrant la marche pacifique et le droit de marche, l'encadrement, la réponse de l'autorité administrative dans un délai de 72 heures en cas d'interdiction, etc. Il sera aussi question de discuter de la modification de la loi 81-17 du 6 mai 1981, relative aux partis politiques dans le sens de son renforcement.

La réflexion va tourner autour de l'obligation de dépôt d'un nombre de signatures ou parrains répartis dans un certain nombre de régions, de l'obligation de disposer et d'assurer un programme de formation pour les militants et sympathisants. Il en est de même pour l'obligation d'aller aux élections, seul ou en coalition ainsi que celle de la tenue du congrès du parti (tous les 5 ans au moins), le principe du financement public des partis politiques, etc.

Pensez-vous que les prochaines concertations nationales puissent apporter de la valeur ajoutée au champ politique ?

Le dialogue pourrait se justifier dans le sens de trouver les voies et moyens d'appliquer les nombreuses et importantes recommandations faites par les experts indépendants de la Mission d'évaluation du processus électoral (Mafe) du Sénégal de 2021. Sans être exhaustif, je vais en citer certaines : la proposition de modifier les articles L.31 et L.32 du Code électoral, devenus L.29 et L.30, en tenant compte de l'article 730 du Code de procédure pénale et en prévoyant une limite temporelle à la période de privation du droit de vote des condamnés.

Il est aussi proposé d'adapter les conditions du droit de vote aux normes internationales. Des recommandations ont porté, entre autres, sur la révision à la baisse du montant de la caution et la reconsidération du système de parrainage, tel que pratiqué actuellement dans notre pays. Il est suggéré d'indiquer clairement dans l'article L.48 du Code électoral, devenu L.49, que les partis politiques légalement constitués, les organisations de la société civile et la Commission électorale nationale autonome (Cena) ont un accès permanent, direct et illimité au fichier électoral à tous les stades, dans les locaux et par le biais de l'infrastructure informatique de la Daf.

Que répondez-vous à ceux qui pensent que ce dialogue politique est en passe de faire éclater des coalitions de l'opposition comme « Yewwi askan wi » (Yaw) ?

Une coalition d'organisations politiques est forcément un lieu de discussions, de contradictions, de convergences et de désaccords. De ce point de vue, j'ose espérer que Yaw va dépasser ce moment critique.

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