Les travailleuses domestiques viennent essentiellement des campagnes pour s'installer dans les grandes villes, notamment dans la capitale Dakar et sa banlieue. Elles sont victimes du chômage, malgré les niveaux de salaires très bas.
Ces filles et dames ne bénéficient presque d'aucune formation, après avoir passé des années dans ce métier précaire. Ce manque de formation constitue un obstacle pour leur intégration dans le tissu économique. Par ailleurs, elles disent être marginalisées par leurs employeurs. Pis, selon les témoignages recueillis, «elles sont réduites à des bêtes de somme : le volume horaire étant important et leur intégration difficile dans les familles qui les emploient».
A la Sicap Sacré-Coeur, près la radio Sud Fm, le vieux Ndour qui occupe un petit espace à l'angle du bâtiment abritant les locaux de la première radio privée du Sénégal, accueille des femmes à la recherche d'emploi. Elles viennent de différents quartiers de la capitale. Mamadou Ndour, que certains appellent Pa Ndour, s'est lancé dans ce métier en 2002. Pa Ndour cumule deux jobs : celui de courtier et de responsable d'agence des travailleuses domestiques. Ces dernières sont engagées pour assurer les tâches de ménage, la cuisine, la garde des enfants, entre autres.
Pa Ndour reçoit plusieurs appels téléphoniques dans la journée. Les uns appellent pour s'informer s'il n'y a pas de clients qui ont besoin d'une travailleuse, d'autres sont à la recherche d'un logement. Les matinées, c'est le grand rush. Les femmes assises attendent l'arrivée d'employeurs. Dans l'après-midi, l'affluence est moindre. Beaucoup passent des semaines voire des mois, sans trouver du travail. Ici, les salaires se négocient. Elles sont rémunérées en fonction du travail qu'elles vont faire : cuisinière, «baby Sister» ou technicienne de surface etc.
En ce qui concerne les relations entre la famille et les domestiques, «il existe des patrons qui sont très gentils, l'intégration se fait sans difficultés. Vous travaillez sans pression. Les week-ends, ils prennent en charge le transport. Les fêtes de la Korité et la Tabaski, ils vous offrent des cadeaux. Les bons rapports que certaines entretiennent avec leurs employeurs les motivent à ne pas abandonner leurs postes», avoue une dame.
RELATIONS CONFLICTUELLES, SURCHARGE DE TRAVAIL, SUSPICIONS, ACCUSATIONS DE VOL... CES CAUSES DE RUPTURE UNILATERALE DE CONTRAT
Par contre, les ruptures du contrat sont fréquentes chez les femmes domestiques et leurs employés. «L'arrogance et le mépris de certains membres de la famille de nos employeurs sont à l'origine du clash. Parmi nous, il y a des gens qui sont des feignants. Les employeurs, quand ils réalisent que leur domestique est paresseuse, demandent à la dame d'arrêter le travail. Et ils appellent Pa Ndour pour trouver une remplaçante dans l'immédiat», souligne une technicienne de surface.
Parfois, ces «bonnes à tout faire» sont victimes des suspicions, des accusations de vol, entre autres «complots» ourdis par des patronnes pour se séparer d'elles sans les payer après le travail accompli : grand ménage dans la maison devenue propre, vaisselle et linge bien lavés et rangés... A titre d'exemple, une fille-élève vacancière, venue à Dakar pour travailler afin de financer ses études, a été trainée à la Police par l'épouse de son employeur. Mais après des négociations entre le tuteur de la domestique et la présumée victime de vol, cette dernière est revenue sur sa décision, raconte-t-on.
Karfa Diatta, cousin de la fille, explique : «nous avons été surpris d'apprendre des employeurs que ma cousine a volé des bijoux. Personne, dans la famille, ne pouvait imaginer cela. Cette affaire a suscité beaucoup de commentaires». Selon, certaines travailleuses, les vols qu'on leur attribue sont liés aux comportements des employeurs véreux qui inventent des motifs pour se débarrasser d'elles.
Mamadou Bamba Diakhaté est courtier ; il gère un nombre important de travailleurs domestiques. Les jeunes viennent aussi le contacter pour du travail comme chauffeur et dans la sécurité. C'est au rond-point Liberté 6, où il accueille tous ces demandeurs d'emploi, que nous l'avons rencontré. «Nous prenons beaucoup de précautions pour s'assurer des conditions dans lesquelles ces femmes vont travailler. Nous vérifions l'identité et l'adresse exacte de la bonne, ainsi que celles de son futur employeur. Ensuite, une visite est organisée au domicile de l'employeur. Si la travailleuse, après avoir commencé, décide d'arrêter le travail de son propre gré, elle doit attendre à la fin du mois pour être payée», a indiqué le responsable des filles.
LES INTERMEDIAIRES ET LES RISQUES DU METIER
Les problèmes surgissent quand une des parties changent unilatéralement les termes du contrat : augmentation des tâches et des horaires de travail. Certaines femmes, «sans nous prévenir, abandonnent leurs postes. La conséquence, les gens nous réclament leur argent : le remboursement de l'argent encaissé (les commissions), lors de son recrutement. Celles qui ont eu à travailler partent sans être payées. Alors que si nous étions informés, les choses allaient se passer autrement. Tout cela est lié à leur ignorance. Les patrons (les employeurs) sont intransigeants. Mais aussi il y a des bonnes qui sont difficiles de caractère. Et dans les situations de conflit, c'est nous qui pâtissons. Car nous aurions souhaité que les choses se passent très bien», relève Pa Ndour.
Revenant sur leur rôle, M. Diakhaté confie : «je sers d'intermédiaire entre les parties pour la négociation des termes du contrat : le salaire, l'organisation du travail... En cas de conflit, nous intervenons, en privilégiant un règlement à l'amiable», a laissé entendre le courtier Bamba Diakhaté.
MALGRE SA PRECARITE, DES ELEVES INVESTISSENT LE SECTEUR, POUR SUBVENIR A CERTAINS BESOINS
Ce métier, caractérisé par la précarité, beaucoup d'élèves et étudiantes l'exercent, mais pas pour faire carrière dans ce domaine. Juste pour satisfaire des besoins notamment liés à leurs études pour l'essentiel. Une jeune fille en formation comme cuisinière dans une école de la place, sous le couvert de l'anonymat, confirme. «Ce travail, je le fais juste pour avoir de quoi subvenir à mes besoins. C'est pourquoi, à mes heures perdues, je passe ici, pour un job, d'une journée».
Avec l'augmentation considérable de la main d'oeuvre, les salaires proposés sont très bas. Il est difficile de trouver une rémunération mensuelle de 60.000 FCFA. A cela s'ajoute la concurrence déloyale, surtout pendant les grandes vacances.
Le désormais ancien courtier, Vieux Sané, qui s'investissait à aider des domestiques, en les accompagnants dans leur recherche d'emploi, a mis un terme à ses activités. Pour cause, les nombreux problèmes dans le secteur. «Vous savez, avec les filles, il y a toujours des problèmes. Ce travail n'a pas de perspectives», affirme l'ancien courtier.
LEGISLATION ORGANISANT L'ACTIVITE DES TRAVAILLEUSES DOMESTIQUES VIOLEE PAR DES PATRONNES
Pourtant, une législation qui organise l'activité des travailleuses domestiques existe au Sénégal. Mais, certains employeurs «ne respectent pas les textes. Les droits des bonnes sont constamment violés : non prise en charge quand elles tombent malade, changement de termes du contrat en ajoutant des tâches, etc.», déplorent les acteurs du secteur. En outre, «les membres des familles de certains employeurs ont été à l'origine de la rupture des contrats de domestiques à cause de leur arrogance et le mépris qu'ils affichent à l'endroit des travailleuses domestiques», a fait remarquer un syndicaliste. C'est dire à quel point le métier de domestique est un gagne- pain de titan au Sénégal, sinon un véritable calvaire, au regard de la faible rémunération, des conditions souvent drastiques de travail et des rapports heurtés avec la famille de l'employeur.