Allier l'enseignement du Coran, de l'arabe, du français et maintenant du numérique. C'est le pari de l'école bilingue Manar Al Houda de Mermoz. Ce modèle qui « répond aux besoins des parents » produit plutôt des résultats satisfaisants à en croire l'Inspectrice de l'éducation et de la formation (Ief) des Almadies dont dépend l'établissement.
Khadijatou Dramé, 15 ans, a les yeux rivés sur l'ordinateur. A côté, un petit boitier avec des fils reliés au système. Malgré la présence des visiteurs, dont l'Inspectrice de l'éducation et de la formation de la zone, l'adolescente ne perd pas une seconde les explications du duo d'enseignants, M. Guèye et Coura Dièye. Ce cours de robotique est celui qui la passionne le plus. « C'est passionnant et facile à comprendre », soutient la collégienne, laissant poindre un sourire candide sous son voile. « On leur apprend à faire des gadgets, une Led en miniature, une carte mère ou encore un détecteur d'obstacle », explique Coura Dièye.
Comme la plupart des élèves, Khadijatou a intégré l'école bilingue Manar Al Houda (en arabe la lumière de la bonne guidée) de Mermoz depuis la maternelle. Créé en 2005 par feu Elhadji Amadou Moubarak Lô grâce à l'appui de la coopération koweitienne (pour un financement de 100 millions de FCfa) et de l'État du Sénégal qui a octroyé le terrain, cet établissement offre un enseignement basé sur la mémorisation du Saint Coran, en plus de l'apprentissage de l'arabe et du français. « Le programme qu'on a ici, c'est la duplication du modèle initié par notre regretté père depuis les années 1960.
Nos élèves, quand ils arrivent en classe de Terminale, maîtrisent le fiqh (science qui étudie l'interprétation des règles de la charia) tout en étant prêt à faire les écoles d'ingénieur », note Moubarak Lô, président du Conseil d'administration et du Comité de gestion du groupe Manar Al Houda. L'ambition est de former des citoyens imbus des valeurs islamiques de l'éthique et du savoir et totalement intégrés dans le monde moderne. « Notre père a réussi à allier ces deux exigences et à permettre à ses enfants de pouvoir apprendre la tradition occidentale sans pour autant se renier. Il nous a éduqué dans cela et c'est ce que nous essayons de perpétuer », ajoute Makhtar Lô.
Après la mémorisation du Coran, les élèves reçoivent une formation accélérée dans des classes spéciales afin de boucler le cycle élémentaire au bout de trois ans. « On leur fait sauter des classes et ils s'en sortent très bien aux examens du Cfee et de l'entrée en 6e », soutient Adama Kaïré, gestionnaire du complexe de Mermoz.
Actuellement, l'établissement compte 539 élèves répartis entre le préscolaire, l'élémentaire, le moyen-secondaire et le « daara ». Au total, l'école a formé environ 1000 apprenants depuis son ouverture, il y a près de vingt ans.
Un programme pilote
Diplômé en réseaux télécom à la prestigieuse Université Pierre et Marie Curie (Paris 6), Makhtar Lô coordonne le projet d'enseignement de la robotique. « Nous avons noté que les enfants baignent aujourd'hui dans un monde connecté et, en Afrique, on n'a pas conscience de ce qui se passe derrière. Et nous avons voulu, dans cette école, que les élèves puissent, dès le plus bas âge, démarrer un apprentissage qui va leur permettre demain d'être à l'origine de grandes découvertes ou de réalisations scientifiques.
Ce que font les élèves de Manar, c'est exactement ce que font les étudiants à l'université en matière de robotique », fait savoir Makhtar Lô. Par exemple, ils apprennent à réaliser des feux tricolores, des détecteurs de mouvement ou d'humidité. Le cours de robotique, introduit depuis mars, vise à donner aux élèves des connaissances de base en programmation et en électronique. « C'est un programme pilote qu'on souhaite généraliser pour l'ensemble de l'école à partir de l'année prochaine », renseigne-t-il.
« Très souvent la famille n'hésite pas à mettre la main à la poche pour soutenir les investissements, parce que l'éducation est un sacerdoce pour nous », indique Moubarak Lô. Leur défunt père, un produit du « daara » de Coki, a très tôt compris la nécessité d'allier l'école française à l'enseignement arabo-islamique. C'est ainsi qu'il a créé en 1962, à Louga, l'école Manar Al Houda (la maison-mère de la succursale de Mermoz) dont le modèle d'enseignement, plutôt rare à l'époque, prévoit, non seulement une mémorisation du Saint Coran, mais également l'apprentissage de l'arabe et du français. « Notre père était en avance sur son époque ; c'était un visionnaire », souligne Moubarak Lô. Faisant le parallèle avec le modèle malaisien, un pays souvent cité en exemple par ce théoricien sénégalais de l'émergence et où l'éducation fait une bonne part aux valeurs islamiques et traditionnelles et à l'enseignement des sciences.
Une école pilote dans l'enseignement du numérique
Venue visiter le complexe, le 10 mai dernier, Oumy Marie Bèye Fall, l'Inspectrice de l'éducation et de la formation (Ief) des Almadies dont dépend l'école, a exprimé sa « fierté ». Selon elle, Manar Al Houda « est en train de mettre en oeuvre toutes les orientations du ministère de l'Éducation nationale ». D'abord, par rapport à la diversification de l'offre d'éducation avec le franco-arabe et un « daara ». Ce qui « répond carrément aux besoins des parents ». Ensuite, elle note la bonne organisation administrative et pédagogique de l'école « avec un personnel qualifié ».
Par ailleurs, dit-elle, l'expérience de Manar Al Houda montre qu'il est bien possible d'intégrer l'enseignement du numérique dans les établissements, faisant référence au cours de robotique. « Nous avons mené beaucoup d'expériences dans l'utilisation du numérique dans les enseignements, mais des expériences comme celle qu'on vient de voir (l'enseignement de la programmation et de la robotique) sont très rares. C'est très impressionnant comme projet », a-t-elle salué, estimant que Manar Al Houda constitue « une école pilote » dans ce domaine.
Selon l'Ief, Manar fait partie des écoles de référence dans sa circonscription aussi bien du point des résultats scolaires que de l'organisation et de la participation aux activités parascolaires. « Les promoteurs de l'école ont compris la politique de l'État et ont même pris une bonne longueur d'avance par rapport à beaucoup d'établissements », affirme-t-elle, insistant sur l'importance de susciter des vocations chez les enfants en les orientant davantage vers la technologie et le numérique.
Makhtar Ly, parent d'élève, a été séduit par l'offre éducative de Manar Al Houda. Ses trois filles sont actuellement scolarisées dans l'établissement. « Je suis satisfait de la qualité des enseignements et surtout le fait de préparer les enfants à maîtriser la technologie à travers l'enseignement de la robotique », se réjouit-il.
Parmi les projets futurs du groupe Manar Al Houda, Moubarak Lô annonce la création d'un lycée scientifique, d'une unité de formation pour les filières courtes et professionnelles comme la robotique ou encore d'une université arabo-islamique à Louga.