Afrique: Cannes 2023 - «Les Meutes» très réussies du Marocain Kamal Lazraq, un combat de chiens et d'hommes

interview

Le réalisateur marocain Kamal Lazraq a pu vivre ce week-end la première mondiale de son film en sélection officielle du Festival de Cannes. Filmé de façon captivante la nuit à Casablanca, « Les Meutes » est un polar noir aussi grave dans le fond que drôle dans la forme, avec des acteurs non professionnels qui crèvent l'écran.

RFI : Être avec son premier long métrage en sélection officielle du plus grand festival de cinéma au monde et accueillir un applaudissement de tonnerre du public, comment avez-vous vécu tout cela ?

Kamal Lazraq : Nous étions très nerveux avant la projection, parce que nous avons terminé le film il y a quelques jours, la postproduction s'achevait très récemment. Du coup, ici à Cannes, c'était vraiment la première rencontre avec le public. L'accueil était un soulagement. La sélection était une grande fierté. Nous avons tourné le film avec des acteurs non professionnels. Il y avait beaucoup d'imprévus, d'improvisations, de problèmes à régler. Du coup, lâcher le film devant ce public et avoir un bel accueil, cela a été un grand soulagement.

Les Meutes, c'est l'histoire d'un père et d'un fils, tous les deux fauchés. Ils se retrouvent, malgré eux, avec un cadavre à faire disparaître. Vous avez filmé toute cette aventure la nuit dans les faubourgs populaires de Casablanca. Vous-même, vous êtes né dans cette ville. Est-ce que c'était toujours votre fantasme de tourner votre premier film la nuit à Casablanca ?

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Le film découle d'un précédent court métrage que j'avais aussi fait la nuit à Casablanca, avec la même méthode de travail, aussi avec des acteurs non professionnels. L'expérience a été beaucoup plus courte, mais très intense. Casablanca, la nuit, il y a un potentiel infini d'histoires, de thèmes, de genres : le burlesque, le tragique, l'humanité, la violence... Il y a quelque chose de vraiment très riche. Du coup, cela me semblait naturel de continuer dans cette voie. Surtout, moi, je vis à Casablanca, je suis baigné dans cet univers qui, quand on est réalisateur, est très inspirant.

C'est un film noir sombre avec une ironie aussi fine qu'omniprésente. Qu'est-ce que reflète cette incroyable palette de couleurs sublimes que vous avez pu créer grâce à votre tournage nocturne ?

Avec le chef opérateur Amine Berrada, nous nous sommes dit que les acteurs sont au centre du dispositif, nous n'allons pas recréer un éclairage artificiel, mais que nous allons vraiment nous baser sur l'éclairage naturel de la ville. Il fallait réussir à trouver le bon dispositif pour en tirer profit et donner cette esthétique au film. C'est vrai, le rendu est assez proche de la réalité. Mais il y a un certain onirisme qui fonctionne bien par rapport à la thématique du film. Les visages des comédiens sont très cinégéniques, du coup, parfois, il fallait juste les déplacer au bon endroit pour avoir une image très cinématographique.

Au début et à la fin du film, il y a un chien de combat, mais très vite, on comprend que les meutes dont on parle ici, ce sont les meutes humaines, les gangs de quartiers qui se font la guerre au milieu de la misère. Ce qui est très impressionnant dans votre manière très intelligente de réaliser, c'est que vous nous ne guidez pas avec la raison, la tête, mais avec les cinq sens : il y a l'odeur du cadavre, le toucher entre les hommes et les chiens, il y a ce qu'on entend, mais qu'on ne voit pas, il y a ce qu'on voit, mais, souvent, s'imagine seulement...

Ce que je ne voulais pas faire, c'était un film psychologique ou trop psychologique. J'avais envie qu'on ait une expérience physique. Quelque chose d'organique, de charnel. Le fait de travailler avec des acteurs non professionnels et l'approche très documentaire qu'on a eue pendant le tournage, cela nous a permis de retranscrire la réalité de ce que nous avions vécu avec les acteurs pendant le tournage. Nous avons tourné à l'heure chronologique, nous étions constamment à l'écoute de ce qui se passait. Ce rapport, ce n'était pas une recherche esthétique, c'était plus qu'elle découlait de notre façon de travailler. Tout le travail qui a été fait a été fait de façon très instinctive, très brute. C'est quelque chose qui s'est imprégné dans le film. Ce qui fait que nous avons ce rapport très charnel avec cette histoire.

C'est une histoire père-fils, un père et un fils qui n'arrêtent pas à se faire mutuellement des reproches. Pour le père, le fils n'est pas un « vrai » homme. Pour le fils, le père a raté sa vie. La seule qui assure, c'est la grand-mère qui a des valeurs à transmettre, une confiance, et qui sait s'adapter à la vie. Les Meutes, est-ce aussi une charge contre le patriarcat, contre une masculinité dépassée et des policiers corrompus.

La masculinité est très présente dans le film. Il y a beaucoup de choses qui se sont perdues à la traduction dans les sous-titres. La plupart du temps, les acteurs parlent de ça : être un homme, la virilité comme une qualité forcément positive. La grand-mère est le personnage le plus ancré, le plus stable de cette histoire. Il y avait l'idée de montrer comment cet excès de masculinité pouvait tendre parfois vers une animalité, d'où la métaphore avec le combat de chiens et cette bestialité qui peut ressurgir de façon assez forte pendant le film.

Au-delà de l'humour très fin, il y a aussi un espoir, incarné par l'eau. Il y a le lavage du corps de l'homme décédé, mais aussi une scène où père et fils se lavent ensemble. Votre film, incarne-t-il l'espoir d'une renaissance possible ?

Il y a de ça. Dans la relation entre le père et le fils, il y avait cette scène où ils essaient de se laver de ce qu'ils ont fait et vécu. Il y a quand même une dureté. Dans le regard entre les deux, on sent que ce qui se passait ne pouvait pas passer simplement par le lavage ou quelque chose de physique. Ils sont, malgré eux, imprégnés par ce qu'ils ont vécu. C'est quelque chose qui est très présent dans le rapport entre les deux personnages, le fait que le père va marquer la vie de son fils, négativement, malgré lui. Dans cette thématique de la relation père-fils, c'est plus cela que je recherchais. Comment un père qui, au départ, était de bonne volonté, va entraîner son fils dans une dureté que tous les deux vont regretter.

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