Afrique: La guerre au Soudan fait peser de graves risques sur le Tchad et la Rca

analyse

Avec la présence de communautés et de milices transfrontières, les deux pays subissent déjà les conflits meurtriers du Soudan.

Les factions rivales à l'origine des affrontements meurtriers au Soudan semblent déterminées à poursuivre les combats, et ce, malgré les appels répétés des pays voisins, de l'Union africaine et des Nations unies en faveur d'un cessez-le-feu. Cette impasse inquiète ses voisins, en particulier le Tchad et la République centrafricaine (RCA), qui ont déjà par le passé fait les frais des effets dévastateurs des conflits meurtriers au Soudan.

Plus de 500 personnes ont été tuées et plus de 4 000 ont été blessées dans l'effusion de sang qui a eu lieu le 15 avril entre les Forces armées soudanaises (SAF) du général Abdel Fattah al-Burhan et les Forces de soutien rapide (RSF) du général Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti).

Le Tchad partage une longue frontière de 1 300 km avec le Soudan. Bordant le Darfour à l'ouest du Soudan, les régions orientales du Tchad et le nord-est de la RCA ont souffert des combats qui ont commencé aux alentours de 2003. Au Tchad, les milices Janjawid ont fait plusieurs centaines de morts dans les provinces de Wadi Fira, de l'Ouaddaï et de Sila. En RCA, les préfectures de la Vakaga et de la Haute-Kotto ont subi leurs exactions. Les deux pays ont accueilli des réfugiés soudanais.

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Le Soudan, le Tchad et la RCA

Le Tchad, la RCA et le Soudan ont en commun les mêmes communautés dont les déplacements n'ont jamais été freinés par des frontières administratives. Il s'agit des Rounga, de diverses tribus arabes, des Zaghawa, des Tama et des Massalit. Lors d'affrontements passés, elles ont été mobilisées lors de multiples rébellions et dans des milices, indépendamment de leur nationalité.

Dans ces trois pays, les Janjawids ont principalement recruté parmi les communautés arabes. Les groupes rebelles au Darfour, tels que le Mouvement pour la justice et l'égalité de Khalil Ibrahim, étaient surtout composés de Zaghawa. La rébellion de la Seleka en RCA a également mobilisé des groupes, tels que les Rounga, et la communauté arabe.

Certains États ont utilisé des milices, des combattants et des armes dans ces zones frontalières afin d'y alimenter l'insécurité. Sous Idriss Déby Itno et Omar el-Béchir, le Tchad et le Soudan soutenaient les efforts de déstabilisation dans les deux pays. Lorsque la Seleka a commencé à gagner du terrain dans le nord-est de la RCA, Khartoum et N'Djamena ont été pointés du doigt.

Des États alimentent l'insécurité aux frontières en utilisant des milices, des combattants et des armes

Les principaux conflits qui ont secoué le Darfour au cours de ces vingt dernières années ont pris une tournure régionale. L'impasse dans laquelle se trouve actuellement le Soudan est donc préoccupante pour le Tchad et la RCA, dont la situation politique et sécuritaire est fragile. Le Tchad connaît une transition contestée, avec des risques sécuritaires toujours importants dans certaines parties du pays, notamment dans l'est.

La RCA tente encore de regagner le contrôle de l'ensemble de son territoire malgré le soutien militaire du Rwanda et de la société privée russe Wagner. La préfecture de Vakaga, par exemple, est régulièrement le théâtre d'attaques par des groupes rebelles dirigés par Noureddine Adam et Ali Darassa. En raison de ces rébellions, le Soudan a fermé sa frontière avec la RCA en début d'année.

Dans le conflit actuel au Soudan, des membres de communautés de certaines tribus et de certains groupes ethniques pourraient aggraver la fragilité des pays situés à l'ouest. En effet, la RSF de Hemedti est fondamentalement arabe. Et lorsqu'ils opéraient encore au Darfour sous le nom de Janjawids, ces paramilitaires s'étaient aliénés des communautés telles que les Zaghawa.

Alors que les SAF semblent représentatives des populations du Soudan, al-Burhan s'était par le passé associé à d'anciens chefs de milices Zaghawa au Darfour, notamment à Suliman Arcua Minnawi, l'actuel gouverneur du Darfour. Al-Burhan compte donc parmi ses alliés les Zaghawa, qui sont à couteaux tirés avec Hemedti. Le principe est bien connu : l'ami de votre ennemi peut facilement devenir votre ennemi. La façon dont ces communautés transfrontalières se positionneront dans la guerre sera déterminante.

Le positionnement des communautés transfrontalières dans le conflit soudanais sera déterminant

Au Tchad, par exemple, le pouvoir est détenu par le fils de Déby depuis deux ans, après trois décennies de présidence du père. La famille au pouvoir appartient à l'ethnie Zaghawa, tandis que plusieurs hauts responsables de la transition tchadienne sont de la communauté arabe. En RCA, certains rebelles actuellement stationnés dans le nord du pays viennent également de la communauté arabe.

Malgré leur position de neutralité, les deux pays pourraient être impliqués dans le conflit soudanais en raison de ces dynamiques communautaires transfrontalières. Le Tchad a envoyé des contingents supplémentaires à sa frontière avec le Soudan, qu'elle a fermée dès les premiers affrontements. La frontière avec la RCA reste ouverte.

Les deux pays ont également déjà commencé à faire face à un afflux de réfugiés et de rapatriés. Le Tchad a enregistré entre 10 000 et 20 000 réfugiés à Koufroune, 320 soldats soudanais fuyant les hostilités et plus de 300 rapatriés tchadiens.

À la mi-avril, les Nations unies ont prévenu qu'elles ne seraient plus en mesure de nourrir les 600 000 réfugiés au Tchad à partir du mois de mai si elles ne recevaient pas un financement international d'urgence. En RCA, la ville frontalière d'Am Dafok, dans le nord, a déjà accueilli plus de 6 240 réfugiés soudanais et plus de 3 460 rapatriés centrafricains depuis le début du conflit.

Qui travaille à des solutions politiques doit prendre en compte la sécurité en RCA et au Tchad

L'impact économique de la guerre au Soudan se fera également ressentir chez ses voisins à l'ouest. Bien que le Tchad et la RCA dépendent principalement du Cameroun pour leurs échanges commerciaux, les provinces de l'est du Tchad et les préfectures du nord-est de la RCA commercent avec le Soudan ; elles pourraient donc être affectées. Dans les localités de la Vakaga, le prix des denrées alimentaires de base a augmenté depuis le début du conflit.

La RCA et le Tchad devraient d'urgence renforcer les mesures visant à contenir toute contagion. Le dialogue avec les dirigeants des communautés transfrontalières pourrait permettre d'empêcher leurs membres de rejoindre les rangs des combattants.

Pour qui travaille à trouver des solutions politiques et diplomatiques régionales au conflit soudanais, les préoccupations sécuritaires de la RCA et du Tchad par rapport à cette crise doivent également être prises en compte. Les agences humanitaires des trois pays ont besoin de soutien financier pour faire face aux nouveaux réfugiés, aux personnes déplacées internes et aux rapatriés. Il est essentiel que la communauté internationale et l'Agence humanitaire africaine de l'Union africaine se mobilisent dans tous les pays touchés.

Remadji Hoinathy, chercheur principal, Afrique centrale et Grands Lacs, ISS, et Dr Yamingué Bétinbaye, directeur de recherche, Centre de recherches en anthropologie et sciences humaines, N'Djamena, Tchad

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