Tunisie: « Nafahat Kéfia » - Une tradition millénaire

C'est le Centre des arts de la culture et des lettres de Kassar-Saïd qui a accueilli une conférence au cours de laquelle on parlera de la ville du Kef et des personnages historiques qui ont marqué son histoire et, bien entendu, celle de l'Ifriqiya antique et de la Tunisie moderne.

Ce Centre mérite qu'on en parle. C'était la seconde résidence royale de la dynastie husseinite (1705-1957). En 1867, le Bey Mohamed Sadok occupe ce palais après avoir exproprié et exécuté son propriétaire, le ministre Ismail Sunni. Ce palais a fait l'objet de transformations successives. Un étage luxueux de deux ailes où on trouve le salon d'honneur dans lequel on a signé le triste et célèbre Traité du Bardo en 1881.

En 1947, Lamine Bey transforme le palais en hôpital. En 1988, il est concédé au Ministère des Affaires culturelles qui le met à la disposition de l'INP.

Sa restauration devait lui permettre d'accueillir le Musée moderne de Tunisie. Ce projet n'a jamais vu le jour. Il accueille aujourd'hui le Centre des arts de la culture et des lettres de Kassar-Saïd.

Un pan de l'histoire

Tout au long de deux heures bien remplies, avec des intervenants maîtrisant parfaitement leurs sujets, un pan de l'Histoire de notre pays a défilé avec émotion et fierté. C'est dans le cadre des activités du Mois du patrimoine, dans sa 32e session, que le Centre des arts, de la culture et de la littérature, en coopération avec l'Association du musée Jousoor, a organisé cet événement portant sur le patrimoine culturel intitulé «The Breath Al-Kafia», le souffle du Kef, Nafahat Keffia !

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C'est le 14 mai de chaque année que la ville du Kef organise cette fête à laquelle participent bien entendu la population, mais aussi les milliers de visiteurs qui la prennent d'assaut. Rien que pour vivre les festivités qui s'y déroulent dans un faste spontané et généreux.

Le «Mayou» perpétue la tradition multimillénaire de la région du Kef pour la célébration du renouveau printanier. C'est la fête de l'abondance. Les familles sortaient à travers champs, les hommes et les enfants bien habillés, les femmes les yeux embellis par le «Khol» sortaient à l'aube pour éviter le «gattous el mayou» qui attirait le mauvais sort.

Ils imploraient pour que la nouvelle année soit celle de l'abondance, de l'aisance et du bonheur. Ils lorgnaient du côté des récoltes et des moutons qui devaient être bien gras pour nourrir ceux qui sont là pour cette fête.

Le site de Sidi Zin

Mais le Kef, ce n'est pas seulement ces élans populaires, c'est aussi un des berceaux de l'humanité. Les vestiges que l'on a découverts et que l'on ne semble pas encore décidé à les mettre véritablement en valeur. Le site de Sidi Zin que l'on risque de perdre si on ne lui accordait pas l'intérêt souhaité. C'est pourtant un site paléolithique situé à 10 km environ de la ville d'El Kef.

C'est le site tunisien le plus important d'un point de vue scientifique en rapport avec la période préhistorique. Découvert au début du XXe siècle, il est laissé pratiquement à l'abandon depuis les quelques sondages effectués par le Dr Ernest-Gustave Gobert (1879-1973) et les quelques rafraîchissements de la coupe du front de gisement. Il est actuellement menacé de disparition à très brève échéance : non seulement l'exploitant du terrain effectue des travaux agricoles sur ce site, mais aussi l'érosion des eaux de ruissellement le ravine (nous y reviendrons). Ces vestiges prouvent l'authenticité de ceux qui l'ont habité.

De grandes figures ont marqué son histoire. Dans tous les domaines. Le Kef est une ville du nord-ouest du pays et le chef lieu du gouvernorat.

A 175 kilomètres à l'ouest de la capitale Tunis, elle est à une quarantaine de kilomètres à l'est de la frontière algérienne. Le saint patron du Kef est Sidi Boumakhlouf qui a donné son nom à un mausolée de la ville.

Sicca à l'époque carthaginoise

Le Kef était connu sous le nom de Sicca à l'époque carthaginoise puis Sicca Veneria sous la domination romaine. Cette ville a ensuite porté divers noms tout au long de son histoire : Colonia Julia Cirta, Cirta Nova, Sikka Beneria, Chaqbanariya et enfin Le Kef dès le XVIe siècle. De nombreuses ruines romaines sont toujours présentes au Kef. Elles sont la preuve de la richesse historique de cette ville. Mais c'est également la Kasbah husseinite, le mausolée Sidi Bou Makhlouf, la Basilique romaine et les différentes composantes du circuit touristique.

Le musée des Arts et traditions populaires du Kef abrite un mausolée édifié au XVIIIe siècle et présente des collections retraçant les habitudes et coutumes sociales ayant cours avant l'indépendance du pays.

La gastronomie du Kef

Elle se différencie par deux préparations spécifiques à la région. D'une part, un pain typique, le mjamaa ou khobz el aid. On le prépare à l'occasion des fêtes. Il est surmonté d'un oeuf et décoré avec de la pâte. D'autre part, le bourzguène qui est un type de couscous légèrement sucré orné en alternance de couches de fruits secs, de dattes et de viande d' agneau.

La fête de Mayou, appelée aussi fête du bourzgane, remet au goût du jour le traditionnel couscous keffois. Seule la ville du Kef continue de perpétuer cette tradition dans le respect d'un rituel millénaire.

Mme Najet Ghariani a, avec beaucoup d'émotion, retracé tout ce cheminement, mettant en exergue ces figures qui ont marqué et laissé des traces indélébiles. «Tous ceux qui y ont vécu, depuis la nuit des temps, portent en eux une histoire, un souvenir, que l'on transmet à travers les siècles. La fête de Mayou, ce n'est pas seulement le bourzguène qui est important, mais bien ce printemps annonciateur d'été après les rigueurs de l'hiver souvent enneigé. Nos ancêtres rendaient hommage à Maya d'où est venue «Mayou», en préparant bien sûr le couscous à l'agneau avec le romarin, seul condiment qu'ils avaient, buvaient du petit lait qui servait aussi de remède et immolaient des moutons.

La récolte, les provisions à assurer pour les saisons difficiles devenaient une priorité. La visite qu'effectuent les jeunes filles à «la Chegaga» dont nous parlera Dr Leila Mami Ben Youssef. Mais il n'y a pas que ça.

Au Kef, il y a beaucoup des vestiges qui ne demandent qu'à parler. Il faut les faire parler pour que nos nouvelles générations en tirent des conclusions et méditent».

Elle n'a pas manqué de rendre hommage à la contribution et à l'aide de M. Chawki Dachraoui, «un éminent collectionneur qui possède plus de soixante mille objets et qui nous a offert un manuel original à la valeur inestimable et le président d'honneur de l'Association M. Moncef Boucherara qui veille pour que nos activités se diversifient et se suivent à un rythme soutenu».

Ils ont marqué leur époque

Ce fut au tour de M. Noureddine Ben Yamina de retracer l'itinéraire des hommes de lettres, des musiciens, des hommes et femmes du théâtre originaires du Kef qui ont marqué de leur empreinte la littérature, la musique et le 4e art tunisiens.

Depuis... l'ère romaine, Le Kef était reconnu comme une citadelle littéraire. Arnoubis au IIIe siècle (il est inconnu pour les moteurs de recherche !) qui enseignait le grec et le latin et était un féru de théâtre.

Ou encore Fortunacianus, né au Kef au IVe siècle qui était aussi un homme de lettres reconnu de l'époque. Abou El Abbes Ahmed Zarrouk El Keffi, Abou Abdellah Ben Ahmed El Ouerghi, Mohamed Essenoussi, Mohamed El Kaouech, Zinelabidine Essenoussi, et la liste est longue, ont marqué la littérature et les arts tunisiens.

La médecine des os

Ce fut au tour du Dr Hamza Essaddam de parler de la médecine des os. Il a commencé par signaler que dans tous les manuels relatifs à la médecine et son histoire, «seule la médecine tunsienne est absente».

Alors que cela a été prouvé, elle a été à l'origine (ndlr : elle remonte à 2.500 ans) de la médecine dans ce monde. Le fait d'escamoter ce pan de l'Histoire, depuis en fait la «destruction» de Carthage, est incompréhensible, mais les recherches et les découvertes sont en train de remettre les pendules à l'heure.

Caelius Aurelianus siccensis, un médecin originaire du Kef, va être décrié en... 1996 à Lausanne. Il aura un procès d'un demi-siècle, accusé d'avoir plagié ou volé Céranos.

En l'an 2000, on a concédé que «lorsqu'on traduit, on commente et que Caelius aurélianus siccensis est un écrivain virtuose. Il a adapté à son époque et à son public l'essentiel de l'oeuvre de Soranos. Par son côté novateur et son enrichissement à l'histoire tant de la littérature latine que de la médecine antique.

On reconnaîtra en 1994 qu'il fallait admirer en Caelius Aurelianus le seul psychiatre cohérent de l'Antiquité et saluer en lui le précurseur de la psychiatrie.

Le plus grand médecin de l'Antiquité

En 2007, on dira que Galien est sans doute le plus grand médecin de l'Antiquité après Hypocrate, Soranos et Caelius Aurelianus. Une médecine qui aura une longévité de vingt siècles, dont le protocole est important et qui est traduite dans tous les écrits médicaux de l'époque. Hérodote dira du peuple africain que «c'est indiscutablement le plus sain que nous connaissons».

Le Dr Saddem parlera de la longévité de la population méditerranéenne, de l'histoire de la médecine aux USA (200 ans), de l'Europe (800 ans) et de la Tunisie (plus de 2.000 ans).

Il traitera des «impasses de l'orthopédie en l'an 2.000 relevant que le phénomène est imparfaitement compris. La réussite de l'École tunisienne dans le domaine de la physiopathologie, par rapport à ce qui se passe ailleurs, est un point d'honneur reconnu. «Aujourd'hui, on continue à enseigner les os des morts. Toutes les facultés de médecine dans le monde enseignent les os des morts et on demande de traiter des gens vivants. On enseigne le collagène calcifié, alors que le microbe prend dans la partie vivante et non pas directement dans l'os.

Elles ne l'ont pas encore compris et c'est ce qui explique l'avance que nous avons enregistrée».

Le Kef est aussi l'inoubliable Saliha et son oeuvre. C'est M. Abderraouf El Haddaoui qui nous transportera au gré des paroles et des airs qui ont bercé plus d'un et qui continuent de nos jours de servir de références.

Auteur d'une oeuvre médicale monumentale

Le clou de la conférence sera la vie et l'oeuvre de Caelius Aurelianus Siccencis que le Dr Leila Mami Ben Youssef a présentées.

Pour en savoir un peu plus avant la conférence, nous avons essayé de nous documenter à propos de l'oeuvre de ce médecin précurseur en gynécologie et en psychiatrie dans les moteurs de recherche. Rien. A part le nom d'un respectable médecin français qui a adopté le nom de cet illustre personnage en tant que...pseudonyme ! «Caelius Aurelianus Siccencis aurait vécu au Ve siècle de notre ère (date controversée), il est l'auteur d'une oeuvre médicale monumentale étudiée jusqu'à nos jours en Europe. Rédigée en latin et traduite partiellement en français et en anglais.

Caelius Aurelianus Siccencis parlait le latin d'Afrique et rédigeait en latin. C'est un médecin que l'on redécouvre. Il est né à Sicca Veneria, ville de Numidie probablement au Ve siècle, Reinesius et Haller ont décidé de le classer dans ce siècle. À cause de son style d'écriture. Controverses autour de la date de naissance de Caelius. Pour certains, il serait né avant Galien (130 - 203), c'est- à-dire au premier siècle: «Avant Galien, car il est difficile d'admettre en effet, qu'il ne cite jamais ce dernier (131-201)».

Caelius avoue lui-même qu'il a traduit Soranus. Cependant de l'avis de Daniel Leclerc, «il paraît qu'il n'a pas simplement traduit du mot à mot en latin ce que ce médecin avait écrit en grec» car il le cite et il le contredit:

«Toutes les villes en Afrique, même les bourgades du Tell, avaient leurs écoles primaires, tenues par le «litterator» ou «primus magister». On y apprenait à lire, à écrire et à compter. Le maître avait fort à faire dans ce pays où la plupart des enfants parlaient entre eux le Numide ou le Punique. Donc on parlait deux langues: la langue de l'école et celle de la maison. Puis les années passées, on trouvait un enseignement secondaire bien organisé chez un grammairien dans tous les centres importants, «j'étais forcé, dit un écolier africain (Augustin), d'apprendre par coeur les aventures de je ne sais quel Enée, de pleurer sur Didon qui se tue par amour». Puis à Carthage pour ses études supérieures à l'Ecole d'Apulée:

L'Université de Carthage

On ne peut pas le considérer comme un simple copiste.

«La falaise de la Chgaga», littéralement la falaise de la fente. Un véritable sanctuaire, un lieu comblé par l'histoire, un lieu béni de Dieu depuis la nuit des temps, un lieu de culte préhistorique devenu lieu de culte antique et dédié à Vénus, culte préhistorique de la déesse terre mère féconde devenu Lella Chgiga.

Une structure naturelle dédiée à la fécondité, une structure inaccessible au commun des mortels, accrochée dans la montagne où venaient des femmes puniques en procession non loin des vestiges de la Basilique de Ksar el Ghoul, pour prier afin que soient exaucés leurs voeux de maternité. Les grottes de Sidi Mansour, faille du synclinal «Dyr el Kef», la faille est bordée de grottes alignées majestueuses et profondes, grandes ouvertes sur un panorama grandiose: les Ghorfas ou les chambres, les grottes de Sidi Mansour sont décorées de peintures rupestres.

Les premiers habitants du Kef ont habité ces refuges dans la protohistoire. Ils ont vécu dans ces abris naturels qui les protégeaient de la chaleur et du froid glacial de l'hiver continental de cette région. Ils disposaient d'une source d'eau potable à proximité, d'une végétation qui permettait la cueillette (mauves, blettes, figuier, grenadiers...) et d'un gibier abondant pour se nourrir. Les grottes de Sidi Mansour, habitat primitif des premiers habitants du Kef, sont nommées ghrofs ou chambres ou mieux encore en berbère Sakka ou Chokka qui veut dire la même chose en punique : la chambre. Nous rejoignons ainsi l'étymologie de Sicca Veneria.

Son œuvre

Son principal ouvrage est Gynaecia», un ouvrage majeur et fondateur de la gynécologie qui fait partie des gynécées africaines. Il a également rédigé «le livre des maladies chroniques et le livre des maladies aiguës»

Médecin de l'école méthodique

La secte méthodique, contrairement aux empiriques, classe les maladies selon l'observation des patients et donne le même traitement pour le même groupe de malades. La Psychose maniaco dépressive, c'est Caelius, le premier, qui parle de l'intervalle libre et qui écrit, dans le «Caelii aureliani de morbis acutis et chronicis» : «la manie, quand elle s'empare d'un esprit, se manifeste par la colère, par la gaieté, par la tristesse, par la futilité. La manie est parfois continue, parfois elle est allégée par des intervalles libres...». C'est-à-dire des périodes de rémission. Il faut admirer à coup sûr en Caelius Aurelianus «le seul psychiatre cohérent de l'Antiquité» (J. Pigeaud) et saluer en lui le précurseur de la psychiatrie moderne.

La plus grande personnalité

Heureusement, il y a un domaine où Caelius règne en maître : La Psychiatrie :

«Caelius Aurelianus n'a jamais été contredit, au point de vue de l'aliénation mentale et c'est incontestablement la plus grande personnalité de la médecine antique» .

Traitant du délire, de la frénésie, de la manie, de la mélancolie, de l'épilepsie, de l'hystérie, il se prononce nettement pour la séparation entre maladies du corps et maladies de l'âme: «Ceux qui estiment que la manie est essentiellement une maladie de l'âme, et une maladie du corps en second lieu, ceux-là sont dans l'erreur, vu que jamais un philosophe n'en a obtenu la guérison, et que, avant l'atteinte de l'esprit, le corps est manifestement atteint de troubles dans sa substance même».

L'aliénation mentale dans l'Antiquité

Caelius Aurelianus, médecin avant-gardiste, protège les malades mentaux et décrit leur contention de façon moderne. Si les malades sont agités en voyant des gens, il faudra faire usage de liens, mais sans leur faire de mal, en protégeant leurs membres de flocons de laine d'abord, en plaçant le bandage sur eux après».

Moschion ou comment on réécrit l'Histoire

Devenu grec en 1566, il fut traduit en français en 1895. On remarque que Moschion, qui a laissé des planches d'anatomie, passe au 2e plan en petites lettres et est remplacé par Soranos d'Ephèse. En 2013, Moschion est éliminé, remplacé définitivement par Soranos d'Ephèse et voilà comment on réécrit l'Histoire, l'Ifriqiya, la Numidie, Carthage. Tout est oublié !

Une belle mystification

Nous avons en conclusion un médecin originaire du Kef en Numidie, dont le siècle de naissance est inconnu, qui choisit de rédiger pour la première fois en latin ses nombreux ouvrages de médecine. Il est africain, écrit et parle le latin d'Afrique. C'est un précurseur mondial de la psychiatrie, non contesté, de plus en plus reconnu, l’œuvre parle d'elle-même,

En gynécologie également, il est un des piliers des gynécées africaines quoique ce rôle lui soit controversé par les chercheurs occidentaux, qui ont simplement plagié et traduit du latin au grec ses ouvrages de gynécologie et ceux de son compatriote Moschion, pour recréer, ceux grecs, disparus de Soranos d'Ephèse en se basant sur le fait que Caelius évoque Soranos dans son ouvrage. Une belle mystification !

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