Avec « Augure (Omen) », présenté en première mondiale à Cannes, le rappeur et performer belge a encore élargi son rayonnement artistique. Ainsi, Baloji est devenu le premier cinéaste de fiction congolais invité en sélection officielle du plus grand festival de cinéma au monde. L'artiste d'origine congolaise raconte le faux retour au pays d'un Congolais jadis banni par sa mère, parce que considéré comme sorcier. Un voyage cinématographique hallucinatoire et salutaire où Koffi rencontrera d'autres « sorciers » et « sorcières » pour chercher ensemble une porte de sortie. Entretien.
RFI : Êtes-vous croyant ?
Baloji : Je ne sais pas. Je ne crois pas. J'ai été élevé dans des structures où la religion est omniprésente, entre des protestants, des jésuites, j'ai une partie de ma famille qui a été bouddhiste également, donc la religion ou la croyance est omniprésente.
Augure est un film choral, une sorte de procession cinématographique qui se déroule en pleine Semaine sainte. Cela se passe comme une aventure, un voyage avec des scènes hallucinatoires, psychédéliques, parfois presque ethnographiques... Le but, est-ce d'amener le spectateur en une sorte de transe pour lui faire comprendre des choses difficilement à comprendre ?
Ma volonté première était de jouer avec plusieurs codes, du drame familial, de la satire, de la fable pour adultes, du film social... et un peu de me moquer du film du retour au pays, avec tout cela qui implique.
Ce qu'on pense être la trame du film s'avère ne pas être le sujet principal. Après vingt minutes cela devient une espèce de MacGuffin à la Hitchcock [une technique de narration utilisée par le maître du suspense, NDLR]. Donc l'idée, c'était d'avoir des points de vue qui se répondent. Et celui qu'on pense d'être la victime au départ, n'est peut-être pas réellement la victime.
Ce qui m'intéressait était de faire évoluer des changements de vue. Effectivement, plus on se rapproche de l'épilogue, plus qu'on se reproche du point de vue de la mère, il y a une espèce de trip pour aller vers elle et de l'accompagner dans son parcours à elle qui est un peu halluciné, vu qu'elle traverse le deuil.
C'est l'histoire de Koffi et de son retour au pays, au Congo. Jadis banni par sa mère, il a fait sa vie en Europe et souhaite présenter sa fiancée blanche et enceinte à sa famille au Congo et payer sa dot. Vous aussi venez de Lubumbashi, vous aussi, vous avez quitté avec votre père votre mère très tôt. Sans oublier que « Baloji » signifie en swahili à la fois « homme de sciences » et « sorcier ». Augure, est-ce votre autobiographie filmée ?
Non, du tout. À aucun moment le personnage de Koffi n'est mon double cinématographique. Ce que je trouvais intéressant, c'est qu'il y a une assignation pour tous ces personnages. Tout ce qui est inexplicable, on le case du côté mystique. On y essaie de trouver des raisons, dès que ce n'est plus plausible. On essaie de trouver des raisons qui sont liées au mal.
Donc, un enfant né avec une tâche sur la joue, il y est lié au maléfique. Un enfant de rue, comme l'enfant cadet dans la bande à Paco, ils pensent que cet enfant ramène le mauvais esprit, un mauvais sort. Donc ils doivent s'en débarrasser. Une femme de 35 ans qui est nulle part est considérée par la société comme sorcière.
Que ce soit en France, au Congo, en Amérique latine, cette femme est considérée comme une sorcière, parce qu'elle refuse son assignation première, c'est-à-dire de procréer, d'après certains codes patriarcaux. Dans le film, Mama Mujila est aussi considérée comme une sorcière. Je me sens plus proche d'eux, de ces personnages féminins, que celui de Koffi, qui, de façon un peu simpliste, pourrait se rapprocher de moi. Mais moi, je ne suis pas Koffi. Ce n'est pas du tout mon double.
Ici, à Cannes, vous présentez votre premier long métrage, qui est aussi le premier film de fiction congolais jamais invité en sélection officielle du Festival. Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?
Je suis extrêmement fier, mais juste avant moi, il y avait Dieudonné Hamadi. Son documentaire En route pour le milliard est sorti l'année maudite quand il y avait le Covid et pas de Festival. Être là est pour moi une fierté, c'est important pour un pays qui a une représentation culturelle qui est assez limitée.
Nous avons la rumba qui est au patrimoine mondial de l'Unesco, mais on paie une trentaine d'années d'excès de toutes sortes qui ont fait qu'il est difficile que la musique congolaise puisse circuler, comme elle a pu le faire dans les années 1980 et 1990.
Aujourd'hui, il faut relancer des dynamiques et cela va prendre du temps. Il y a de fantastiques comédiens, acteurs et réalisateurs chez nous. Après, le grand problème, ce sont les financements. En fait, je ne sais pas si c'est un grand signe [que je sois ici aujourd'hui].
Augure s'inscrit dans un projet global, ce n'est pas « seulement » ce film, mais cela sera aussi un album géant et une grande exposition qui aura lieu en automne. Pour vous, l'art, c'est être un artiste total ?
J'ai toujours eu envie de faire des films. Après, de façon structurelle, c'est assez compliqué. Ce qui m'intéresse dans le cinéma, c'est justement que c'est un art total en soi, ça réunit tous les domaines de compétences avec lesquelles j'ai plein d'acuités : la direction artistique, les costumes, le cadrage, la photo, et évidemment la relation avec les comédiens, parce que c'est eux qui incarnent la narration. J'ai fait aussi la scène, j'ai aussi joué dans quelques films. C'est un terrain de jeu fabuleux, cela combine toutes mes obsessions.
Pourquoi avez-vous alors écrit quatre albums pour Augure ?
J'ai décidé d'écrire des albums du point de vue de mes personnages. Parce que je suis obsédé par la question du point de vue dans le cinéma. J'ai lu énormément sur la question du male gaze [des images imposées aux spectateurs par une perspective uniquement masculine, NDLR] et female gaze. Et toutes ces questions reposent sur le fait comment on présente les gens, comment articule-t-on une pensée.
Donc j'ai décidé de faire un album pour les quatre personnages principaux, écrit de leur point de vue. Cela nous a servi pour les comédiens, pour leur permettre d'entrer dans leurs personnages et d'avoir une atmosphère. Cela nous a servi au niveau des départements sur le film, que ce soit le chef opérateur, l'équipe de décoration, les costumes. La musique nous servait d'indication.