Afrique: Jérôme Boulle - «Financer la culture n'est pas difficile»

«Simin Zetwal», le second film de David Constantin, est actuellement sur les écrans de MCine. Jérôme Boulle y tient l'un des rôles principaux.

Un Bolom bougon. Les pieds en sang, l'esprit occupé par une idée fixe. Tel est le personnage que campe Jérôme Boulle dans Simin Zetwal, le second long-métrage de David Constantin, actuellement à l'affiche dans les salles MCine.

«Ce n'est pas un film de divertissement», avertit d'emblée Jérôme Boulle. «Cela va peut-être décevoir les spectateurs, il n'y a pas autant d'action.» Simin Zetwal est, explique-t-il, un film d'auteur qui braque les projecteurs sur des gens qu'on ne voit pas souvent à l'écran.

Il y a le quotidien d'une ouvrière bangladaise (jouée par Sharonne Gah Roussety) - et le patron d'usine qui confisque les passeports -, le jeune paumé qui nettoie la piscine «misie-la», en rêvant d'ailleurs (incarné par Edeen Bhugeloo) et le Bolom à la retraite.

«David Constantin fait la démonstration que ces petites gens ont aussi envie que leur vie du sens. Et que chaque être a une quête. C'est une chronique sociale servie par une écriture cinématographique.»

Ce que Jérôme Boulle conseille : regarder Simin Zetwal au second degré. «C'est le parcours initiatique de trois personnages. À la fin du film, ils touchent le but, mais ce but devient secondaire. C'est le voyage qui est le plus important, le personnage en sort changé.»

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L'ouvrière bangladaise (Sharonne Gah Roussety) veut de l'argent pour rentrer. Ronaldo (Edeen Bhugeloo) le fils de Bolom veut aller travailler au Canada.

Dans le cas de Bolom, qui dans sa jeunesse a été un noceur fréquentant les bordels, son chemin bifurque du côté spirituel. Sa femme était une hindoue, lui est un créole, «c'est un clivage que David Constantin a su retranscrire», souligne Jérôme Boulle. En illustrant au passage sa «profonde compréhension de la culture mauricienne».

Au décès de l'épouse de Bolom (jouée par Nirveda Alleck), il l'a enterrée selon les rites catholiques. Alors que sa propre fin est proche, Bolom cherche l'éternité pour son épouse. C'est l'ouvrière bangladaise qui l'explique à Ronaldo : si son père a déterré les restes de sa mère pour les incinérer sur un bûcher, c'est pour que son âme puisse s'élever.

Un personnage de Bolom tout en intériorité. Pour le composer, le défi, pour Jérôme Boulle a été de garder le ton de voix caverneux du personnage durant tout le tournage. En préparant le rôle, il dit avoir relu La Modification de Michel Butor, Ulysse de James Joyce et Tom Jones d'Henry Fielding.

«Le second confinement a aidé. J'ai cultivé le monologue intérieur.» Avec en point d'orgue le «moment de tendresse» quand Bolom - en plein processus de transformation - se voit enfant. Avec le symbolisme d'une rivière Bolom de lui-même.

Bolom est la quatrième apparition de Jérôme Boulle, 71 ans, sur grand écran. Il débute au cinéma dans la peau d'un chauffeur de taxi proxénète dans Bénarès de Barlen Pyamootoo (2006). Il incarne un policier dans Les enfants de Troumaron de Harrikrisna et Sharvan Anenden (2012).

Le syndicaliste des travailleurs d'une usine sucrière qui ferme, c'est lui, dans Lonbraz kann, le premier long métrage de David Constantin (2014). Il était dans Gangway (2010), court-métrage de Gopalen Chellapermal.

«Le cinéma est un art qui coûte cher, mais il doit être accessible au plus grand nombre»

Comment porter plus de films mauriciens sur la scène internationale ? Depuis sa sortie mondiale en octobre 2022, Simin Zetwal a fait la tournée des festivals, récoltant quatre prix jusqu'à l'heure. «Peut-être que s'il y avait une industrie du cinéma, il y aurait eu autant de Mauriciens qui auraient appris les métiers du cinéma que la comptabilité», lance Jérôme Boulle.

Il cite un exemple concret. Le film américain Serenity (2019) qui a bénéficié du Film Rebate Scheme a eu droit à des remboursements de Rs 214,3 millions (chiffre donné au Parlement par le Premier ministre). Le budget du film de David Constantin est de Rs 20 millions.

«Imaginez tous les talents mauriciens qu'on aurait pu aider avec Rs 214,3 millions. Aujourd'hui ce n'est pas un film mauricien qui aurait été présenté dans les festivals mais des dizaines. C'est comme ça qu'on met vraiment le cinéma mauricien sur la carte mondiale.»

Pour l'acteur, comédien, journaliste, ancien prof, ancien syndicaliste et politicien, «les structures existent. C'est ce qu'elles font qui compte». Une meilleure répartition des ressources aurait, souligne-t-il, donné du travail aux techniciens et autres métiers dans ce secteur.

«Le cinéma est un art qui coûte cher, mais il doit être une activité artistique accessible au plus grand nombre. C'est là que l'État doit jouer le rôle de facilitateur de la création.» Notamment en mettant en place une école de cinéma.

Autre exemple : si un pourcentage des gains du loto était versé à la Mauritius Film Development Corporation (MFDC), si les collectivités locales participaient aussi à l'effort, «cela aurait aidé».

Jérôme Boulle est catégorique : «J'aurais préféré qu'on continue de payer la taxe municipale et qu'un pourcentage soit versé à la création. Financer la culture n'est pas difficile. Pourquoi ne pas accueillir des maisons de production financées par des fonds d'investissement ? Il faut à la fois une volonté politique et un savoir-faire.»

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