Les cas de féminicide se multiplient jour après jour. Dernièrement, on enregistre au moins un féminicide tous les mois, une situation vraiment inquiétante et qui préoccupe.
En tout cas, ces derniers jours, le phénomène est traité sérieusement par les différentes parties concernées. Si la société civile a toujours appelé à des actions concrètes contre ce fléau, l'État par ses différentes structures commence à prendre les choses au sérieux.
Onze femmes ont été tuées par leur conjoint depuis janvier dernier, contre quinze sur l'ensemble de l'année 2022. Une statistique qui laisse croire que ce fléau prend de l'ampleur en Tunisie, notamment si on rappelle l'atrocité des faits, dernièrement une femme a été brulée vive par son mari.
Refka Cherni, victime de féminicide le 9 mai 2021. Tuée par son mari, agent de la garde nationale, avec son arme de service, deux jours après une énième plainte pour violence conjugale, son affaire avait fait polémique en Tunisie et a secoué les autorités qui ont décidé, à l'époque de renforcer les mécanismes de prise en charge des femmes battues. Mais depuis, rien n'a été fait et les mêmes scènes terribles se reproduisent jour après l'autre. Selon une enquête du ministère de la Femme, de la Famille et des Personnes âgées, au moins 47 % des femmes tunisiennes subissent une forme de violence domestique au cours de leurs vies, ces formes de violence finissent malheureusement par des féminicides dont les répercutions sont irréversibles sur les familles comme sur la société.
Le féminicide est connu conventionnellement comme étant un aboutissement ultime d'un volume de violence et de terreur incluant une large variété d'abus verbaux et physiques, et s'exerçant spécifiquement à l'endroit des femmes. En résumé, la femme est tuée car elle de sexe féminin et que les auteurs des crimes pensent qu'elle inférieure et incapable de se défendre.
Pour sa part, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) définit le féminicide selon quatre catégories : le féminicide « intime », correspondant aux violences familiales et conjugales ; le féminicide « au nom de l'honneur », se référant au meurtre d'une femme pour protéger l'honneur de sa famille ; le féminicide « lié à la dot », c'est-à-dire le meurtre d'une jeune femme pour non-paiement de sa dot et le féminicide « non-intime ».
En Tunisie, il n'existe pas de statistiques officielles sur ce fléau bien que ces derniers temps, le ministère de la Femme a commencé à s'activer. En effet, un mois à peine après le féminicide conjugal ayant emporté une femme de 32 ans, mère de deux enfants, un nouveau crime odieux a été commis, le 7 mai dernier, dans la délégation de Kondar à Sousse. Sabrine, une femme de 30 ans, enceinte et mère de quatre enfants, a été étranglée par son mari.
Réagissant à ce drame, le ministère de la Femme, de la Famille, de l'Enfance et des Séniors a affirmé, dans un communiqué datant de lundi 8 mai 2023, qu'il a chargé les services de la délégation régionale et le bureau du délégué régional de la protection de l'enfance à Sousse de la mise en place d'une équipe d'intervention pour prendre en charge les enfants de la victime et mettre en place les mesures immédiates nécessaires.
Sur fond de ces crimes odieux, le département a entamé la réalisation d'une nouvelle étude sur l'homicide conjugal qui devrait être prête avant la fin de l'année en cours. L'étude identifiera les profils des victimes, des meurtriers et de leurs enfants.
L'étude s'inscrit dans le cadre de la volonté de renforcer davantage les mécanismes de surveillance et de prévention des violences faites aux femmes afin de lutter contre le phénomène croissant des violences conjugales et assurer la prévention et la protection, a annoncé la ministre de la Famille, Amel Belhaj Moussa, lors d'une séance de travail consacrée au suivi de la mise en oeuvre des programmes et projets de l'Observatoire national de lutte contre les violences faites aux femmes et le Centre de recherche, d'études, de documentation et d'information sur les femmes "CREDIF".
Une étude déjà prête !
Sauf qu'une étude de ce genre a été déjà réalisée et présentée depuis décembre dernier. Cette étude, qui a été élaborée en décembre 2022 par l'UNFPA-Tunisie en partenariat avec la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis et financée par l'Union européenne dans le cadre du programme "Emna", constitue une réponse intégrée aux violences fondées sur le genre social.
Elle appelle le gouvernement tunisien à prendre les mesures nécessaires pour combattre le phénomène du féminicide : la lutte contre le féminicide doit être prise en compte dans la stratégie nationale de lutte contre les violences à l'égard des femmes.
« Cela suppose également de renforcer la formation de la police, des juges et des procureurs aux exigences de la loi 2017-58 et de les amener à rendre des comptes lorsqu'ils s'abstiennent d'enregistrer des plaintes, d'émettre et d'appliquer des ordonnances de protection et d'enquêter sur les affaires de violences contre les femmes. Cela suppose aussi de sensibiliser aux services de soutien destinés aux victimes de violence (particulièrement conjugale) et de mettre en place des campagnes de sensibilisation et d'éducation du grand public, pour faire évoluer les attitudes sociales favorables à la violence à l'égard des femmes », a-t-on recommandé.
Quel traitement médiatique ?
La même étude constate que la médiatisation de ces cas est marquée par des récits journalistiques contre-productifs. Elle explique qu'au niveau des sources utilisées, les journalistes ont tendance à n'exploiter que les sources policières et judiciaires. Les témoignages sont également présents parmi les sources interrogées, cependant, le recours aux experts, aux sociologues, aux psychologues et aux représentants des différents ministères concernés ou à la société civile n'est pas une pratique privilégiée.
Le féminicide est souvent présenté comme un fait divers, non pas comme un sujet d'actualité ou un sujet de société. Les faits divers racontés sont souvent des brèves et des comptes rendus qui rapportent majoritairement des violences que l'on pourrait qualifier de "physiques", apparaissant dans la sphère privée et motivées surtout par des mobiles interpersonnels.