Ile Maurice: Amendement de la «Local Government Act» - Les municipales seront-elles illégalement reportées ?

Avec l'amendement proposé par le gouvernement, le Premier ministre aura le pouvoir, à travers le président de la République, d'étendre le mandat des conseillers municipaux (et villageois), et de renvoyer les élections régionales quand bon lui semble. Et cela, sans même avoir à le justifier par une pandémie ou d'autres causes.

Ceux qui espéraient que l'amendement, qui sera débattu à l'Assemblée nationale aujourd'hui, ne concernerait pas les conseillers élus mais les futurs conseillers vont déchanter.

Car, contrairement à l'amendement trinidadien où la question était de savoir si ledit amendement s'appliquerait aux futurs conseillers et aux conseillers déjà élus, pour l'amendement qui sera déposé par Anwar Husnoo aujourd'hui, le gouvernement ne s'est pas embarrassé de phrases ambiguës pour cacher son intention de renvoyer les élections municipales.

Il suffira au Premier ministre (PM) de demander au président de la République d'étendre le mandat des conseillers pour que ceci soit fait. Sauf, bien sûr, si le président Roopun fait ce que Cassam Uteem avait fait dans les années 2000 et refuse d'écouter le PM.

Pourquoi pense-t-on que l'extension des mandats sera appliquée aux conseillers déjà en poste et que donc le gouvernement renverra les municipales ? Tout simplement parce que l'amendement stipule : «At any time during the extended period of the life of the entire Municipal City Council and Municipal Town Councils, or entire Village Councils under subsection (1), the President, acting in accordance with the advice of the Prime Minister, shall, notwithstanding subsection (1), further extend such life for a period of 2 years by Proclamation.»

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Les termes clés sont «extended period» et «further extend». Ce qui voudrait dire, selon l'avocat et député du Parti mauricien social démocrate (PMSD), Khushal Lobine, que l'on utilisera le nouvel amendement pour encore étendre l'extension déjà effectuée en 2021 et en 2022 pour cause de pandémie.

Arme fatale

Lorsque la loi sera votée et obtiendra le consentement du président Roopun, on aura déjà remis l'arme fatale entre les mains du PM, qui pourra en faire usage quand il le voudra.

Cependant, il faudra, pour le troisième acte, que le président étende par décret le mandat des conseillers élus et ainsi renvoyer les municipales pour que le problème de rétroactivité et d'anticonstitutionnalité surgisse.

Car l'amendement en lui-même ne dit pas qu'il s'appliquera aux conseillers déjà en poste. Il incombera donc au président la lourde responsabilité d'étendre le mandat des élus locaux et de renvoyer les élections.

Ce sera probablement la rétroactivité de la décision du président qui sera contestée. Comme relevé dans le jugement Ravi Balgobin Maharaj v Trinidad-et-Tobago, en étendant le mandat des élus locaux, le gouvernement trinidadien usurperait le droit des électeurs à désigner leurs représentants à la fin de leur mandat.

Les Law Lords rappellent surtout que les conseillers régionaux trinidadiens ont été élus pour trois et non pour quatre ans. Autrement dit, à Maurice, ce sera le gouvernement et sa majorité au Parlement qui choisiront les prochains conseillers municipaux, tout simplement en convertissant leur mandat de six à dix ans.

Même si le cas trinidadien est différent du cas mauricien, ce qu'ont prononcé les juges anglais, nous dit Me Khushal Lobine, devrait servir de précédent pour nos décideurs: on ne peut légiférer rétroactivement, surtout pour un sujet aussi important que le droit de voter et le choix des élus dans une démocratie participative. Mais le jugement des Law Lords les inspirera-t-il ou en feront-ils fi ?

Le projet d'amendement libère aussi le PM/président de l'obligation de renvoyer les élections régionales en donnant une ou plusieurs raisons précises, comme, par exemple, cela a été le cas pour les amendements et les renvois des municipales en 2021 et 2022 où le gouvernement a utilisé l'excuse de la pandémie pour le faire.

Même cette excuse est critiquée par l'opposition qui parle d'abus. Cependant, l'amendement ne risque pas de ne pas passer, nous dit Khushal Lobine, qui ne s'attend à aucun sursaut d'honneur de la part des backbenchers de la majorité.

Gardien et violeur de la Constitution ?

Que faire alors ? Si l'opposition parlementaire et extraparlementaire saisit la justice, que peut faire cette dernière ? Selon Me Khushal Lobine, on pourrait demander à la Cour suprême de déclarer anticonstitutionnels l'amendement et la proclamation du président d'étendre la durée du mandat des élus. Or, le président jouit de l'immunité judiciaire, mais il serait blâmé à jamais pour avoir, lui, le gardien de la Constitution, été un complice actif de la violation de cette dernière.

De toute façon, si l'affaire prend plusieurs mois en cour, incluant les appels, nous dit Khushal Lobine, «le jugement ne sera qu'académique car il sera trop tard». C'est pourquoi le député du PMSD espère que le gouvernement et le président n'iront pas contre l'esprit de la jurisprudence qui vient de tomber du Privy Council, qui, rappelle-t-il, est aussi le sommet de notre système judiciaire. Pour Dev Hurnam, en revanche, la Cour suprême pourrait se pencher sur l'affaire et la régler assez vite, comme ce fut le cas pour Trinité-et-Tobago.

Campagne populaire

Khushal Lobine reproche aussi au gouvernement d'avoir présenté le projet d'amendement presque à la veille du débat au Parlement. «C'est une entorse à la démocratie que de n'avoir pas donné assez de temps aux parlementaires pour étudier ce projet pourtant de la plus haute importance.»

Khushal Lobine nous informe qu'une campagne explicative sera de toute façon organisée pour informer les Mauriciens en général et surtout «les urbains qui constituent presque la moitié de la population» de ce viol de la démocratie.

Une rencontre a eu lieu, hier à 14 heures, entre les partis de l'opposition pour coordonner leurs actions, que ce soit pour leur intervention «massive» sur ce projet d'amendement aujourd'hui au Parlement ou pour une action judiciaire. L'action judiciaire devrait attendre le vote de la loi et l'extension des mandats des conseillers par le président, nous rappelle Dev Hurnam.

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