« C'était un risque, mais j'adore les défis. » « Les filles d'Olfa » explore, de l'intérieur, comment deux des quatre filles d'une mère tunisienne sans histoire ont pu devenir jihadistes et se rallier à Daech en Libye après le printemps arabe de 2011. La Tunisienne Kaouther Ben Hania est l'une des deux réalisatrices africaines et figure parmi les six femmes cinéastes en lice pour la Palme d'or du Festival de Cannes 2023. Son film questionne aussi la violence transmise par les femmes. Entretien.
Pour restituer le passé, mettre en scène le réel et imaginer les pièces manquantes de ce parcours vicieux, la mère et les deux soeurs cadettes des deux terroristes islamiques témoignent dans Les filles d'Olfa. Et deux actrices incarnent les deux soeurs aînées, aujourd'hui en prison. Le va-et-vient entre personnages réels et fictifs bouscule tellement nos repères que les actrices deviennent pour nous spectateurs aussi de vrais personnages et les vraies mère et filles se transforment aussi en actrices.
RFI : Votre film Les filles d'Olfa dessine, entre autres, un portrait très profond d'Olfa. C'est une femme issue et vivant dans un environnement très patriarcal, mais c'est plutôt elle qui a battu et humilié son mari que l'inverse. Et c'est elle qui a oppressé ses quatre filles, dont l'une dit de sa soeur ainée devenue jihadiste que le jihadisme était « le seul espace de liberté » qu'elle a eu. Votre film, est-ce un film sur la responsabilité des femmes par rapport à la violence et le jihadisme ?
Kaouther Ben Hania : Mon film est un film sur la transmission. La transmission de mère en fille. La transmission de traumas. Au début du film, on voit qu'Olfa a grandi dans une famille de femmes où elle dit : « Je me suis transformée en homme, j'ai fait de la musculation, je me suis coupé les cheveux, pour défendre ma mère et mes soeurs ». Donc, dans ce milieu, le seul moyen de se défendre, c'était d'adopter les codes du patriarcat, d'être habitée à l'intérieur par un homme toxique. Et ça, cela forme une personne et une personnalité. Elle est à la fois très maternelle, mais aussi très patriarcale. Et cette forme d'oppression, elle l'a exercée sur ses filles. Elle l'avoue dans le film : « J'ai fait subir à mes filles tout ce que j'ai subi quand j'avais leur âge. » C'est une forme de malédiction.
C'est à la fois un documentaire et une fiction. Où se trouvent dans ce film les limites du documentaire rendant nécessaire la fiction ? Et où se trouvent les limites de la fiction qui vous ont obligées de basculer dans le documentaire ?
En réalité, c'est comme des frontières entre deux pays. Quand vous regardez sur une carte, vous voyez une ligne très dessinée, mais quand vous êtes sur le terrain et vous marchez, voyez-vous la ligne ? Moi, je suis dans la frontière entre le documentaire et la fiction, et je pense qu'il n'y a pas de limites. C'est une frontière fictive, faite par les institutions, par les festivals, mais je pense que c'est un film de cinéma. Moi, je le qualifie plus comme un documentaire, parce qu'il a un lien avec la réalité. Il y a des vrais personnages. Et même les actrices dans le film, elles se présentent en tant que comédiennes. C'est aussi un documentaire sur leur travail de comédien. Nous sommes plus dans quelque chose de l'ordre de : il n'y a pas de limite. Pourquoi se mettre des limites ?
Comment les filles cadettes ont-elles réagi après avoir vécu la première mondiale du film à Cannes ? Se sont-elles reconnues dans Les filles d'Olfa ?
Quand j'ai décidé de leur montrer le film, Olfa avait très peur. Elle m'avait dit : « Je vais être horrible. Je sais. Les gens vont me détester, mais de toute façon, je suis horrible. » Mais quand elle avait regardé le film avec ses deux filles, elle a été soulagée. J'ai fait un peu le spectre du personnage. C'est un personnage multidimensionnel. Et les deux petites soeurs étaient très contentes. Elles ont beaucoup aimé le film. Elles m'ont dit : « Nous sommes super dans le film. Merci de nous donner une voix. »
N'ont-elles pas eu peur de voir leur relation avec la mère sur grand écran, une relation souvent imprégnée de violence verbale, mais aussi physique.
Non, elles ne sont pas dans cette peur-là. Elles sont vraiment très courageuses. C'est ce qui m'a frappé et aussi beaucoup aidé. Parce que moi, souvent, j'ai peur pour elles et j'essaie de les protéger. Mais elles ont une force incroyable.