Un mois après le début du conflit, Alfonso Verdú Pérez, chef de la délégation du CICR au Soudan, nous parle des besoins humanitaires pressants et de certains des principaux défis auxquels son équipe doit faire face depuis le déclenchement des hostilités entre les Forces armées soudanaises (Sudanese Armed Forces, SAF) et les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF), le 15 avril dernier.
« Les souffrances ici dépassent l'entendement, et se déclinent en une infinité d'expériences humaines uniques et complexes. Imaginez l'épreuve endurée par celles et ceux qui ont été forcés de quitter leur foyer dans la précipitation tandis que les combats s'intensifiaient. De nombreux civils, parmi lesquels des personnes âgées, des mères de famille et leurs enfants, ou encore des personnes handicapées, sont pris au piège des affrontements dans plusieurs villes du pays, notamment à Khartoum, Al-Junaina, Zalingey et Nyala, et survivent dans d'effroyables conditions : ils sont à court d'eau et de nourriture et n'ont aucun moyen de s'échapper. »
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez, en tant que travailleur humanitaire, dans le cadre de votre mission d'assistance au Soudan ?
Il est profondément démoralisant d'être témoin des immenses souffrances de la population à Khartoum, au Darfour et dans d'autres régions du pays, ainsi qu'à la frontière avec l'Égypte et le Tchad. Alors que nous disposons des ressources et moyens nécessaires, et notamment, à Port-Soudan, de stocks de fournitures humanitaires et d'une équipe spécialement mobilisée pour répondre à la crise soudanaise, il est extrêmement frustrant de ne pas pouvoir fournir sans plus attendre le niveau d'assistance dont les civils touchés par le conflit ont besoin de toute urgence. Dans certains cas, les obstacles sont d'ordre administratif et bureaucratique ; dans d'autres, l'absence de garanties de sécurité suffisantes fait qu'il serait trop risqué pour nous d'intervenir ; et dans d'autres encore, les deux problèmes se superposent.
La communication - l'une des dimensions essentielles de la fourniture d'assistance - reste extrêmement perturbée. Les problèmes de connexion Internet et la coupure des lignes téléphoniques sont des obstacles de taille pour nos opérations.
Ce sont là mes principaux motifs de frustration à l'heure actuelle.
Quelles sont les répercussions des attaques visant les professionnels de la santé et les hôpitaux sur la fourniture de services médicaux à Khartoum ?
Dans la capitale, l'impact du conflit sur les services de soins de santé est dramatique. Environ 80% des hôpitaux et structures médicales ont fermé leurs portes à cause des attaques et des graves pénuries de fournitures essentielles - et notamment de nourriture - qui en résultent. Les salles d'opération et d'autres services essentiels ont besoin d'électricité pour être opérationnels, et les normes d'hygiène très strictes qui y prévalent sont difficiles à respecter en raison du manque d'eau. Cette situation est un parfait exemple du haut degré d'interdépendance des systèmes et services en milieu urbain, ainsi que de l'énorme pouvoir de déstabilisation qu'a la guerre sur cette interconnectivité et, partant, sur l'existence de centaines de milliers de personnes.
Par ailleurs, il est urgent de récupérer les corps des victimes, de les identifier et de les enregistrer. Cela fait partie intégrante des activités que nous menons en collaboration avec nos collègues du Croissant-Rouge soudanais, qui s'occupent, avec notre soutien, de la prise en charge des dépouilles à Khartoum, El Obeid ou encore Zalingei. Ce travail est capital car il permet d'empêcher que les morts disparaissent sans laisser de trace et de renseigner les familles qui parviennent à prendre contact avec nous. Nous avons réussi à mettre en place une « hotline » destinée aux familles qui cherchent à retrouver un proche dont elles n'ont plus de nouvelles, soit parce qu'il a été fait prisonnier, soit parce qu'il a été contraint au déplacement, soit, comme c'est parfois malheureusement le cas, parce qu'il a été tué. À Khartoum, les défis à relever sont innombrables ; le conflit pèse lourd sur le bien-être des professionnels de la santé et entrave l'accès aux ressources essentielles ainsi que le bon fonctionnement de l'ensemble du système de santé local.
Quel rôle joue le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans la promotion, auprès des différentes parties au conflit, du respect du droit international humanitaire (DIH) ?
Le respect du DIH n'est pas seulement une obligation juridique ; la vie de milliers de personnes en dépend. Nous continuons d'appeler les parties à respecter le DIH, aussi bien publiquement que dans le cadre d'un dialogue confidentiel. La situation à Khartoum et au Darfour offre aux parties au conflit une parfaite occasion de mettre le droit en pratique, de lui donner corps sur le terrain. Nous leur expliquons que nous sommes là pour les y aider. Fort de son histoire, de son expérience et de son mandat, le CICR a la capacité et la légitimité requises pour assurer ce rôle de soutien, en collaboration avec le Croissant-Rouge soudanais.
Quelles actions le CICR a menées jusqu'à présent ?
À ce jour, le CICR a fait parvenir gratuitement des médicaments et des fournitures médicales à trois hôpitaux et fourni des sacs mortuaires au Croissant-Rouge soudanais qui s'emploie, au moment même où nous parlons, à prendre en charge une quarantaine de dépouilles. Nous avons joué un rôle d'intermédiaire neutre dans plusieurs opérations de grande envergure, telles que le transfert, aux mains des SAF, de soldats égyptiens qui avaient été capturés par les RSF. Nous avons aussi mis en place une hotline pour l'enregistrement des allégations d'arrestation. Le CICR a par ailleurs été l'une des premières organisations humanitaires à avoir acheminé par avion, jusqu'à Port-Soudan, plusieurs tonnes de secours médicaux ainsi qu'une équipe de travailleurs humanitaires très expérimentés.
Cela peut paraître peu de choses, mais nous avons aussi réussi à maintenir une présence régulière à Khartoum, restant ainsi solidaires de nos collègues résidents, et nous sommes efforcés de protéger notre délégation contre les pillages. Actuellement, une équipe s'apprête à revenir sur place pour organiser le transfert de soldats blessés ; la visite d'un centre de détention - la première à ce jour - est également à l'étude. Bien sûr, tout cela est insuffisant au regard de l'ampleur des besoins et de nos capacités de préparation et d'intervention. Nous devons de toute urgence redoubler d'efforts pour que notre action humanitaire soit à la hauteur de la situation.
Quelles sont les priorités à l'heure actuelle ?
Un mois après le début du conflit, nous voulons concentrer nos efforts sur la promotion de la déclaration de Jeddah et des principes du DIH, ainsi que sur l'importance de les traduire en actes concrets sur le terrain pour le bien de la population soudanaise. En outre, il est indispensable que toutes les parties allègent les procédures administratives en place de sorte que les travailleurs humanitaires puissent s'acquitter de leur mission de manière efficace. Cela suppose, entre autres, de débloquer les secours prépositionnés à Port-Soudan et de faciliter l'acheminement de l'aide jusqu'aux populations touchées à Khartoum et au Darfour. Ce faisant, les parties au conflit, qui détiennent le pouvoir d'agir, contribueront à sauver des vies.
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