Sénégal: Cheikh Mbow, directeur exécutif de la Cosydep - «Faire preuve de vigilance et de dépassement pour bien négocier ces quelques semaines qui nous séparent des examens»

interview

Les activités politico-judiciaires affectent l'école sénégalaise. Entre suspensions des cours et arrestations d'enseignants, les enseignements/apprentissages connaissent des perturbations depuis quelques mois. Le Directeur exécutif de la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l'éducation publique (COSYDEP), Cheikh Mbow, juge la situation «préoccupante». Selon lui, toute la communauté éducative est interpellée afin de trouver des solutions et bien négocier les quelques semaines qui nous séparent des examens de fin d'année.

Les activités politico-judiciaires impactent négativement les enseignements/apprentissages, avec des grèves et des arrestations d'enseignants. Par exemple, à Ziguinchor et Sédhiou, les cours ont été suspendus jusqu'à jeudi prochain. Comment appréciez-vous la situation ?

La situation est très préoccupante. L'impact des influences de la vie politique sur l'éducation est trop pesant ; il se traduit souvent par un assujettissement de l'espace scolaire aux événements politiques. Vous savez, dans une année scolaire, chaque heure perdue impacte les performances. Les conséquences des affaires politico-judiciaires peuvent être nocives aux objectifs éducatifs de l'année. D'ailleurs, c'est pour éviter une pareille situation que la COSYDEP n'a jamais cessé de lancer des alertes. En effet, connaissant les menaces qui pèsent sur le secteur au cours des années préélectorales et électorales, nous avons organisé de larges concertations durant les campagnes «Nos vacances pour l'école» ; la dernière édition a justement porté sur les rapports entre la politique, l'éducation et les périodes électorales.

En outre, les avis émis par nos observatoires régionaux de la qualité de l'éducation confirment que les contestations politiques sont souvent amplifiées par l'espace scolaire et universitaire, à travers des manifestations de diverses formes. C'est pourquoi, nous devons faire preuve de vigilance, de dépassement et de générosité pour bien négocier ces quelques semaines qui nous séparent des examens de fin d'année. Cette période doit être mise à profit pour renforcer les acquis et nous donner les moyens de relever des défis récurrents liés aux exigences d'optimisation des conditions d'amélioration de la qualité du système éducatif. Le jeu des adultes ne doit pas compromettre le processus de construction des futurs bâtisseurs du pays.

Quelles répercussions cela peut avoir sur le système éducatif ?

Nous sommes très inquiets quant au dénouement de l'année. Mais, il y a plus grave. En effet, les suspensions de cours vont léser les élèves de ces localités, si on sait qu'ils vont être évalués selon les mêmes épreuves, sans mesures discriminatoires. Il faut y ajouter que le système éducatif dans ces régions, connait des situations particulières liées à l'insécurité dans certaines zones mais aussi à l'hivernage, avec des écoles pas toujours aux normes. Avec ces grèves et autres suspensions de cours, les inégalités dénoncées vont encore se creuser davantage.

Pire, les manifestations et arrestations d'élèves et d'enseignants, combinées aux mesures de vacances forcées, peuvent être sources d'instabilité et d'insécurité. Il ne faut pas aussi écarter des problèmes de troubles psychosociaux qui peuvent frapper les enseignants et les élèves dans ces situations d'anxiété, comme indiqué par une des recommandations de notre programme LM2C, Lycées Modèles de la Citoyenneté et du Civisme.

Qu'est-ce qu'on doit faire pour épargner les écoles des activités politiques, d'autant plus que nous sommes à moins de deux mois de la fermeture des classes ?

Que faire ? C'est la grande question qui doit interpeller toute la communauté éducative. La COSYDEP, à travers ses notes de position périodiques sur la situation de l'école, appelle à une distinction entre les activités éducatives et celles dans l'espace politique. Nous avons, sans cesse, répété que si nous voulons un climat paisible dans nos écoles, il faut mettre l'éducation à l'abri du jeu des acteurs politiques. Les acteurs doivent, à l'unanimité, faire de cela une règle de conduite, de par leurs actes et leurs discours.

Vous me direz que c'est difficile. Je suis d'accord car de nombreux élèves, enseignants et managers du système se retrouvent dans le personnel des partis politiques. Ces acteurs doivent faire l'effort d'éviter la confusion des genres. Les partenaires sociaux doivent systématiquement être impliqués dans le développement d'un dispositif inclusif de communication et de sensibilisation, pour préserver l'école des activités des partis politiques. Les managers du système doivent s'engager à ce qu'aucune velléité endogène ne remette en cause la stabilité du système. Pour ce faire, il convient de rendre fonctionnel le dispositif de monitoring et de prêter attention aux alertes des partenaires.

Il est clair que : espace scolaire et espace politique font souvent mauvais ménage. C'est pourquoi, convaincus du lien dialectique entre ces deux espaces, nous continuerons à demander au Chef de l'Etat de conduire les parties prenantes vers la restauration de la confiance, gage d'une paix durable. En somme, je pense que la solution serait que nous tous, acceptions de placer l'éducation au-delà des contingences politiques. Nous devons veiller à ce que l'éducation traverse, sans dommages, cette période de turbulence politico-judiciaire.

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