Aux environs de 11 heures, en ce premier dimanche du mois de Ramadan, une vingtaine d'enfants qui ont juste fini de taper dans un ballon, sur l'un des terrains de football du Lycée Malick Sy, se retrouvent avec leur coach à l'ombre d'un arbre, pour un débriefing. Cette école de football à l'image d'autres qui font florès à Thiès, entretient le rêve des plus jeunes de devenir des footballeurs professionnels.
Assis sur sa moto, Alassane Diop, la mine sérieuse, prodigue des conseils sur la tenue et les comportements aux jeunes garçons, membres de la petite catégorie de son école de football, créée il y a quatre ans. Comme s'ils buvaient ses paroles, les adolescents et les plus petits l'écoutent quasi-religieusement.
Natif du populeux quartier de Som, de l'autre côté de la route nationale, dont sont issus la plupart de ses élèves, l'ancien footballeur professionnel a dû écourter sa carrière, pour cause de blessure, pour se reconvertir en entraîneur. Il a créé depuis 2017 son école de football, Pa Jules, qui compte aujourd'hui 113 pensionnaires.
C'est l'un des coaches qui animent la trentaine d'écoles de football, du moins celles reconnues, qui occupent les aires de jeu un peu partout dans la ville de Thiès, une partie de la journée pendant trois jours de la semaine. Jusqu'en 2021-2022, il y avait 54 écoles affiliées à la Coordination nationale des écoles de football (CODEF) dans tout le département de Thiès, dont 34 dans la ville. Sans compter ces structures informelles qui sont légion à travers la ville. Alassane Diop, 32 ans, regroupe chaque dimanche la petite catégorie, sur un terrain du Lycée Malick Sy, pour leur inculquer les rudiments du ballon rond. Les plus grands sont confiés à d'autres coaches avec lesquels ils s'entraînent aussi les samedis et mercredis dans l'après-midi.
Le coach Alassane voit cette activité comme un moyen d'éduquer les enfants de son quartier pour les préserver de la délinquance et de l'errance, tout en les encourageant à avoir de meilleures performances à l'école classique. Par exemple, si Seydina, 15 ans, le capitaine de l'équipe, porte le brassard, il le doit à ses moyennes en classe, qui tournent autour de 15 sur 20. Il insiste sur les valeurs. "Ne venez plus ici avec autre chose que votre maillot et ne le changez plus en quittant ici, et à la fin rentrez !", lance-t-il, en voyant un des garçons s'empresser d'enlever son maillot, après l'entraînement. L'idée est d'éviter que les enfants ne puissent vadrouiller et de faire en sorte qu'ils puissent être repérés à travers la ville.
Concilier sport et études
Comme beaucoup de ses pairs, le vieux Cissokho, entraîneur dans une structure, tient aussi aux études de ses protégés. "Il faut qu'ils étudient. Un professionnel n'ayant pas fait des études, se fait escroquer où qu'il aille, explique-t-il. En plus, tu peux devenir gouverneur, député, avocat". Il se souvient de ses anciens élèves qui n'ont pas réussi dans le football, mais qui ont fait carrière dans d'autres domaines, tous ne pouvant pas devenir footballeurs professionnels.
"Je ne forme pas des footballeurs, je forme des hommes", dit à ce propos Pape Abdoulaye Sow, un des pionniers de écoles de football à Thiès. L'actuel président de la coordination départementale des écoles de football, accorde une place centrale à l'aspect éducatif des écoles de football. "Sur 100 jeunes, un seul sera professionnel et il passe par Génération Foot, Diambars ou Dakar Sacré-Coeur", relève-t-il. D'où la nécessité de les préparer à être de bons citoyens et à se réaliser quel que soit le domaine où ils seront appelés à s'activer. Il garde le souvenir de cet enfant en difficulté dans sa famille qu'il accueillait dans son école de football et qu'il aidait à poursuivre ses études. Aujourd'hui il est devenu un commandant de la gendarmerie, dit-il, relevant que la récompense divine reste sa seule motivation.
Professeur d'EPS au Lycée Malick Sy de Thiès, Ousmane Diédhiou, connaît bien la valeur des études. Il ne badine pas non plus avec les bonnes performances scolaires. Ceux qui ont de mauvais résultats à l'école sont écartés du groupe, en guise de punition, et de pression, renseigne ce résident de Grand-Thiès, qui a mis sur pied récemment sa structure : Référence. Lui aussi compte sur les terrains de son établissement pour aider ses jeunes élèves-footballeurs à s'exercer. A raison de trois par semaine, les mercredis soir, samedi soir et dimanches matin, les séances qui ne dépassent pas deux heures. Il travaille en étroite collaboration avec les parents, et fixe des règles strictes. Par exemple, il est interdit aux enfants de jouer au football dans les rues, au risque de se faire exclure.
Les écoles de football qui font florès à Thiès sont le fait, la plupart du temps, d'initiatives privées de bonnes volontés qui cherchent à accompagner les plus jeunes et leurs parents dans la réalisation de leur rêve de devenir des footballeurs professionnels et surtout d'aller faire carrière à l'étranger.
La plus grande satisfaction qu'en tirent les responsables, n'est pas pécuniaire, elle est humaine : la marque de reconnaissance dont lui témoignent leurs anciens élèves ou les parents de ces derniers ou encore le simple fait de rencontrer l'un d'entre eux, devenu un haut cadre de l'administration ou ayant réussi sa vie, fait valoir Alassane Diop. Après six ans, il voit déjà le fruit de son travail : l'un de ses anciens poulains aujourd'hui gardien au CNEPS FC, revient souvent le voir à l'école de football, un autre qui a signé dans un club à Pau, en France, a renoncé à son billet d'avion pour les vacances, pour lui envoyer 30 ballons, raconte-t-il.
Manque de moyens, précarité : la complainte des responsables d'écoles
Faute de moyens, gérer une école n'est pas de tout repos. La complainte est presque unanime chez les responsables d'écoles, qui partagent le sentiment d'être laissés à eux-mêmes, et d'être peu valorisés. Ce sont des écoles sans locaux qui squattent les terrains vagues, convoités aussi par certains clubs et équipes de quartier qui viennent aussi y jouer, face au manque criant d'aires de jeu dans la ville. "On est les malaimés, on ne nous prend pas au sérieux", se désole Ousmane Diédhiou.
"C'est nous qui faisons tout le travail (à la base). Nous les formons, et ensuite, la Fédération et Diambars viennent leur faire des tests, pour les amener et nous ne recevons rien en retour", regrette le vieux Boubacar Cissokho, entraîneur au Rapid Club de Diamaguène (RCD), une école de football créée depuis 2006 par Djim Fall. "Peut-être qu'avec le temps, nous aurons des retombées, mais pour le moment, nous n'avons rien", relève le sexagénaire.
Bien que son école ne réclame pas de paiement mensuel, elle achète tout le matériel qu'utilisent ses pensionnaires. Les écoles de football connaissent des fortunes diverses, même si de manière générale la précarité est la même. "Il y a des écoles dont les pensionnaires paient à la fin du mois, mais d'autres non.
Pour certaines, c'est 2000, d'autres, 5000 FCFA". "Ni l'Etat, ni la municipalité ne nous soutient, nous nous débrouillons avec nos propres moyens. C'est dur, n'est-ce pas ?", dit-il.
Il déplore que la plupart des anciens élèves qui réussissent, ne reviennent pas faire un geste à l'endroit de leur école d'origine, "comme le fait Sadio Mané". "Ils oublient que nous avions galéré ensemble avant qu'ils n'en n'arrivent là". Mais il en faut plus pour décourager ce fils d'artiste qui a commencé à coacher des footballeurs à l'âge de 18 ans. "Mon père Soundioulou Cissokho était musicien, tout comme tous mes frères. Après un passage à l'école des arts où j'ai appris la musique, ma mère s'est opposée à ce que je devienne musicien. Déboussolé, je me suis rabattu sur le sport", raconte-t-il. Il a passé sa licence D d'entraîneur, alors qu'il était déjà très âgé.
"On se débrouille avec les moyens du bord" pour acheter le matériel didactique, notamment des ballons, des chasubles (dossards), des cerceaux, plots, échelles, pour travailler la coordination, relève Diédhiou, qui ne compte que sur les inscriptions des élèves ou l'appui de bonnes volontés du quartier, dont d'anciens footballeurs. Diédhiou, qui est coach à Amitié Football club, un club de ligue 2, où il gère toujours la catégorie des cadets, a ouvert cette année son propre centre, surtout par passion, dit-il. "Ce n'est pas évident d'être tout le temps avec des enfants, mais on est habitué en tant qu'enseignants". L'année dernière, son école était à 30 joueurs, répartis en trois catégories : pupilles, benjamins et minimes.
"Les gens travaillent, parce qu'en voyant les résultats des championnats, que ce soit en U20, et consorts, c'est clair que ce sont les jeunes sortis des écoles de football qui en sont à l'origine, mais les retombées font défaut", s'offusque aussi Ousmane Diédhiou. "On est vraiment laissés en rade", poursuit -t-il, notant que beaucoup de jeunes qui disent sortir de Diambars ou Génération foot sont en réalité les produits de ces écoles de foot "aux pieds nus". "C'est nous qui les formons, ensuite ces derniers organisent des tests et prennent les meilleurs". Le problème est qu'ils ont des moyens que nous n'avons pas.
Il note toutefois une évolution positive, avec Génération et l'Institut Diambars qui ont commencé à signer des protocoles d'accord avec l'école de football d'origine, afin de leur verser des ristournes, au cas où leur ancien élève signerait avec un club étranger.
Diambars, par exemple, reverse 10% à l'école de football (au club) formatrice, là où Génération Foot ne parle pas pour le moment d'argent, mais se contente d'un appui en matériel, note le coach Ousmane Diédhiou. Ce sont des acquis que nous allons préserver, mais nous nous battons pour que cette pratique soit généralisée.
"Ici, l'école de football, c'est dans le sang, lance non sans fierté Cissokho. Ceux qui travaillent deviennent de grands footballeurs". Pour lui, Thiès est un "grenier" de footballeurs que les autorités n'appuient pas suffisamment. Il a vu passer des joueurs de renom comme Kader Mangane, Ousmane Ndoye, Moussa Traoré, Habib Traoré, Seydou Tavarez, Dame Ndoye, Habib Diallo.
Parmi les éléments du coach Alassane Diop, Mohamed Ndiaye, un neveu du parrain de l'école de football qui a été encouragé par ses parents à s'y inscrire depuis 2022. "Le football n'entrave en rien mes études, car les horaires d'entraînement ne coïncident pas avec ceux des cours. Nous faisons de la préparation physique, des matchs entre nous", confie-t-il.
Aliou Diène, 15 ans, élève à l'école Abdel Kader de Mbour 1, qui est aussi de Som, s'est est inscrit à Pa Jules depuis 2019. A la question de savoir pourquoi une école de football, il rétorque sans sourciller : "Pour signer". Il dit vouloir suivre les traces de Sadio Mané et autres grands noms du football sénégalais. Pourtant, il reçoit gracieusement des équipements de son coach, qui comme la plupart de ses collègues, fait preuve de beaucoup de volontarisme dans l'accomplissement de sa tâche. "Au quartier, quand les gens me voient aller aux entraînements, ils disent que je suis farfelu", relève-t-il, visiblement indifférent à ces remarques.
Elève en classe de CM2, Aboubacar Cissokho, le plus ancien du groupe, est venu à l'école Pa Jules, après avoir supplié son père de lui donner une chance. Féru de football, ce jeune libéro qui prend comme référence le défenseur de l'équipe nationale Kalidou Coulibaly dit aussi espérer "signer" un jour un contrat à l'étranger.