Sénégal: Coach Pape Sow, pionnier et icône des écoles de football à Thiès

Les réunions de la Coordination des écoles de football du département de Thiès (CODEF) les mercredis et lundis soir à l'inspection départementale des sports et de l'élevage, rythment sa semaine. Le nom de Pape Abdoulaye Sow, ou coach Sow, se confond à cette structure qu'il dirige depuis sa naissance en 2018. Rien de surprenant si la communauté des écoles de football choisit un des pionniers dans ce domaine à Thiès pour diriger leur regroupement.

Blottie derrière le marché central de Thiès, sur cette avenue qui débouche sur le rond-point Nguinth, une vieille bâtisse blanchie par les fientes des hérons qui nichent au faîte des cailcédrats géants, sert de quartier général à la CODEF de Thiès. Autour d'une table placée à l'entrée d'une salle spacieuse, qui leur est dédiée, il planche avec les autres membres du bureau sur différentes questions liées à la vie des écoles de football.

L'ancien gardien du Rail, surnommé alors Okola, du nom d'un gardien de but nigérian de l'époque, se présente comme parmi les membres fondateurs de la première expérience d'école de football de Thiès, Alao Fari en 1988-89. Avec ses pairs Lucien Preira, Thiécodou Sarr, Pa Jules Ndiaye, ils avaient démarré un championnat entre la demi-douzaine d'écoles de football. En ce temps, on parlait de mouvements de jeunesse, se souvient-il.

Les plus grands se regroupaient les dimanches au stade Lat-Dior pour des matches avec comme seule récompense, à la fin, des oranges distribuées aux joueurs. De là, est née l'idée de créer une association des écoles de football. Après son initiation comme entraîneur, il crée sa propre école de football en 1990, alors qu'il était un footballeur en fin de carrière.

L'inspection régionale des sports avait eu l'idée d'implanter une école de football dans chaque quartier pour permettre aux personnes ayant suivi l'initiation, d'exercer leurs compétences, se rappelle-t-il.

De 1990 à 1992, le phénomène s'est amplifié, il y avait de plus en plus d'écoles. En 1995, il y en avait 10 dans Thiès, raconte coach Sow, à la fois acteur et témoin de l'avènement de ces écoles. C'est cette année que l'Union communale des écoles de football de Thiès (UCEFT) a vu le jour, pour devenir cinq ans plus tard l'UDEFT, en s'élargissant au département. Au fil du temps, les choses sont allées crescendo, et presque tous les quartiers ont eu leur école. Elles ont commencé à se professionnaliser et à mettre sur pied un championnat régulier, respectant les catégories de joueurs selon le poids et la taille, relève-t-il.

Un exemple d'altruisme

Les dirigeants locaux en avaient décidé ainsi après qu'un joueur s'était fracturé la jambe, suite à un contact avec un adversaire de plus grand gabarit, lors d'un match à Maniang Soumaré. De retour d'un stage en France en 2001, feu Samba Diallo avait ramené toute une documentation sur les écoles de football. C'est alors que les responsables locaux ont pris connaissance des notions d'U15, U7, U9, U11, U16, U17 jusqu'à U23, conte avec beaucoup d'enthousiasme, cet homme riche de 35 ans de carrière dans les écoles de football. Soit plus de la moitié de ses 62 ans.

Pape Sow est un exemple d'altruisme. "Depuis 90, je me forme et je forme des gosses", se targue-t-il, ne cachant pas sa satisfaction quant au rôle qu'il est appelé à jouer, et qui au-delà de son aspect purement sportif, porte sur les valeurs. "Je ne forme pas des footballeurs, je forme des hommes", aime-t-il à dire. "J'ai formé beaucoup de fonctionnaires, des bureaucrates, des policiers, des gendarmes, des soldats, des commandants", égrène-t-il, en guise de palmarès.

Son école de football insiste sur les performances scolaires, puisque la réussite de l'enfant et son avenir restent son principal objectif. Ses élèves sont tenus de présenter leurs bulletins de notes, après chaque évaluation semestrielle. Quand un enfant n'a pas de moyenne en classe, il est suspendu des entraînements, et ne réintègre le groupe que lorsque ses notes s'amélioreront.

"Ce faisant, tu aides le parent", estime-t-il. Il se remémore encore le cas de cet enfant issu d'une famille recomposée, qui subissait les brimades de la nouvelle épouse de son père. "Il venait manger chez moi où il satisfaisait une bonne partie de ses besoins. C'est moi qui lui achetais des équipements", se souvient-il. Son ancien protégé est aujourd'hui un commandant de légion dans la gendarmerie, dit-il, sourire aux lèvres. Lui rend-il l'ascenseur ? Ce n'est pas important à ses yeux. Pour lui, seule compte la récompense divine.

"C'est Dieu qui nous paiera", lance-t-il. Par expérience, il a remarqué que "dans une école de football, sur cent joueurs, tu auras un professionnel sur cinq à six ans et ce joueur passera par Génération Foot, Diambars ou Dakar Sacré-Coeur, avant d'aller à l'étranger". C'est pour cette raison d'ailleurs qu'un centre comme Génération Foot insiste sur les études de ses pensionnaires, relève-t-il.

Comparant sa génération des années 80 à celle d'aujourd'hui, son verdict est sans appel : "Nous sommes de loin meilleurs qu'eux. Si nous avions le peu de moyens qu'ils ont, nous serions tous des professionnels".

L'impact des écoles de football sur les récentes performances à différents niveaux du football sénégalais

"Tu ne pouvais pas imaginer porter les équipements que mettent les garçons d'aujourd'hui. Tu avais une paire de gants pour six à sept ans et il fallait les prêter à un ami. "Les godasses, c'était de l'or". La paire te coûtait dans les 50.000 à 60.000 francs CFA et quand tu les avais, tu ne pouvais pas te permettre de les prêter à quelqu'un. "Les maillots, n'en parlons pas". A Thiès, tout le monde connaissait Pape Sow, plus connu sous le surnom Okola. Gardien de buts à Lat-Dior (ex-Thiès FC), où il débute en 1981-82, il signe à l'ASC Ndiambour (83-85), ensuite au Rail en 86-88, pour terminer sa carrière à la SONACOS de Kaolack (88-90).

Pour Pape Sow, l'impact des écoles de football sur les récentes performances à différents niveaux du football sénégalais, est indéniable. "Tous les professionnels en équipe nationale sont passés par les techniciens des écoles de football", tranche-t-il. Il établit un lien entre la naissance en 2018 de la Coordination nationale des écoles de football (CONEF) et les résultats du Sénégal.

"Ce sont les cinq dernières années où le Sénégal a commencé à émerger, après la création de la CONEF, avec les sélections U17, U20 et maintenant nous sommes champions dans toutes les catégories", soutient l'entraîneur. Il regrette que l'encadrement au plus haut sommet "ne (les) écoute pas", en tout cas pas comme il se doit, ces orfèvres qui "travaillent" l'enfant à la base, pour livrer un "produit fini". "Celui qui a semé et arrosé, doit être consulté" pour l'utilisation ultérieur du produit récolté, estime-t-il.

Il a été témoin de la genèse des écoles de football au Sénégal, avec Thiès comme berceau. "Le départ, c'est ici", dit-il fièrement, racontant la longue aventure depuis les mouvements de jeunesse à la fin des années 1980, jusqu'à la création de l'union UDEFT, qui a servi de base à la fondation en 2018 de la CONEF, avec ses démembrements régionaux (COREF), départementaux (CODEF), et communaux (COSEF).

"Tous les règlements en matière de football pour les jeunes, appliqués par les écoles de football au Sénégal, viennent de Thiès, parce que depuis 95, nous tenons un championnat régulier en U15 et des plateaux", dit-il. En 2021-2022, la CODEF de Thiès comptait 54 écoles de football affiliées. Ce chiffre sera revu à la hausse cette année 2022-23, avec l'arrivée de nouvelles écoles.

Rien que dans la cité du rail, 34 écoles sont membres de cette instance. Il s'attend à ce que ce chiffre soit revu à la hausse après le recensement de cette année 2022-23, avec les nouvelles adhésions. "Ici, tous les techniciens sont diplômés, certaines écoles ont deux à trois techniciens", selon Pape Sow. "Pour intégrer la CODEF, il faut au minimum un diplôme (d'entraîneur) de licence D".

"On est tellement bien organisés", se réjouit celui que certains surnomment "Pa allemand", pour sa rigueur, témoigne Pape Mamadou Ndao, journaliste à la station locale de la RTS, et coach dans ses heures libres à l'école de football Thesa, grâce à l'encadrement du doyen Pape Sow. L'organisation, la méthode et la rigueur font figure de palliatif, en l'absence de subvention de la part de l'Etat et de la commune.

"Peut-être que les choses peuvent changer d'ici deux ou trois ans", après que les trophées successifs du Sénégal, ont révélé au grand jour, leur travail en sourdine, espère-t-il. "Les formateurs des écoles de football devaient être les plus riches du Sénégal, mais nous sommes les plus pauvres, les gens ne nous (respectent) même pas".

"J'ai fait toute ma carrière de football et toute ma carrière d'entraîneur", je suis titulaire de la licence B, le plafond au Sénégal, mais on ne nous écoute pas", se désole-t-il, exprimant son engagement à continuer à se rendre utile. "Nous sommes toujours au service du Sénégal et des gosses. Si nous voulons améliorer le football thiéssois, il faut qu'on appuie les écoles de foot en matériel.

"Toutes nos difficultés se résument au matériel d'entraînement. Si nous l'avons, nous ne demandons pas plus, et le Sénégal sera de plus en plus performant", dit-il.

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