Mali: Six mois après l'interdiction des financements français, comment les ONG s'adaptent

Des réfugiés maliens dans le camp de Mbera, en Mauritanie (photo d'archives)

Au Mali, cela fait six mois que les autorités de transition ont interdit tout financement français aux ONG travaillant sur le territoire malien. La décision avait été annoncée de manière fracassante le 21 novembre dernier, en représailles à la suspension par la France de son aide au développement à destination du Mali. Seuls les financements d'urgence avaient été maintenus par Paris avant d'être interdits par Bamako. Une décision qui avait suscité d'immenses inquiétudes dans le secteur humanitaire au Mali. Six mois après, un premier bilan peut déjà être tiré. Quelles sont les conséquences de cette décision ? Comment les ONG maliennes et internationales se sont-elles adaptées ?

« Sur tous les programmes que nous avions suspendus, un seul a été définitivement abandonné », explique le directeur des programmes d'une ONG humanitaire française d'envergure, qui intervient principalement dans le nord et dans le centre du Mali. « Pour les autres, nous avons repris au bout de quelques semaines. »

Environ 30% des activités au Mali de cette ONG étaient financés par des fonds publics français. Ces activités sont désormais couvertes par d'autres bailleurs internationaux, notamment par l'Union européenne. Le personnel français dans le pays a été légèrement réduit, mais aucun salarié malien n'a dû être licencié.

Quant aux fonds français de l'association qui étaient initialement affectés au Mali, principalement pour de l'urgence alimentaire, ils ont été redéployés vers d'autres pays sahéliens voisins. Après avoir un temps envisagé de devoir quitter le Mali, le directeur des programmes de cette ONG française se dit confiant pour la suite de ses activités dans le pays. « Ce sont nos interlocuteurs en région, les autorités locales, qui nous aident le plus, explique cette source, car elles font le relai avec le pouvoir central en exprimant clairement leurs besoins. »

Pas de forage, pas d'éclairage

Au total, une quarantaine d'ONG françaises intervenait au Mali au moment où les autorités de Bamako ont annoncé leur décision, selon les chiffres fournis à l'époque par Paris. Pour rappel, Bamako n'a pas interdit les ONG françaises, mais les financements publics français ainsi que l'appui matériel ou technique de la France. Sollicitée par RFI, l'ambassade de France au Mali n'a pas été en mesure de préciser avant la parution de cet article si ce chiffre était toujours valable. Également sollicitée par RFI, l'AFD (Agence française de développement) n'a pas souhaité donner suite en raison du « contexte ».

Le responsable au Mali d'une importante ONG humanitaire internationale, qui intervient principalement dans les régions du Nord, dresse un constat un peu moins serein : « Il y a six mois, nous avons suspendu tous les programmes qui étaient financés par l'AFD (Agence française de développement), ce qui représentait environ 30 à 40% de nos activités. Ces programmes sont toujours arrêtés aujourd'hui. » Les bailleurs approchés se sont d'abord montrés à l'écoute, mais n'ont finalement pas accepté de se substituer aux financements de l'AFD.

« La conséquence, c'est que nous devions creuser des forages que nous n'avons jamais creusés, ce qui pose des problèmes d'accès à l'eau potable et renforce les risques de maladie. Nous devions aussi équiper en éclairage des centres de santé pour permettre le travail de nuit, cela n'a pas été fait. Il y a beaucoup d'exemples comme ceux-là. » Le responsable de cette ONG humanitaire, qui poursuit par ailleurs ses activités d'aide alimentaire ou médicale d'urgence, continue de rechercher des financements alternatifs et espère réussir, peut-être l'année prochaine, « à combler le gap ».

Financements alternatifs

Selon les informations collectées par RFI auprès de nombreuses sources directes, une part importante des organisations humanitaires, maliennes ou internationales, ont « réussi à faire la bascule », selon les termes employés par l'une de ces sources. En clair, malgré de vives inquiétudes initiales et une période de flottement de quelques mois, des financements alternatifs ont souvent pu être trouvés pour permettre la poursuite des activités. Malheureusement pas toujours, et dans des proportions variables.

Du côté des ONG maliennes, la secousse n'a pas été moins forte, même si les organisations locales ont, elles aussi, su s'adapter. « Environ 60% des activités que nous avions suspendues ont pu reprendre grâce à d'autres bailleurs », témoigne le dirigeant d'une ONG malienne du secteur de la santé, qui dépendait pour un quart de financements français et qui préfère ne pas citer les bailleurs ayant rapidement accepté de pallier ce manque. « Cela veut quand même dire que 40% des activités que nous avions stoppées sont toujours à l'arrêt, déplore cette source. Pour certaines, nous continuons de chercher des financements, pour d'autres, elles ne pourront pas reprendre. C'est vraiment dommage, ce sont des vies engagées ! »

Ce responsable associatif malien explique aussi que certains programmes, de recherche notamment, étaient menés en lien avec des confrères français qui, après la décision de Bamako, ont été rappelés en France. « Nos équipes locales poursuivent leur travail, se lamente cette source, mais elles sont fortement handicapées par ces départs. » Les sources interrogées pointent la difficulté de remplacer les financements de l'AFD, le plus souvent consacrés à des projets de plus long terme et non à de l'urgence. Certaines ONG maliennes ont ainsi été contraintes de licencier une partie de leurs salariés.

Commission de suivi et de contrôle

Il y a six mois, les autorités maliennes de transition avaient aussi annoncé la création d'une « Commission nationale de coordination, d'évaluation, de suivi et de contrôle des associations et ONG », avec des ramifications dans les régions et les localités maliennes. Objectif : veiller au respect de l'interdiction faite aux ONG opérant au Mali de bénéficier de financements français. Et surveiller, plus généralement, l'origine de leurs fonds.

Cette commission n'est pas rattachée à l'Action humanitaire, mais au ministère de l'Administration territoriale, devenu la tour de contrôle du financement et des activités des 294 associations, organisations non gouvernementales ou fondations recensées en décembre dernier par les autorités de Bamako. Avec des obligations nouvelles et encore plus drastiques pour les ONG internationales.

Lourdeur et transparence

« Chaque mois, nous devons fournir les rapports financiers, les contrats, et nous les partageons au niveau des communes, du gouvernorat, des autorités nationales... C'est lourd, c'est vraiment très lourd ! » Ce responsable au Mali d'une ONG internationale reconnaît l'utilité de cette démarche de transparence, et juge normal de se soumettre aux lois du pays, mais il déplore une immense perte de temps. « Ça nécessite chaque mois plusieurs journées de travail, abonde un autre responsable associatif, il faut parcourir de grandes distances, mobiliser des moyens humains et logistiques... Tout cela au détriment de nos activités de terrain ! »

Les acteurs humanitaires interrogés reconnaissent en revanche, pour la plupart, que l'administration malienne joue le jeu et que, globalement, « la machine fonctionne » : « Cela a suscité des retards dans le démarrage de certains programmes, témoigne l'un d'entre eux, car nous n'avons pas toujours les autorisations dans les temps, mais nous n'avons jamais été empêchés de travailler. » « C'est fastidieux, ça fait beaucoup de rapports à fournir et de distance à parcourir, mais on s'adapte ! On essaye de s'y prendre tôt, on y arrive », résume un directeur d'ONG, qui s'approprie avec humour le terme de « résilience » habituellement réservé aux populations bénéficiaires de ses projets.

Menace

Certaines des sources humanitaires considèrent tout de même ces dispositifs de contrôle comme « une menace ». « On ne sait pas ce qu'ils font de toutes les données que nous leur transmettons », estime un cadre au sein d'une ONG internationale. Plusieurs sources jugent que ces dispositifs de contrôle sont une épée de Damoclès que les autorités maliennes de transition pourront utiliser, au moment opportun, comme moyen de pression ou de rétorsion.

Pour empêcher certaines activités dans des zones où l'armée voudrait avoir le champ libre, ou dans le cadre d'un différend avec un autre État, par exemple. À ce stade, il ne s'agit que de craintes exprimées. Sollicité par RFI, le ministère malien de l'Administration territoriale n'a pas répondu.

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