Burkina Faso: Angeline Savadogo, analyste des données sécuritaires, à propos de la lutte contre le terrorisme - « Il faut prioriser l'action militaire cinétique (...)»

interview

Elle est jeune et s'intéresse aux grandes questions du moment au Pays des Hommes intègres. Des relations internationales à la géopolitique en passant par les mouvements associatifs, elle touche à tout.

Angeline Wendpouiré Savadogo, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, est « Data Analyst » ou analyste des données. Parallèlement à cette fonction, elle est, entre autres, la Présidente de l'association Children's Dream, membre fondateur de la Société burkinabè de géopolitique (SBG), blogueuse sur l'actualité politique et diplomatique et membre du groupe de jeunes de l'Organisation du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (OTICE). Celle que nous avons interviewée dans la matinée du 5 avril 2023, a été lauréate du Programme American Young Women Political Leadership School, lauréate du trophée panafricain Africa Mousso 2022.

Sur le plan académique, Angeline Wendpouiré Savadogo est titulaire d'une licence en Sciences et techniques de l'information et de la communication, option communication pour le développement de l'Université Joseph Ki Zerbo, précisément à l'Institut panafricain d'études et de recherches sur les médias, l'information et la communication (IPERMIC) et d'un master 2 en diplomatie et relations internationales de l'Université libre du Burkina.

Vous vous intéressez beaucoup à la diplomatie, aux relations internationales. Qu'est -ce qui vous motive ?

Le Burkina Faso fait face à de nombreux défis économiques et sécuritaires. Dans le même temps, le monde traverse une crise géopolitique et géostratégique. L'Afrique se retrouve donc au coeur de la lutte d'influence des grandes et moyennes puissances. Je rêve d'un Burkina Faso libre et capable de faire des choix stratégiques pour son développement. Et pour y arriver, nous devons travailler à maîtriser et à redéfinir notre coopération bilatérale et multilatérale. Il est donc important qu'en tant que Burkinabè, nous nous formions dans ces domaines pour espérer apporter notre modeste contribution. Et c'est ce que nous essayons de faire tous les jours.

Vous êtes membre fondateur de la Société burkinabè de géopolitique (SBG)· Quels sont les objectifs, les missions et les moyens d'action de cette association ?

La Société burkinabè de géopolitique est une organisation centrée sur le développement d'une nouvelle dynamique de réflexion, d'analyse, de recherche et de plaidoyer sur les enjeux géopolitiques, géostratégiques et géo-informationnels. Elle vise également la diffusion de nouvelles idées et l'éducation citoyenne aux enjeux géopolitiques à travers de agoras.

A cela s'ajoute la promotion d'une approche intégrée du développement qui valorise les acteurs et les ressources socioéconomiques, culturelles et naturelles du territoire. Se référant aux défis sécuritaires actuels, la SBG se donne pour mission de mener des études, analyses dans les domaines de la sécurité, de la défense, de la gestion du territoire.

Quel regard portez-vous sur la diplomatie burkinabè actuelle ?

La diplomatie burkinabè connaît de profondes mutations et est confrontée à plusieurs défis. Le renforcement de la coopération entre le Burkina Fao et certains partenaires tels que la Russie, la Corée du Nord, l'Iran, contraint la diplomatie burkinabè à trouver une adéquation entre ces pays et les partenaires traditionnels. Le pays s'active à intensifier sa coopération militaire avec des partenaires capables de répondre efficacement à ses attentes.

Dans le même temps, face aux défis majeurs en matière de développement économique et social, le pays doit travailler avec ses partenaires diplomatiques pour impulser le développement économique et social. Etant membre de plusieurs organisations régionales telles que la CEDEAO et l'Union africaine, il est essentiel, pour le Burkina Faso, de renforcer sa coopération avec cesdites institutions et les pays voisins. Toute chose qui lui permettra de mieux gérer les défis régionaux, à savoir le terrorisme, la criminalité transfrontalière, etc.

Une femme (Olivia Ragnaghnewendé Rouamba, Ministre des Affaires étrangères et de la coopération régionale) dirige la diplomatie burkinabè actuelle. Comment avez- vous accueilli sa nomination ?

Je l'ai bien accueillie. Elle a l'expérience et les compétences requises pour avoir travaillé dans diverses organisations et institutions dans le domaine de la gouvernance, de la coopération internationale et des droits de l'Homme. Aussi, je pense qu'avoir une femme ministre des Affaires étrangères, aide à améliorer la représentation des femmes dans les affaires politiques d'une part, et à inspirer les femmes à poursuivre leurs carrières dans ce domaine, d'autre part.

Les postes dans le domaine de la diplomatie ont longtemps été occupés, en grande partie, par des hommes. Heureusement que ces dernières années, il y a eu une augmentation significative du nombre de femmes dans le monde diplomatique. Ces femmes ont apporté leurs contributions et des avancées significatives dans les relations internationales.

Le Burkina Faso vient de se rapprocher de la Corée du Nord. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ? Pensez-vous que ce rapprochement peut avoir des avantages pour le pays ?

Le Burkina Faso est dans la dynamique de diversifier ses partenariats en explorant ou en renouant avec tout partenaire capable de répondre favorablement à ses besoins du moment. Actuellement, nous avons beaucoup de défis sécuritaires et le Burkina peut tirer des avantages de la Corée du Nord. C'est un pays qui a une industrie de défense. Il peut vendre ou offrir des équipements militaires et des technologies de pointe au Burkina.

La Corée du Nord possède également un important potentiel en matière de développement industriel, notamment dans les secteurs de l'énergie, de l'agriculture, de la construction et de l'industrie minière. Il faut aussi signaler que cette coopération mérite des études comparatives singulières sur les enjeux et les risques qu'elle comporte. Ne perdons pas de vue que c'est un pays qui est soumis aux sanctions internationales en raison de ses activités nucléaires et balistiques et de ses violations des droits de l'Homme.

Ces sanctions ont été adoptées par plusieurs organisations et pays, notamment les Nations unies, l'Union européenne, les Etats-Unis d'Amérique, le Japon, la Corée du Sud pour ne citer que ces pays. Les sanctions ont pour but de limiter la capacité de la Corée du Nord à financer et à poursuivre ses programmes d'armes nucléaires et balistiques, de faire pression sur le régime pour qu'il respecte les normes internationales en matière de droits de l'Homme.

« La philanthropie n'existe pas dans les relations internationales »

Lesdites sanctions comprennent des interdictions sur les exportations de certains biens et technologies, des restrictions sur les importations de pétrole et d'autres produits d'une part, et des mesures visant à limiter les transactions financières avec la Corée du Nord d'autre part. Les organisations et pays cités plus haut sont de grands partenaires techniques et financiers (PTF) du Burkina Faso.

Et la Russie ?

Le renforcement de la coopération entre le Burkina Faso et la Russie peut apporter plusieurs avantages sur les plans sécuritaire, économique et social pour les deux pays. La Russie, en plus d'être le premier pays fournisseur d'armes en Afrique, a une expertise en termes de formation militaire, de renseignement et de déminage. Dans le domaine économique, la Russie peut apporter son expertise et son expérience en matière d'industrialisation et de modernisation de l'agriculture au Burkina Faso.

En échange, le Burkina Faso peut offrir à la Russie des opportunités commerciales et d'investissement dans des secteurs tels que l'exploitation minière, l'agriculture, l'énergie et les infrastructures. Sur la scène internationale, le Burkina Faso peut bénéficier du soutien diplomatique de la Russie lors des votes aux Nations unies et vice-versa. Au-delà de ces aspects, il y a aussi la coopération dans les domaines de la formation, la science, la technologie, l'ingénierie et les mathématiques, permettant de renforcer les capacités du Burkina Faso dans ces domaines qui sont essentiels pour le développement économique et social.

Dans tous les cas, le Burkina Faso doit intensifier sa coopération avec la Russie ou tout autre pays, tout en ayant conscience que les interventions ne sont pas toujours gratuites. Ces pays agissent le plus souvent sur la base de leurs intérêts économiques, diplomatiques, géostratégiques, etc. La philanthropie n'existe pas dans les relations internationales.

La situation sécuritaire est très préoccupante au Burkina Faso. Quelles sont, selon vous, les causes de cette crise ?

La crise sécuritaire au Burkina Faso est multifactorielle, résultant d'une combinaison de facteurs politiques, économiques, sociaux et régionaux. Il s'agit d'abord de la pauvreté et de l'exclusion sociale. La pauvreté, l'injustice sociale créent un terrain fertile pour les groupes armés qui les exploitent pour recruter des membres. La crise sécuritaire au Burkina Faso est également liée à l'instabilité et la porosité des frontières des pays du Sahel. On peut aussi dire qu'il y a une crise entre le monde rural et le monde urbain.

La décentralisation chantée est partielle. On assiste à une centralisation excessive avec un contrôle excessif sur les décisions et les ressources allouées aux collectivités territoriales décentralisées. Ce qui limite leurs capacités à agir de manière autonome et à répondre aux besoins locaux. Les conflits entre éleveurs et agriculteurs sont des phénomènes qui accentuent les conflits entre les communautés. La déstabilisation politique qui a créé un vide politique, a été exploitée par des groupes armés. Enfin, la volonté des groupes armés est d'établir un califat au Sahel, après la défaite de Daesh en Syrie et en Irak.

Faut-il, oui ou non, négocier avec les groupes armés ?

Il faut des solutions politiques pour les populations locales qui grossissent les rangs des terroristes à cause de certains facteurs endogènes énumérés plus haut. Les méthodes douces dans la lutte contre le terrorisme sont des méthodes intéressantes, car elles reposent sur des approches non violentes et non coercitives pour prévenir et lutter contre le terrorisme. Ces approches mettent l'accent sur la prévention et la dissuasion plutôt que sur la répression et l'utilisation de la force.

Cette stratégie de contre-insurrection est aussi une approche militaire utilisée pour vaincre les insurgés et les groupes armés irréguliers qui combattent. Dans les discours, le président de la Transition parle de main tendue à ceux qui veulent déposer les armes et la mise en place d'une cellule dédiée à cela. C'est un exemple de solution politique qui inclut la négociation. Cependant, il faut prioriser l'action militaire cinétique pour les noyaux terroristes de l'EI ou d'Al-Qaïda avec qui les négociations sont pratiquement impossibles.

Comment l'EI a t-il perdu du terrain en Irak, en Syrie, en Tchétchénie ? Pour rappel, il avait un califat de plus de 300 000 km2 entre la Syrie et l'Irak. Il a perdu son territoire principalement à la suite d'une campagne militaire menée par une coalition internationale composée de plusieurs pays, dont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l'Australie, le Canada et d'autres pays alliés, sans oublier l'appui militaire de la Russie avec des opérations aériennes, les envois massifs de matériel, etc.

Quel regard portez-vous sur l'évolution sécuritaire au Burkina ces derniers mois ?

D'une manière générale, on observe une augmentation des événements sécuritaires sur toute l'étendue du territoire avec environ 179 événements sécuritaires durant le mois de mars. Par ailleurs, les opérations sécuritaires ont connu un accroissement avec une multiplication des opérations aériennes. Quant aux activités des groupes armés, on dénombre environ 50 attaques armées des GAT, un chiffre inférieur aux mois antérieurs.

Cette situation pourrait s'expliquer par les acquisitions en matériels miliaires par l'armée burkinabè, les arrestations de complices de terroristes et aussi l'amélioration de la célérité de l'armée dans les offensives. Nonobstant cela, on note une augmentation des activés d'intimidations de la population, les harcèlements de civils, la destruction de maisons, de moyens de communication et de points d'eau.

« Le taux de chômage des jeunes reste élevé au Burkina »

Les populations sont de plus en plus visées par les groupes armés. L'utilisation des engins explosifs improvisés (EEI), vise aussi des civils à travers des charrettes et des corps piégés. Il y a aussi une augmentation du nombre de déplacés internes. Au-delà de la multiplication des opérations de sécurité, il y a des mesures complémentaires pour appuyer la lutte antiterroriste, comme la suspension des activités de cash transfert, le renforcement des contrôles des entreprises disposant de documents légaux d'acquisition et de vente des téléphones satellites, leur destination et leurs capacités d'interception de ces communications, une régulation dans l'utilisation des explosifs pour l'orpaillage et l'instauration de l'état d'urgence dans certaines régions. Il y a certes des efforts consentis, mais les défis restent énormes.

Les femmes sont victimes de cette crise. Quel rôle peuvent-elles jouer pour apporter leur contribution dans la résolution de cette crise ?

La contribution des femmes à la résolution de la crise sécuritaire au Burkina Faso, est essentielle pour promouvoir la paix et la sécurité dans le pays. Elles doivent jouer un rôle de médiateur dans les conflits communautaires interethniques et interreligieux. Elles doivent être porteuses de messages sur l'importance de la paix et de la sécurité, notamment à travers des campagnes de sensibilisation, les activités communautaires et la prévention de la radicalisation des jeunes.

Les femmes ont également un rôle important à jouer dans la protection des victimes avec une prise en charge des victimes de la crise sécuritaire, en particulier les femmes et les enfants. Les femmes doivent intensifier les plaidoyers en faveur de l'inclusion des femmes dans les processus de paix et de sécurité et contre les violences faites aux femmes.

Le taux de chômage est très élevé au Burkina. Il touche en grande partie, la jeunesse. Cette jeunesse ne peut-elle pas contribuer à la lutte contre le chômage ?

Oui, effectivement, malgré les programmes et initiatives pour lutter contre le chômage des jeunes, tels que le Programme national pour la promotion de l'emploi des jeunes et le Fonds d'appui aux activités économiques des jeunes, le taux de chômage des jeunes reste élevé au Burkina. Les jeunes peuvent contribuer de différentes manières à lutter contre ce fléau en développant des compétences et des connaissances pour se rendre plus compétitifs sur le marché du travail. En suivant des formations professionnelles, des cours en ligne, en participant à des stages ou à des programmes d'apprentissage pour renforcer leurs compétences.

A cela s'ajoute la création d'emplois. En effet, les jeunes doivent être au coeur de la création d'emplois en développant des projets d'entrepreneuriat et en encourageant les entreprises à embaucher des jeunes. Aussi, les jeunes peuvent également contribuer à lutter contre le chômage en faisant pression sur les gouvernants pour qu'ils adoptent des politiques et des programmes qui favorisent l'emploi des jeunes. Et enfin, il faut s'impliquer dans des initiatives de bénévolat qui offrent des opportunités de travail et de formation aux jeunes.

Pensez-vous que la loi sur le quota genre sera un jour respectée au Burkina Faso ?

Cette loi devrait garantir une représentation équitable des femmes et des hommes dans les institutions politiques et les postes de prise de décision. Ce qui n'a pas toujours été le cas. Qu'à cela ne tienne, des mesures doivent être prises pour faire respecter cette loi. L'on peut, par exemple, instituer des sanctions pour obliger les partis et formations politiques à respecter la loi sur le quota genre. Ces sanctions peuvent être, entre autres, des amendes financières, la suspension des financements publics, la révocation de certaines autorisations ou encore l'exclusion de la participation aux élections.

A cela s'ajoutent la mise en place des mesures incitatives telles que des bourses pour les femmes qui se présentent aux élections, la promotion de femmes aux postes de responsabilités ou encore la reconnaissance des femmes leaders. Ce sont des moyens efficaces de favoriser la participation des femmes. Il faut aussi encourager la formation politique des femmes et sensibiliser les citoyens, les politiques, les chefs coutumiers, les médias et la société civile, sur l'importance de la participation des femmes dans les instances de prise de décisions.

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