Sylvain Yamtiguimda Yaméogo est l'ambassadeur adjoint, représentant -permanent adjoint et chargé d'affaires par intérim de l'ambassade du Burkina Faso à Addis-Abeba, en Ethiopie. Dans cet entretien accordé au journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, et réalisé en ligne, il revient sur les relations entre le pays des Hommes intègres et l'Union africaine (UA) et les autres organisations panafricaines et internationales basées à Addis-Abeba, ainsi que la coopération bilatérale entre le Burkina Faso et l'Ethiopie et les autres pays de la région. Il lève également un coin de voile sur les efforts déployés par la diplomatie burkinabè pour la levée des sanctions infligées par l'UA, à la suite des coups d'Etat de janvier et septembre 2022, tout en indiquant comment la diaspora burkinabè résidant en Ethiopie vit la crise sécuritaire que traverse la mère patrie.
Présentez-nous l'ambassade du Burkina Faso à Addis -Abeba et ses compétences.
L'ambassade du Burkina Faso à Addis -Abeba est ouverte en 1997 et Léandre Bassole fut le premier ambassadeur. Elle a compétence sur les quatre pays suivants : la République fédérale démocratique d'Ethiopie, la République de Djibouti, la République fédérale de Somalie et l'Etat d'Erythrée. C'est également une mission permanente auprès de l'Union africaine (UA), de la Commission économique des nations unies pour l'Afrique (CEA) et de bien d'autres organisations internationales représentées à Addis -Abeba.
Pouvez-vous nous présenter la communauté burkinabè vivant en Ethiopie ?
La Communauté burkinabè vivant en Ethiopie est essentiellement composée de fonctionnaires internationaux travaillant pour le compte de l'Union africaine, du système des Nations unies et des ONG. En ce qui concerne leur intégration, il faut souligner que de façon générale, nos compatriotes vivent en parfaite harmonie avec la société éthiopienne. Au regard de la nature de leurs activités, on fait rarement face à des difficultés liées à leur séjour sur le territoire éthiopien. Les difficultés que nous avons souvent constatées concernent essentiellement les voyageurs burkinabè en transit et autres citoyens qui se retrouvent sur le territoire éthiopien sans les documents requis par la loi éthiopienne pour leur séjour. Heureusement ,ces difficultés ont toujours trouvé des solutions grâce à l'excellente collaboration que nous entretenons avec les autorités éthiopiennes tant au niveau fédéral que régional. On estime à une quarantaine, la communauté burkinabè résidant à Addis-Abeba et à une vingtaine celle résidant à Djibouti.
Dans certains pays, les Burkinabè sont connus, respectés pour leurs compétences et présentés comme de grands travailleurs. Est-ce le cas pour nos compatriotes résidant en Ethiopie ?
Bien sûr que cette réputation du Burkinabè, grand travailleur, intègre et digne de confiance vaut également pour ceux qui vivent en Ethiopie mais aussi dans les autres pays de la juridiction. Cela nous honore et mérite d'être soutenu et encouragé ! La communauté à Addis -Abeba est intellectuelle et sa contribution devrait être prise en compte dans le processus de développement de notre pays.
Comment se porte l'axe Ouaga-Addis Abeba ?
Sur le plan strictement bilatéral, notre coopération avec l'Ethiopie est assez dynamique et continue de se renforcer. Il existe un accord-cadre entre les deux pays qui couvre plusieurs domaines de coopération. Des accords sectoriels sont en cours de finalisation. En ce qui concerne les domaines de coopération comme la diplomatie, l'élevage, l'agriculture, l'artisanat, les deux pays font preuve d'ouverture et échangent régulièrement leurs expériences. La situation difficile que vit actuellement notre pays, préoccupe l'Ethiopie qui est disposé à manifester sa solidarité à notre égard. Notre pays entretient également de bonnes relations avec les autres pays de la juridiction. A titre illustratif, avec la République de Djibouti, notre pays dispose d'un accord-cadre de coopération, d'un accord d'exemption de visa pour les titulaires de passeports officiels et d'un accord de coopération culturelle et artistique.
Sur le plan économique, y a-t-il des domaines qui pourraient intéresser le secteur privé burkinabè qui voudrait venir investir en Ethiopie ou des domaines d'activités au Burkina Faso qui pourraient intéresser les hommes d'affaires éthiopiens ?
Comme je l'ai mentionné plus haut, notre pays dispose déjà avec l'Ethiopie d'un accord-cadre qui couvre les domaines du commerce, de l'agriculture, de l'élevage, de la pêche, de l'industrie, des mines et énergie, de l'éducation, de la formation professionnelle, de la culture et du tourisme, de la santé, de la protection de l'environnement, de l'hydrotechnique, de l'artisanat et du sport. C'est dire que le potentiel favorable à la coopération entre les deux pays existe dans divers domaines, tout comme le cadre juridique. Nous avons également un accord sur le transport aérien qui facilite déjà la mobilité entre les deux pays. C'est dire que nous sommes satisfaits de l'état de notre coopération même si nous avons encore à travailler pour une meilleure implication du secteur privé. A ce niveau, nous nous réjouissons déjà de la présence de notre secteur privé à Djibouti, notamment dans le secteur bancaire et nous souhaitons que cette présence s'étende à l'ensemble des pays de la juridiction.
Vous êtes Addis-Abeba, au siège de l'Union africaine (UA). Quels sont vos rapports avec l'UA et les autres organisations africaines ou internationales qui y sont accréditées ?
Il faut analyser nos rapports avec les organisations internationales et africaines à l'aune de notre contribution très qualitative à la recherche et la promotion de la paix et le développement sur le continent, à l'intégration et au panafricanisme en général. Notre pays jouit d'une grande crédibilité qui nous permet d'entretenir de très bons rapports avec les organisations ayant leurs sièges à Addis-Abeba. En ce qui concerne l'Union africaine, nous avons toujours eu de bons rapports et nous avons des cadres qui nous représentent dignement au sein de cette organisation continentale. Nous représentons et contribuons qualitativement au nom de notre pays dans toutes les instances de travail de l'Union africaine et de la CEA. Cependant, les évènements politiques de 2022 ont conduit l'Union africaine à suspendre notre pays de ses activités majeures. Un des défis actuels est d'oeuvrer à un retour de notre pays au sein de l'organisation pour continuer à défendre nos intérêts. La ministre des Affaires étrangères, de la Coopération régionale et des Burkinabè de l'extérieur nous a personnellement engagées à cette tâche. Il faut noter qu'en dépit de la suspension, notre pays a toujours trouvé une oreille attentive auprès de l'Union africaine et de la CEA et les discussions se poursuivent afin que notre cause soit entendue. C'est dans ce sens que s'inscrivent les visites récentes du commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité, et du président de la commission de l'Union africaine au Burkina Faso.
La cheffe de la diplomatie burkinabè, Olivia Rouamba, mène une offensive diplomatique pour la levée des sanctions contre le Burkina Faso, suite aux évènements de janvier et septembre de 2022. Avez-vous le sentiment que la cause du Burkina Faso est bien entendue à Addis Abeba ?
La levée de la suspension nécessite un plaidoyer auprès des instances du l'Union africaine. C'est pourquoi, Son Excellence Mme Olivia Ragnaghnewende Rouamba, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération régionale et des Burkinabè de l'extérieur, a entrepris, en collaboration avec ses homologues de la Guinée et du Mali, un plaidoyer pour la levée de la suspension et pour un accompagnement afin de permettre au Burkina Faso de faire face aux défis humanitaire et sécuritaire auxquels il est confronté. Rappelons que la solidarité a été l'une des valeurs fondamentales à la création de cette union panafricaine sans laquelle valeur aucune unité n'est possible. Les différents débriefings de la cheffe de la diplomatie burkinabè avec les autorités de l'U.A ont pour objectifs de mieux faire comprendre les efforts du gouvernement de la Transition pour un retour à l'ordre constitutionnel et informer sur les préoccupations urgentes de notre pays. La dernière rencontre en date du 26 avril dernier a été l'occasion pour la ministre d'avoir une consultation informelle avec le Conseil de paix et de sécurité (CPS), organe décisionnel de l'Union, en vue de solliciter d'une part, la participation de notre pays aux réunions techniques et d'autre part, la levée de sa suspension des activités de l'Union africaine. Le Conseil a pris note de la déclaration de Mme la ministre et des efforts fournis par notre pays et je fonde l'espoir que la situation du Burkina Faso sera traitée avec une bienveillante attention.
Le Burkina Faso vit une crise sécuritaire sans précédent. Comment de loin, les compatriotes résidant en Ethiopie vivent-ils cette situation ?
Les Burkinabè vivant en Ethiopie suivent de près tout ce qui se passe au pays. C'est toujours avec une très grande consternation que nous recevons les informations du pays, faisant état des attaques terroristes et des pertes en vies humaines. Face à cette situation, nous soutenons le gouvernement dans ses efforts de vaincre le terrorisme et nous plaidons la cause du Burkina Faso auprès de l'Union africaine et des amis du Burkina pour un soutien conséquent. Nous souscrivons aux initiatives de contributions à la lutte contre le terrorisme et au soutien des populations éprouvées, notamment les personnes déplacées internes. Et pour sacrifier à cette cause nationale, des initiatives de collecte ont été instituées de façon permanente.
Ces dernières semaines, les Forces de défense et de sécurité (FDS) et les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) mènent des offensives contre les positions terroristes, leur infligent des pertes au quotidien. Comment de l'extérieur vous accueillez ces nouvelles du front ?
C'est avec une grande joie et soulagement que nous accueillons depuis un certain temps les informations sur les succès enregistrés au niveau du front. C'est le lieu pour nous d'exprimer, encore une fois, notre gratitude et notre solidarité envers nos FDS, les VDP et à l'ensemble de nos compatriotes qui contribuent à ces résultats. Cette joie que nous manifestons est partagée par d'autres nationalités qui soutiennent notre pays dans sa lutte.
A ce tournant historique pour notre pays, avez-vous un message particulier à l'endroit des Burkinabè de l'intérieur comme de l'extérieur ?
Mon message est un appel à l'union sacrée de tous les Burkinabè, de l'intérieur comme de l'extérieur, de tous les filles et fils du pays au-delà de toute appartenance ethnique, religieuse et toute obédience politique, qu'ils s'unissent pour poursuivre ce combat noble pour sauver notre pays du péril terroriste. Sachons gérer nos divergences internes pour lutter contre l'ennemi. Nous n'avons qu'un seul pays, une seule patrie, une seule nation à défendre et à protéger, unique héritage pour nos enfants et nos petits-enfants. Raison pour laquelle nous devons relever ce défi face à cette guerre injuste qui nous est imposée. Comme l'a si bien dit Nicolas Machiavel " Une guerre est juste quand elle est nécessaire". Notre combat est loyal, justifié et nous sommes convaincus d'une victoire finale sur nos agresseurs et ennemis de notre pays. J'exhorte les Burkinabè de la diaspora à contribuer davantage pour l'intérêt supérieur de la Nation, car « la première des vertus est le dévouement à la patrie », dixit Napoléon Bonaparte. Que Dieu protège le Burkina Faso !