Cote d'Ivoire: Pascal Affi N'Guessan (président du FPI) - « C'est un partenariat qui devrait être ouvert à tous les partis politiques »

interview

Du partenariat avec le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) à l'édition 2023 de la fête de la liberté, le Front populaire ivoirien (FPI) a cristallisé l'actualité politique nationale la semaine dernière. Dans cet entretien exclusif - le tout premier qu'il accorde au Patriote - Pascal Affi N'Guessan, président du FPI, se livre sans concession sur ces événements qui ont rythmé récemment la vie politique nationale. Sans langue de bois, il explique pourquoi il s'est rapproché du RHDP, et donne clairement les raisons de sa rupture avec ses anciens camarades du FPI dont son ancien mentor, Laurent Gbagbo. De même, il n'écarte pas l'idée d'une alliance avec Simone Gbagbo et Blé Goudé qui ont, aujourd'hui, créé leurs partis politiques. Enfin, arguments à l'appui, il déroule sa nouvelle vision pour le FPI mue par une volonté farouche d'oeuvrer pour la paix et la cohésion sociale. Affi tout feu tout flamme !

Le Patriote : Monsieur le président du Front populaire ivoirien, vous venez de signer avec le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) un accord de partenariat. Pourquoi un partenariat et non une alliance ?

Pascal Affi N'Guessan : Si vous vous référez au dictionnaire, vous verrez qu'il n'y a pas une grande différence entre partenariat et alliance. On vous dira d'ailleurs que les deux termes sont synonymes. Pour nous, cela ne fait aucune différence. Ce qui est important, c'est le contenu. Et le contenu, c'est comme vous le savez, consolider la réconciliation nationale, approfondir la démocratie, permettre à la Côte d'Ivoire de tourner la page de toutes les violences, les affrontements, les incompréhensions, les meurtrissures liés à l'activité politique de ces 30 dernières années. Il s'agit ainsi d'ouvrir une ère nouvelle : une ère de paix, une ère de fraternité, une ère de démocratie où les élections ne se traduisent pas par des drames.

Mais constituent plutôt, comme dans les pays de démocratie avancée, une fête qui nous permet de choisir librement, fraternellement ceux qui doivent conduire les affaires de l'Etat. C'est à cela que nous voulons aboutir. Le partenariat est un signal fort que nous voulons donner. Surtout qu'on sait que le FPI et le RHDP sont deux formations politiques qui se sont très souvent retrouvées face à face et que cela a parfois créé beaucoup de problèmes, notamment lors les derniers événements qui se sont passés en 2020, avec la désobéissance civile. C'est donc un message pour dire à la Côte d'Ivoire que nous avons décidé de nous réconcilier, de tourner la page et que nous invitons tous nos militants, nos sympathisants, et à travers eux toutes les Ivoiriennes et tous les Ivoiriens, à pardonner. Et pour ceux qui sont responsables de préjudices, à faire acte de repentance. Parce que la repentance et le pardon sont au coeur de la réconciliation.

LP : Concrètement, sur le terrain politique, comment ce partenariat va-t-il se traduire?

PAN : Sur le terrain, cela va se ressentir dans les discours. Il faut un nouveau discours, un discours de paix, un appel au pardon, à la réconciliation. Il faut de nouvelles postures, de nouveaux engagements. Demain, nous allons aux élections locales, il faut que ce partenariat favorise un climat de paix au cours de ces consultations électorales. Il y a ensuite des actions à poser. Par exemple, en ce qui me concerne personnellement, je pense que nous devons aller sur le terrain à la rencontre de tous ceux qui ont souffert de ces crises. Je pense par exemple aux localités de Bongouanou, de M'Batto, de Daoukro où il y a eu de graves crises. Il faut y aller. Nous qui avons été au centre de tout cela, nous devons aller expliquer aux parents que nous sommes passés à une autre phase, à un autre contexte qui est celui d'une réconciliation franche avec le RHDP après tout ce qui s'est passé. Cela au nom de la paix, au nom de l'unité nationale. Parce qu'il y a un temps pour s'affronter, mais il y a un temps pour tourner la page, pour faire la paix. Car c'est dans la paix que nous pouvons construire notre pays. Au village, nos parents savent que c'est dans la nature des choses que des incompréhensions surviennent, parfois au sein même de la famille, et qui peuvent même déboucher sur des affrontements fratricides.

Mais après, tout le monde se retrouve devant le chef du village, sous l'arbre à palabre, pour faire la paix. Parce que c'est la paix qui est la situation normale, naturelle de la vie en communauté. Cela, il faut aller l'expliquer. S'il y a des actes symboliques à poser, il faut les poser pour qu'on enterre la hache de guerre partout en Côte d'Ivoire. Ce sont donc ces actions qu'il faut maintenant privilégier. Nous nous réjouissons que le parti au pouvoir ait accepté de s'engager dans cette voie. Parce qu'en tant que tel, il a un rôle important à jouer. S'il s'y engage, tout le monde peut donner du crédit à l'engagement du Front populaire ivoirien et de toutes les bonnes volontés qui veulent bien emprunter cette voie de la paix commune. Ce n'est pas le FPI seul. Ce n'est pas le RHDP seul. Mais c'est ensemble que nous devons le faire. C'est pourquoi, dans l'adresse que j'ai faite à la fête de la liberté, j'ai dit que c'est un partenariat qui devrait être ouvert à tous les partis politiques. Nous, nous sommes engagés. Si tout le monde s'engage, en ce moment, ce partenariat devient une charte nationale, pour la réconciliation nationale et pour la démocratie.

LP : Sur cette base, est-ce qu'on doit s'attendre à des tournées, à des meetings avec des délégations RHDP et FPI ensemble ?

PAN : Tout cela est possible. Tout cela relève de l'initiative et de la volonté des deux partis. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons prévu un cadre d'échanges pour qu'à l'intérieur de ce cadre nous imaginions toutes les démarches, toutes les actions qui peuvent contribuer à faire avancer cette ambition de paix et de réconciliation.

LP : Que répondez-vous à ceux qui estiment que cette alliance avec le RHDP n'a été envisagée que parce que celle que vous aviez nouée avec le PDCI n'a pas marché ?

PAN : Vous savez, même l'alliance avec le PDCI visait cet objectif. Pour nous, ce ne sont pas les structures ou les individus qui comptent, c'est l'ambition, c'est l'objectif. Tous ceux qui sont pour la paix, nous sommes prêts à marcher avec eux. Si par exemple le RHDP n'acceptait pas la réconciliation, on ne serait pas avec lui. S'il n'envisageait pas la démocratie, nous ne serions pas avec lui. Ceux qui nous ont quittés, c'est peut-être parce qu'ils ne sont pas favorables à tout cela. Pour nous, ce n'est pas l'identité, la nature des organisations ou des hommes qui compte. Ce qui nous importe le plus, c'est l'objectif stratégique, c'est l'ambition.

Aujourd'hui, nous sommes avec le RHDP, parce que le Président Alassane Ouattara est d'accord pour qu'on travaille ensemble à la réconciliation nationale et à la cohésion. C'est cet objectif majeur qui nous unit aujourd'hui. S'il n'était pas d'accord, il est évident que ce partenariat n'existerait pas. Dans le texte qui régit ce partenariat, il y a des choses très précises qui ont été dites. Nous nous sommes accordés à ne plus faire telle ou telle chose, mais à nous engager dans telle ou telle autre voie. C'est la volonté politique qui explique que nous soyons ensemble aujourd'hui. Si demain, les autres partis politiques sont favorables à cela, il n'y a pas de raison qu'on ne se retrouve pas.

LP : Vous venez de célébrer l'édition 2023 de la fête de la liberté à Man. Au-delà de la grosse mobilisation qui a été enregistrée à cette occasion, quels enseignements peut-on tirer de ce rassemblement ?

PAN : Le premier enseignement, c'est d'avoir fait voler en éclats l'idée caressée par certains que le FPI mourra de sa belle mort. Ils sont nombreux ceux qui en ont fait un rêve de tous les jours. Mais le FPI est bien là, présent et fort. Le rassemblement de Man ne l'a que confirmé de la façon la plus éclatante. Mais vous savez que, au-delà de la région du Tonkpi, c'est sur l'ensemble du territoire national que le FPI est présent. Puisque ce n'est pas la première fois que nous faisons de telles démonstrations de force. Hier c'était à Abengourou, avant-hier c'était lors de notre congrès de novembre 2021. C'est donc un démenti pour tous ceux qui veulent nous voir disparaître. Nous sommes heureux de constater que nos militants restent toujours au Front populaire ivoirien, restent toujours attachés à notre idéal.

LP : Vous voulez dire que l'enveloppe n'est pas vide comme vos anciens camarades l'ont annoncé ?

PAN : (Rire) Je n'ai pas osé dire ce mot. Mais vous le dites si bien. L'enveloppe ne peut être vide. Parce que nous sommes animés de bons sentiments pour la Côte d'Ivoire. Nous avons une ambition qui peut faire avancer la Côte d'Ivoire. Je ne comprends pas pourquoi les Ivoiriens nous bouderaient, nous tourneraient le dos.

LP : De façon concrète, quel est le poids réel du FPI sur l'échiquier politique national ?

PAN : On le verra à l'occasion des élections locales à venir. Mais d'ores et déjà, je considère que nous sommes un parti significatif sur l'échiquier national. Nous avons un ancrage réel dans l'opinion. Maintenant, c'est vrai que pour des raisons parfois matérielles, cet ancrage n'est pas toujours reflété dans les scrutins électoraux. On sent une sorte de hiatus entre ce que nous pesons réellement et ce que nous glanons en termes de suffrage. Mais, c'est souvent les moyens matériels et financiers qui font la différence. Ce n'est pas la désaffection des Ivoiriens pour le Front populaire ivoirien qui explique nos faibles résultats électoraux.

Bien au contraire, le FPI jouit d'une affection suffisamment importante des Ivoiriens. Mais, il est vrai que l'affection seule ne suffit pas souvent. Pas plus que l'adhésion d'ailleurs. Il faut avoir les moyens pour aller sur le terrain, porter le message, faire la promotion de ses candidats. Parfois, cela nous handicape dans une certaine mesure. Mais, nous pensons qu'à force d'insister, à force d'être présent, nous allons à l'occasion des élections à venir, retrouver de nouvelles couleurs au plan électoral.

LP : Après 10 ans de pouvoir (2000-2010), comment le FPI peut-il évoquer la question des moyens pour justifier sa non présence sur le terrain comme vous venez de l'indiquer ?

PAN : Vous savez bien ce que nous avons vécu. En 2002-2003, on ne peut plus dire que le FPI était au pouvoir. Ce sont des gouvernements de sortie de crise qui ont géré la Côte d'Ivoire jusqu'en 2010. En 2010-2011, le parti a été totalement écrasé, démantelé, avec de nombreux militants en exil, d'autres en prison, les biens détruits. Même cette résidence où nous nous trouvons, pendant longtemps, elle était en ruine. Il fallait la reconstruire. Tout cela constitue des séquelles qui ont impacté la santé matérielle et financière du parti.

LP : Revenons aux militants, Monsieur le président du FPI. Vous avez effectué beaucoup de tournées à travers le pays. Quel est aujourd'hui, leur ressenti par rapport à la rupture entre vous et vos anciens camarades, dont certains se retrouvent aujourd'hui au Parti des peuples africains Côte d'Ivoire (PPA-CI) ?

PAN : Les militants de base et les membres des instances du notre parti déplorent tous cette rupture. Parce que ce n'est pas ce qu'ils avaient souhaité. Mais, ils ont pris acte. Parce que c'est aussi une réalité. Il faut assumer. Il faut accepter de construire l'avenir en pensant à nos nouvelles ambitions. Il ne faut pas être nostalgique. Une chose est de vouloir quelque chose, une autre est de regarder en face la réalité qui s'impose à vous et de l'assumer. Aujourd'hui, les militants assument. Parce que la posture qu'ils ont est une posture qui est conforme à leurs convictions.

Quand vous défendez vos convictions, vous ne regrettez rien, vous n'êtes pas nostalgique, vous n'avez pas de pincement au coeur parce que vous savez que vous avez fait un choix qui vous met à l'aise vis-à-vis de votre conscience. C'est ce que les militants font, surtout qu'ils sont dans leur parti et qu'ils sont attachés aux symboles du FPI. Ils ont pour bon nombre d'entre eux consenti tant de sacrifices pendant leur temps de militantisme dans ce parti-là qu'ils ne voient pas pourquoi ils le quitteraient sans raison valable. Ils sont à l'aise. Ils sont sereins. Ils continuent de militer.

LP : Monsieur le président, dites-le nous aujourd'hui, en toute franchise. Quelle est la raison profonde de la rupture entre vous et votre ancien mentor, Laurent Gbagbo ?

PAN : Comme vous parlez de raison profonde, je dirai que la rupture est d'abord d'ordre idéologique. Au-delà de ce que certains peuvent croire, elle est avant tout d'ordre idéologique, dans l'appréhension et la vision que Laurent Gbagbo et moi avons de la chose politique. Moi, je suis un homme de compromis, un homme de paix qui cherche toujours à éviter les palabres. Je peux me retrouver dans les palabres, en ce moment-là j'assume. Mais, si je m'y retrouve, c'est parce que je ne peux pas faire autrement. Toutefois, même dans les palabres, mon aspiration profonde, c'est qu'on trouve une solution pour en sortir. Parce que ce n'est pas cela le but de mon engagement politique. Chaque fois que c'est possible de trouver des solutions de conciliations pour avancer, j'y vais. Pour moi, la vie politique doit se faire dans la paix, dans la sérénité.

Mais, vous savez que tous les acteurs politiques n'ont pas forcément cette vision, cette façon de voir les choses. Il y en a qui inscrivent leur action dans l'affrontement, ils ne se réalisent que dans l'affrontement. Ils ont toujours besoin de cet environnement de tension. Parce que c'est dedans qu'ils se sentent à l'aise, qu'ils peuvent s'exprimer. Moi, je considère que cela relève du temps des Romains, du temps de l'antiquité, du temps même de Soundiata Kéita.

Aujourd'hui, nous sommes au 21e siècle. Nous sommes dans la modernité. Nous sommes dans le temps de la paix. Nous sommes au temps où l'humanité a tiré les enseignements des affres de la seconde guerre mondiale et a mis en place un certain nombre d'institutions pour que plus jamais on ne revive les drames liés à ces affrontements entre les hommes. C'est cette modernité qui doit nous guider. Nous-mêmes les Africains, c'est vers cette modernité que nous cherchons à tendre. C'est cela notre aspiration. Pour que demain, la violence soit totalement exclue de nos vies de tous les jours. Ce n'est pas à nous les hommes politiques de vouloir ramener notre nation en arrière, dans le temps de la barbarie.

Moi, je crois que fondamentalement, c'est cela. Parce qu'en fait, les premières critiques qu'on m'a faites remontent à Linas-Marcoussis. C'était déjà en janvier 2003. « Pourquoi, il a signé Linas-Marcoussis ?». « Pourquoi il accepte de faire des sacrifices au nom de la paix ?». C'était cela d'abord mon premier péché. En 2013, je sors de prison. Ils savent que je vais faire la paix. « Il ne faut pas lui permettre la paix. Il faut l'éjecter parce que nous ne voulons pas de dialogue avec le Président Ouattara. Nous ne voulons pas de la réconciliation, nous ne voulons pas de la décrispation. Il faut rester dans l'affrontement. Il faut rendre le pays ingouvernable ». Voilà structurellement, idéologiquement, ce qui nous sépare.

LP : Comment expliquez-vous que vos amis d'hier n'arrivent pas à faire ce dépassement de soi, pour tourner la page de la belligérance et ouvrir celle de la réconciliation, de la cohésion sociale, du dialogue pour faire autrement la politique ?

PAN : L'aspiration à la paix est à la fois une question d'éducation et de culture. Nos tempéraments sont liés à ce que nous avons vécu, dans l'environnement dans lequel nous avons vécu, aux valeurs qui nous ont été inculquées. C'est ce qui détermine le comportement des uns et des autres dans la vie. Le monde est ainsi fait. Il y a ceux qui aiment la paix, qui aiment la fraternité et qui sont généreux. Et puis, il y a ceux qui ne sont pas de cette nature.

LP : Monsieur le président, parlons maintenant des élections locales. Il faut l'avouer, le FPI a surpris une grande partie de l'opinion en présentant des candidats partout sur l'ensemble du territoire national. Comment avez-vous réussi ce maillage alors qu'on disait de votre parti qu'il était un parti affaibli ?

PAN : On le disait. C'est parce que ceux qui le disaient ne connaissent pas le travail de fourmis que nous abattons chaque jour. Ils croient que nous sommes là et que nous dormons. Alors que nous sommes tous les jours en train de travailler. Nous avons monté par exemple une opération que nous avons appelée « l'opération N'zrama » pour nous repositionner sur l'ensemble du territoire national. Parce que nous, notre analyse, c'est que la force d'un parti, c'est d'abord son organisation, ses moyens et sa stratégie.

Pour gagner, il faut ces trois éléments. Si vous n'avez pas suffisamment de moyens, il faut être mieux organisé que vos adversaires, mieux présents qu'eux. Il faut adopter une stratégie en rapport avec vos moyens et votre organisation. Etant convaincu par exemple dans le contexte actuel que nous ne pouvons pas avoir plus de moyens, comme le RHDP par exemple, il nous faut être plus présents sur le terrain. Il nous faut avoir une stratégie de porte-à-porte, de fourmis pour que notre message soit connu. Donc, il faut que nous ayons dans tous les villages, dans toutes les localités des représentants, des responsables.

A l'heure actuelle, nous avons plus de 6000 sections. Notre objectif, c'est d'en avoir 10000. C'est-à-dire, faire pratiquement de chaque localité du pays, une section, et dans chaque section, il y a au minimum cinq comités de base. Il s'agit de diviser chaque petit village en au moins cinq sous-quartiers, avec un responsable dans chaque sous-quartier, de manière à avoir au moins 50000 comités de base d'ici 2025. Aujourd'hui, nous sommes présents partout. C'est pourquoi, vous voyez même que nous avons des candidats au nord. On peut être surpris. Mais les noms que nous avons mis, ne sont pas des noms que nous avons pris dans l'annuaire téléphonique.

LP : Il ne s'agit donc pas de remplissage comme l'ont avancé vos détracteurs ?

PAN : Si vous voulez, séance tenante, je peux appeler notre camarade de Satama-Sokoro. Il m'a appelé hier, (lundi, ndlr). Vous verrez que c'est un vieux militant. Parce que le FPI a été, à un moment donné, présent partout. C'est vrai qu'à la faveur de la crise armée, nous avons reculé, on a le sentiment que le FPI a disparu. Mais, détrompez-vous, nos militants sont là. Aujourd'hui, avec la nouvelle configuration qui va naître, je peux dire que nos militants vont de plus en plus émerger. Nous existons quand même depuis 30 ans. En 30 ans, nous nous sommes suffisamment installés. Ce n'est pas du remplissage. A la différence de certains qui viennent de naître, nous, nous sommes là depuis au moins 30 ans. Tous ces noms que vous voyez sur nos listes sont des camarades qui sont sur le terrain, qui ont accepté de défendre nos couleurs.

LP : En revenant sur votre partenariat avec le RHDP, envisagez-vous des listes communes dans certaines localités ?

PAN : Bien sûr. C'est même inscrit dans l'accord de partenariat. Là où cela s'avère nécessaire, nous irons en alliance. Il y a beaucoup de localités où cela est nécessaire à la fois pour le RHDP et pour nous FPI.

LP : Comme dans le Moronou par exemple ?

PAN : Peut-être dans le Moronou. Mais, cela dépendra de nos deux partis. Mais pour le Moronou, cela aurait une double signification. Je vous le dis franchement sans langue de bois, l'opinion ne comprendrait pas que dans le Moronou, le RHDP soit face au FPI.

LP : Pourquoi selon vous ?

PAN : Parce que nous sommes dans un partenariat et nous avons dit que là où c'est nécessaire, il faut aller en alliance. Pour l'image, pour la crédibilité de l'accord, c'est nécessaire. Parce que je suis le président du Front populaire ivoirien. Je ne le dis pas parce que j'ai peur de l'adversité. Parce que je sais que dans le Moronou, en 2015, le Président Ouattara, lui-même n'a pas pu me battre (rire, Ndlr). Donc, ce n'est pas en 2023. Si lui n'a pas pu me battre, je ne vois pas pour le moment qui peut me battre au niveau du RHDP. Le vrai problème, c'est que mon temps n'est pas encore fini.

Quand mon temps sera fini, un autre fils de la région pourra prendre la relève. Ce que je suis en train de faire aujourd'hui avec le RHDP, avec le Président Ouattara, est encore plus important pour le pays. Pour toutes ces raisons, je ne vois pas comment les populations de Moronou ou même l'opinion de façon générale puissent comprendre et accepter qu'Affi se retire de la vie politique. Parce qu'une défaite aux élections régionales dans le Moronou, c'est le retrait de la vie politique. Au plan éthique, pour cela, je dirai que ce n'est pas commode. Je ne dis pas cela pour me favoriser, mais pour donner une bonne image à cet accord. Ensuite, en dehors du Moronou, il y a Yopougon, Marcory, ou Cocody où le RHDP a besoin de nous.

Dans le Haut-Sassandra, le Gôh, le Cavally, le RHDP a besoin de nous. Nous, nous n'ambitionnons pas de prendre la tête de ces circonscriptions compte tenu de ce que je vous ai dit, mais si le RHDP veut gagner dans le Cavally, le Gôh, le Haut-Sassandra, même dans le Lôh-Djiboua, à un certain niveau, il a besoin d'un allié. Nous avons besoin d'aller ensemble. Parce que notre objectif est de gagner, mais c'est surtout aussi de maîtriser les autres, de faire barrage aux autres. Au-delà des objectifs particuliers de chaque parti, il y a un objectif commun qui doit nous amener à nous mettre ensemble pour que le camp de la paix soit fort à l'issue de ces élections.

LP : Pour emprunter votre expression, les autres ont mis en place un organe anti-fraude selon eux qu'ils ont appelé « Sentinelles anti-fraude électorale », que pensez-vous de cette structure ?

PAN : Chaque parti a le droit de se donner les moyens pour surveiller le scrutin. C'est d'ailleurs ce qui motive le combat pour la Commission électorale indépendante. Je trouve tout cela légitime, pourvu que cette structure ne soit pas un instrument de tension, de conflit sur le terrain.

LP : Pour les élections à venir, vous êtes favorable à des listes communes RHDP-FPI. Qu'en est-il pour 2025 ?

PAN : Pour le moment, l'accord ne va pas aussi loin. Mais, étant donné qu'il y a un cadre de concertation, tout est possible. De la même façon que nous avons décidé au niveau local de faire des accords électoraux locaux en 2023, il n'est pas exclu que pour la présidentielle de 2025, nous décidions d'aller dans le cadre d'un accord qui permettrait à celui qui se maintient au second tour, si d'aventure il y a un deuxième tour, de bénéficier du soutien de celui qui aurait été recalé.

LP : Pour ces élections de 2025, beaucoup d'Ivoiriens ont peur du « match retour » dont parlent depuis quelques mois vos anciens camarades. Quel est votre avis sur ce fameux « match retour » ?

PAN : C'est justement pour éviter ce « match retour » que nous travaillons pour la paix, pour la réconciliation, de manière à ce que 2025 ne soit pas un moment de revanche, de vengeance de qui que ce soit. Mais que ce soit un moment de paix et de démocratie pour l'ensemble des Ivoiriens.

LP : Monsieur le président, avec ce partenariat, on s'achemine vers une bipolarisation de la scène politique avec deux blocs qui vont s'affronter, d'un côté le RHDP et le FPI et de l'autre côté le PDCI et le PPA-CI. Comment voyez-vous cette bipolarisation ?

PAN : C'est une bipolarisation qui est le reflet de la situation politique et sociale actuelle de notre pays. A chaque situation, sa configuration politique. Nous sommes dans une situation où les questions fondamentales sont les questions liées à la réconciliation nationale, à la démocratie, à la paix. Forcément, les forces politiques vont se structurer autour de ces problématiques. Peut-être que dans 10 ans, 20 ans, 30 ans, ce sont d'autres paramètres qui vont structurer la vie politique en Côte d'Ivoire.

Vous trouverez si nécessaire, d'autres configurations politiques liées à ce nouveau contexte. Dans le contexte actuel, nous avons besoin de construire l'idéal patriotique, de mettre en avant d'abord l'intérêt national, l'intérêt de la patrie, avant nos intérêts partisans, nos divergences mêmes idéologiques. Parce que ces divergences idéologiques ne peuvent pas s'exprimer si la Côte d'Ivoire n'existe pas, si le pays n'est pas en paix, s'il n'y a pas la stabilité. S'il n'y a pas la démocratie. Nous ne pouvons pas continuer à nous battre dans le désordre, dans le désordre institutionnel, dans le désordre politique. Parce qu'en ce moment, le combat devient un combat stérile.

Un combat où se sont les volontés de revanche, de vengeance qui guident les uns et les autres et qui motivent les choix de nos compatriotes et non les projets politiques, les idées. Ce que l'on voudrait faire pour les jeunes, l'emploi des jeunes, l'éducation, pour la santé, pour le bien-être social. Ce sont ces notions qui sont importantes. S'il y a du cafouillage et que les gens vont voter en se disant : « parce que lui là il est du nord ou bien, il est du sud, donc je ne porte pas mon choix sur lui». Ce n'est pas le fait d'être du nord ou du sud qui est un programme. Le fait d'être chrétien ou musulman, ce n'est pas un programme.

Un chrétien peut avoir le même programme qu'un musulman, parce qu'ils partagent les mêmes valeurs. Il faut donc sortir de cette logique d'affrontement intercommunautaire, interethnique, centrée sur la rancoeur, le ressentiment pour rentrer dans une ère où ces questions ont été évacuées et on écoute chacun. On ne cherche pas à savoir d'où il vient, mais qu'est-ce qu'il dit, qu'est-ce qu'il veut faire d'abord avant d'apprendre incidemment que c'est un fils de Mankono ou Takikro. C'est vers cela que nous devons nous engager.

LP : Vous avez décidé de vous engager pour la réconciliation avec ce partenariat ; Blé Goudé aussi. Est-ce que vous envisagez de l'inclure dans ce partenariat ? Et que pensez-vous de sa démarche ?

PAN : Rejoindre le partenariat relève de sa responsabilité. Nous, nous souhaitons que tous les Ivoiriens et la classe politique soient dans un partenariat de cette nature qui ne leur enlève rien de leur autonomie, de leur idéologie mais qui marque leur engagement dans la réconciliation nationale et dans la paix. Et je pense que si on réussissait ça, la Côte d'Ivoire serait à l'abri de toute tension. Puisque comme je l'ai indiqué, ça devient comme une charte pour la réconciliation, la cohésion sociale et pour la démocratie que chacun va veiller à respecter. Donc, il a sa place dans ce partenariat. Maintenant, tout dépend de lui. En tout cas, nous souhaitons qu'il s'engage dans la voie de la réconciliation et de la paix en dépit de toutes les souffrances qu'il a endurées.

LP : Vous étiez à son accueil à Yopougon. Quel rapport vous entretenez depuis lors ?

PAN : Nous avons de très bons rapports. Parce que nous avons mené la lutte ensemble, nous avons souffert ensemble. Ce sont des choses qui marquent et qui rapprochent. Et quel que soit le choix qu'il va faire, nous allons conserver le souvenir de tout ce combat. Dans la vie, il ne faut pas que les liens soient seulement dus à la politique ou aux ambitions politiques. On peut entretenir d'autres liens et cela peut servir dans certaines circonstances à désamorcer des crises. Donc nous sommes dans ce type de relation. Nous appartenons à des partis différents, nous pouvons avoir des ambitions différentes. N'empêche que nous sommes d'abord des frères et des soeurs.

LP : Simone Gbagbo qui était une figure emblématique du FPI a créé son parti. Est-ce que vous regrettez son départ ?

PAN : C'est une question qui rejoint celle de tous les militants. On le déplore mais on prend acte de la réalité actuelle. Toutefois, on maintient quand même une certaine proximité. C'est toujours important de ne pas avoir des rapports d'animosité quand on a vécu ensemble. Elle nous respecte, nous la respectons. Elle nous invite à ses activités. Nous aussi, faisons pareil. Elle nous a envoyé une délégation à la fête de la liberté à Man. Je voudrais l'en remercier. C'est comme cela qu'on devrait vivre, sans animosité même s'il y a des désaccords. Les désaccords, c'est tous les jours. Ça fait partie de la vie. On ne peut pas s'entretuer à cause des divergences de goût, d'opinion, etc. Si elle estime qu'un jour on doit se retrouver, nos portes sont ouvertes.

LP : Un message particulier que vous avez à lancer aux Ivoiriens ?

PAN : Le message aux Ivoiriens est que nous avons un grand pays. Nous devons constituer une grande nation. Dieu nous a tout donné pour que nous soyons une grande nation. Une terre d'accueil, d'hospitalité, particulièrement dans la sous-région ouest africaine. Mais pour cela, il faut que nous-mêmes fassions preuve de sagesse. Que nous ayons une claire conscience de ce que nous sommes, de ce que nous avons. Et que nous adoptions les attitudes, les comportements qui nous permettent de vivre heureux sur cette terre de Côte d'Ivoire. Cela exige de la sagesse, de la tempérance dans tout ce que nous faisons. Parce que la Côte d'Ivoire est une terre de diversité. Quand il y a la diversité, la première qualité que chacun doit cultiver, c'est la tolérance.

La capacité à tolérer l'autre tel qu'il est et à l'accepter tel qu'il est. Parce qu'on ne pensera pas tous la même chose ; l'impartialité de l'Etat pour considérer tous ceux qui vivent sur ce territoire comme ayant les mêmes droits et les mêmes obligations. C'est fondamental. Et c'est pour cela que nous aujourd'hui, en dépit de tout ce qui s'est passé, des fautes que nous avons pu commettre comme des préjudices que nous avons pu subir, nous nous disons que pour que nous puissions avancer, il faut que nous fassions preuve de tolérance. Que nous fassions preuve de dépassement. Donc, je voudrais vraiment inviter tous nos compatriotes, quel que soit ce qu'ils ont pu subir au cours de ces trente dernières années et notamment à l'occasion de la crise de 2010/2011 et de la crise de 2020, à pardonner. Chacun doit pardonner et aussi demander pardon.

Pour ce qu'on a pu soi-même faire. Ce n'est pas seulement par des propos mais par nos attitudes. Nos attitudes doivent changer. Aujourd'hui dans certains quartiers, il y a des gens qui ne vivent plus les mêmes rapports que par le passé. Il faut qu'ils apprennent à renouveler leurs relations avec leurs voisins. Essayons de reconstruire la nouvelle Côte d'Ivoire. C'est dans notre intérêt à nous tous, victimes comme bourreaux. Se repentir et pardonner pour pouvoir vivre ensemble comme des frères et soeurs.

Martin Luther King disait : « Si nous n'apprenons pas à vivre comme des frères, nous mourrons comme des idiots ». Houphouët-Boigny disait aussi que « le dialogue est l'arme des forts». Je dirai aussi que le pardon, c'est le sentiment des forts. C'est quand on est fort qu'on pardonne. Quand on veut avancer, on pardonne. Parce que le ressentiment est un fardeau et la rancoeur détruit. Il faut qu'on sorte de l'esprit de vengeance. C'est une voie sans issue.

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