Monsieur Ahmed Robleh Abdilleh, Président de la Soixante-Quinzième Assemblée mondiale de la Santé,
Monsieur Alain Berset, Président de la Confédération suisse, Monsieur Filipe Nyusi, Président du Mozambique,
Madame Jacinda Ardern, ancienne Première Ministre de la Nouvelle-Zélande - en transition professionnelle,
Gianni Infantino, Président de la FIFA, Renée Fleming, notre toute nouvelle ambassadrice de bonne volonté pour les arts et la santé, à laquelle s'est associée la Sud-Africaine Pretty Yende,
Mesdames et Messieurs les membres du Global Scrub Choir,
Excellences, Mesdames et Messieurs les Ministres et les chefs de délégation, chers collègues et amis,
Permettez-moi tout d'abord de remercier Monsieur le Président Berset pour le soutien qu'il nous apporte à titre personnel et le partenariat que nous avons bâti, ainsi que pour l'appui et la collaboration ininterrompue offertes par la Suisse à l'OMS en faveur de la santé mondiale.
Je tiens également à remercier le Président Nyusi pour sa présence aujourd'hui, ainsi que pour son engagement en faveur de la santé, y compris pour son rôle de chef de file en matière de lutte contre le paludisme et sur la voie de la couverture sanitaire universelle.
Je remercie Mme Ardern, ancienne Première Ministre, pour le leadership qu'elle a exercé en matière de santé mondiale, et pour l'avoir exercé en toute humilité. C'est ce que nous attendons de tous nos dirigeants - un leadership plein d'humilité. Merci d'avoir incarné ce modèle.
Merci, M. Abdilleh, d'avoir présidé la Soixante-Quinzième Assemblée mondiale de la Santé, qui a fait date.
Merci, M. Infantino, d'avoir contribué à mobiliser la puissance du beau jeu en faveur de la santé, et toutes mes félicitations à l'occasion du 119e anniversaire de la Fédération internationale de football association, qu'on célèbre aujourd'hui. Joyeux anniversaire à la FIFA.
Merci à Renée Fleming et au Scrub Choir de nous avoir inspirés, émus et divertis grâce au moyen d'expression puissant qu'est la musique.
Merci enfin à vous toutes et tous d'être parmi nous aujourd'hui, à l'occasion de cette Assemblée mondiale de la Santé historique en cette année où nous célébrons le 75e anniversaire de l'OMS.
===
Excellences, chers collègues et amis,
En 1977, Ali Maow Maalin avait 23 ans et travaillait comme cuisinier dans un hôpital du port de Marka, en Somalie. En plus de ses fonctions de cuisinier, M. Maalin avait oeuvré comme vaccinateur dans le cadre du programme d'éradication de la variole de l'OMS, qui s'efforçait de traquer les derniers cas de variole au sein des groupes de nomades le long de la frontière entre la Somalie et mon pays, l'Éthiopie.
En octobre de la même année, deux enfants atteints de variole appartenant à un groupe nomade ou d'éleveurs ont été envoyés dans un camp d'isolement près de Marka. Le chauffeur qui les transportait s'est arrêté à l'hôpital où M. Maalin travaillait pour demander son chemin. Ce dernier a proposé de les accompagner et le chauffeur lui a demandé s'il était vacciné. M. Maalin lui a répondu : « Ne vous en faites pas pour ça, allons-y. » Il n'était pas vacciné.
M. Maalin n'a pas été en contact avec les enfants infectés plus de 15 minutes. Mais il n'en fallait pas plus. Neuf jours plus tard, il a commencé à se sentir mal et une éruption cutanée a fait son apparition.
On lui a diagnostiqué la varicelle et on l'a renvoyé chez lui. Mais M. Maalin savait que ce n'était pas la varicelle. Il avait trop peur de se rendre au camp d'isolement, mais une infirmière de l'hôpital a signalé qu'il était malade.
L'hôpital a cessé d'accueillir des patients en attendant que toutes les personnes se trouvant à l'intérieur soient vaccinées et placées en quarantaine. Pendant ce temps, une équipe a commencé à vacciner tout le voisinage de M. Maalin - plus de 50 000 personnes en deux semaines.
Ali Maow Maalin a été le dernier cas enregistré de variole d'origine naturelle. Il a ensuite collaboré avec l'OMS dans le cadre de la campagne d'éradication de la poliomyélite en Somalie. Il disait que son pays avait été le dernier à éradiquer la variole, et qu'il voulait faire en sorte qu'il ne soit pas le dernier à éradiquer la poliomyélite. Il voyait juste. En 2013, lors d'une campagne de lutte contre une flambée de poliomyélite, il a contracté le paludisme et est décédé quelques jours plus tard, à l'âge de 59 ans.
La campagne d'éradication de la variole a été lancée en 1959 par le Dr Marcolino Candau, Directeur général de l'OMS, et s'est officiellement terminée en 1980, lorsque l'Assemblée de la Santé a déclaré : « que tous les peuples du monde sont désormais libérés de la variole ». Le D r Candau était d'ailleurs originaire du Brésil et, aujourd'hui, je voulais profiter de ma prise de parole pour rendre hommage à tous nos anciens Directeurs généraux. Je reparlerai par la suite de la Dre Gro Harlem Brundtland. Cette éradication de la variole reste la plus grande réalisation de l'histoire de la santé publique ; c'est la seule maladie humaine à avoir été éradiquée à ce jour.
Mais aujourd'hui, nous sommes sur le point d'éradiquer deux autres maladies : la poliomyélite et la dracunculose. Lorsque le programme mondial pour l'éradication de la poliomyélite a été lancé en 1988, alors que le japonais Hiroshi Nakajima était Directeur général, on estimait à 350 000 le nombre de cas par an. Depuis le début de l'année, seuls 3 cas ont été comptabilisés. De même, lorsque le programme d'éradication de la dracunculose a commencé en 1986, on comptait environ 3,5 millions de cas humains dans 21 pays. L'an dernier, seuls 13 cas ont été notifiés par 4 pays. Nous irons au bout des choses. Il le faut. Mais nous aurons encore à faire.
J'ai grandi à côté de M. Maalin, en Éthiopie. En Afrique, nous sommes tous voisins. Dans l'un de mes premiers souvenirs, je marche avec ma mère dans les rues d'Asmara - qui se trouvait alors en Éthiopie et qui est aujourd'hui en Érythrée - et je vois des affiches évoquant une maladie appelée « variole » et une organisation s'efforçant de l'éradiquer de nos communautés.
Je n'avais jamais entendu parler de la variole auparavant. Je n'avais jamais entendu parler de l'Organisation mondiale de la Santé. Je n'aurais pas su placer Genève sur une carte. Mais je savais que, parfois, les maladies pouvaient frapper sournoisement les enfants et les emporter.
Je le savais, parce que c'était arrivé à l'un de mes frères, mon petit frère. Je ne sais pas quelle maladie a causé son décès. La rougeole, peut-être. Mais il a très probablement été emporté par une maladie qu'un vaccin aurait pu éviter.
Grâce aux vaccins, la variole est tombée dans l'oubli. Mais des millions d'enfants en Afrique et partout dans le monde - des enfants comme mon frère - ont continué d'être emportés par des maladies contre lesquelles des enfants d'autres pays étaient vaccinés.
Voilà pourquoi l'OMS a lancé en 1974 le Programme élargi de vaccination : pour faire en sorte que tous les enfants de tous les pays bénéficient du pouvoir salvateur des vaccins. Cela concernait initialement six grandes maladies : la diphtérie, la coqueluche, le tétanos, la poliomyélite, la rougeole et la tuberculose.
À l'époque, à l'échelle mondiale, seuls 10 % des enfants environ recevaient trois doses du vaccin DTP. Grâce au Programme élargi de vaccination, ou PEV, ce pourcentage est monté jusqu'à 86 % en 2019, avant de reculer en raison des perturbations causées par la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) et de la très puissante offensive antivaccins.
Aujourd'hui, plus de 30 maladies sont évitables par la vaccination et le PEV recommande 12 vaccinations considérées comme essentielles dans tous les pays. Grâce au soutien apporté par l'OMS aux pays pour faire en sorte que tous les enfants aient accès aux vaccins, nous contribuons à éviter plus de 4 millions de décès chaque année.
Les vaccins représentent l'une des innovations les plus puissantes de l'histoire de l'humanité.
Grâce aux vaccins, des maladies autrefois redoutées comme la diphtérie, le tétanos, la rougeole et la méningite peuvent désormais être aisément évitées.
Les vaccins incarnent maintenant l'espoir d'éliminer le cancer du col de l'utérus. Ils nous aident à étouffer plus rapidement les épidémies de maladie à virus Ebola. Pour la première fois, nous pouvons dire que le paludisme est une maladie à prévention vaccinale. Les vaccins ont été essentiels pour mettre fin à la COVID-19 en tant qu'urgence sanitaire mondiale. Et grâce aux vaccins, nous sommes en passe d'éradiquer la poliomyélite.
Depuis plus de 20 ans, des millions d'enfants du monde entier tirent profit des bénéfices qu'offre la vaccination grâce au travail de Gavi, l'Alliance du Vaccin. Ces 12 dernières années, c'est mon ami - mon frère - Seth Berkley qui a dirigé ces missions ; il quittera ses fonctions en août.
Sous sa direction, Gavi a introduit de nouveaux vaccins contre le cancer du col de l'utérus, le paludisme, la pneumonie, la méningite et la poliomyélite, et a franchi un cap incroyable avec la vaccination d'un milliard d'enfants. Pendant la pandémie, Seth s'est fait le défenseur de l'équité vaccinale grâce à la participation de Gavi au partenariat COVAX, qui a permis de fournir près de 2 milliards de doses de vaccin à 147 pays. J'exprime à Seth ma profonde gratitude pour son leadership et le travail réalisé en partenariat, et je me réjouis de collaborer avec son successeur, le Dr Muhammad Pate, pour exploiter la puissance des vaccins au bénéfice d'un nombre encore plus important d'enfants. Je voudrais donc souhaiter la bienvenue à mon frère, Muhammad Pate.
L'éradication de la variole a coïncidé avec la prise de conscience du fait qu'il ne serait pas possible de réaliser la vision fondatrice de l'OMS - consistant à atteindre le meilleur état de santé possible pour tous - une maladie à la fois. Il fallait adopter une approche globale consistant à fournir les services de santé dont les gens avaient besoin, là où ils en avaient besoin et au moment où ils en avaient besoin, tout en améliorant les connaissances en santé, la nutrition, l'eau et l'assainissement, ainsi que d'autres facteurs de maladie.
Cette approche, nous la connaissons aujourd'hui sous le nom de « soins de santé primaires », et son principal architecte et défenseur était le troisième Directeur général de l'OMS, le Dr Halfdan Mahler.
D'ailleurs, il y a un T - pour Theodor - entre son nom et son prénom, ce qui fait que nous partageons le même nom.
C'est sous la direction du Dr Mahler que le terme « Santé pour tous » a été employé pour la première fois et a été choisi comme thème de l'Assemblée mondiale de la Santé en 1977. De plus, sous la direction du Dr Mahler, la Déclaration d'Alma-Ata a été négociée et adoptée en 1978 - un engagement historique en faveur des soins de santé primaires destiné à servir de tremplin pour réaliser une vision audacieuse : la santé pour tous d'ici l'an 2000. Cette déclaration représente un jalon important dans le domaine de la santé publique dans la mesure où elle a changé la façon dont les pays envisageaient, organisaient et fournissaient les services de santé - et c'est encore le cas.
Bien que la vision de la santé pour tous d'ici l'an 2000 ne se soit pas concrétisée, son esprit et son ambition ont perduré et, aujourd'hui, le concept de soins de santé primaires reste le fondement de notre engagement commun en faveur de la couverture sanitaire universelle.
Il y a cinq ans, j'ai eu l'honneur de rejoindre nos collègues de l'UNICEF et les ministres de la Santé du monde entier au Kazakhstan, berceau de la Déclaration d'Alma-Ata, pour réaffirmer notre engagement en faveur de sa vision dans la Déclaration d'Astana. Le Dr Mahler a par la suite qualifié l'adoption de la Déclaration d'Alma-Ata de « moment sacré » et de « consensus sublime ».
Mais en 1981, trois ans seulement après Alma-Ata et un an après que l'Assemblée mondiale de la Santé a déclaré la variole éradiquée, une nouvelle menace est apparue, comme le monde n'en avait jamais vue auparavant. Aux États-Unis, les premiers cas d'une nouvelle maladie mystérieuse ont été rapportés, une maladie qui est apparue d'abord chez les homosexuels et qui, quelques mois plus tard, a été signalée dans le monde entier, touchant des personnes de tous âges et de toutes orientations sexuelles.
Ce n'est que deux ans plus tard que la cause de cette nouvelle maladie a été identifiée : un rétrovirus que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de VIH.
Le VIH représentait un nouveau défi pour l'OMS ; un défi qu'elle n'a pas toujours su relever. Il montrait qu'un problème sanitaire mondial d'une telle ampleur et d'une telle rapidité ne pouvait être résolu par une seule organisation, mais exigeait de l'OMS qu'elle collabore avec des partenaires dans le système des Nations Unies et en dehors. Il soulignait également, de manière inédite et brutale, les profondes inégalités qui existent en matière de santé dans le monde. Lorsque les premiers traitements antirétroviraux sont apparus en 1987, seuls les pays à revenu élevé avaient les moyens de se les procurer.
En 2000, la gravité de l'épidémie mondiale de VIH a poussé le Conseil de sécurité des Nations Unies à adopter une résolution sur le VIH, considérant pour la première fois un problème de santé comme une menace pour la sécurité mondiale.
Mais les inégalités ont persisté. En 2003, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, 400 000 personnes seulement recevaient des médicaments antirétroviraux. Depuis la campagne d'éradication de la variole, l'OMS a acquis un savoir-faire éprouvé dans la fourniture de médicaments essentiels aux personnes qui en ont besoin, où qu'elles se trouvent. C'est ainsi que, sous la direction du Directeur général de l'époque, le Dr LEE Jong-wook, de la République de Corée, l'OMS a lancé l'initiative « 3 millions d'ici 2005 », destinée à étendre l'accès aux traitements antirétroviraux à 3 millions de personnes avant la fin 2005.
Il a fallu deux ans de plus pour atteindre l'objectif, mais l'initiative « 3 millions d'ici 2005 » a jeté les bases de l'élargissement spectaculaire de l'accès aux antirétroviraux qui a permis de faire reculer le VIH. Malheureusement, le Dr LEE n'a pas vécu assez longtemps pour voir sa vision se réaliser.
Demain marquera l'anniversaire de sa disparition, en mai 2006.
===
Pendant la majeure partie des 50 premières années de son histoire, l'OMS s'est principalement concentrée sur les maladies infectieuses affectant les pays à faible revenu. Mais tout au long de ces décennies, une nouvelle pandémie se propageait quasi librement, alimentée par l'agent non infectieux le plus mortel de l'histoire : le tabac.
Le lien entre tabagisme et cancer du poumon a été prouvé par le chercheur britannique Richard Doll en 1952, peu après la création de l'OMS, mais la prévalence du tabagisme a continué à progresser pendant des décennies. En effet, sur certaines photos des premières années de l'OMS, on peut voir des hommes - et oui, il s'agissait surtout d'hommes - assis à leur bureau en train de fumer.
Ce n'est qu'en 1988 que le Dr Mahler a interdit de fumer à l'intérieur des bâtiments de l'OMS. Il a détruit son propre cendrier avec un marteau dans le hall de l'OMS et s'est engagé à arrêter de fumer. Et ce n'est qu'en 2013 que l'ensemble du campus du Siège est devenu un espace non-fumeur. Le Dr Armando Peruga, en charge de l'initiative pour un monde sans tabac à l'époque, a même été pris à partie à plusieurs reprises par des employés de l'OMS parce qu'il leur demandait de ne pas fumer sur le campus.
Certains pays ont déployé des efforts de leur côté pour contrer les méfaits du tabac, mais il est apparu clairement que, contrairement aux flambées épidémiques localisées, le tabac constituait une menace mondiale qui exigeait une riposte mondiale. Les fondateurs de l'OMS avaient prévu ce besoin à l'article 19 de notre Constitution, qui permet aux États Membres d'adopter des conventions ou des accords sur toute menace pour la santé.
Mais cette disposition est restée lettre morte jusqu'au milieu des années 1990, lorsqu'une avocate américaine, la Dre Ruth Roemer, a proposé pour la première fois l'élaboration d'un traité international pour la lutte antitabac. La D re Roemer avait elle-même été une grande fumeuse et son mari avait brièvement travaillé pour l'OMS. Elle a soumis son idée à Neil Collishaw, qui dirigeait alors l'unité de lutte antitabac à l'OMS. Neil Collishaw y était favorable, mais restait sceptique. L'adoption d'une convention nécessitait une majorité des deux tiers des États Membres et, à l'époque, seule une dizaine de pays avaient mis en place des politiques énergiques de lutte antitabac.
Mais la Dre. Roemer refusait de s'avouer vaincue. C'est ainsi que naissent la plupart des meilleures idées en matière de santé mondiale, et c'est souvent une femme qui en est à l'origine. Petit à petit, l'idée a fait son chemin et, en 1996, la Quarante-Neuvième Assemblée mondiale de la Santé a adopté une résolution appelant à l'élaboration d'une convention-cadre internationale pour la lutte antitabac.
Cependant, comme de trop nombreuses résolutions, elle a mis du temps à se concrétiser. Il a fallu attendre deux ans pour que l'idée commence à avancer, sous l'impulsion d'une nouvelle Directrice générale, en la personne de Gro Harlem Brundtland, fortement engagée dans la lutte contre le tabagisme et dotée d'une expérience politique en qualité de Première ministre de la Norvège. À peine entrée en fonction, la Dre. Brundtland a mis en place l'Initiative pour un monde sans tabac et a commencé à plaider sans relâche en faveur de la convention-cadre.
Mais elle devait faire face à un ennemi rusé et bien armé. Vous voyez ce que je veux dire. En 1999, il est apparu que, depuis de nombreuses années, les sociétés productrices de tabac infiltraient l'OMS en payant des consultants pour saper le travail de l'Organisation. Les membres de l'équipe en charge de l'Initiative pour un monde sans tabac se sont même mis à vérifier qu'ils n'étaient pas sur écoute. Ces tactiques étaient déstabilisantes, mais elles n'ont pas fonctionné.
Les négociations sur la convention-cadre ont débuté en 2000 et se sont poursuivies pendant deux ans et demi. Enfin, il y a 20 ans aujourd'hui, le 21 mai 2003, et près de 30 ans après que la Dre. Roemer a proposé l'idée pour la première fois, la Cinquante-Sixième Assemblée mondiale de la Santé a adopté la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac.
Au cours des 20 années qui ont suivi, grâce à la Convention-cadre de l'OMS et à l'ensemble des mesures techniques MPOWER qui la soutiennent, la prévalence du tabagisme a chuté d'un tiers au niveau mondial. Les deux tiers de la population mondiale sont désormais protégés par au moins une mesure MPOWER. La Convention-cadre de l'OMS est la preuve vivante du pouvoir des accords mondiaux pour induire un changement de paradigme dans la santé mondiale.
La Dre. Brundtland est présente parmi nous aujourd'hui, et j'aimerais que vous vous joigniez à moi pour la remercier de son leadership et de l'héritage qu'elle nous a laissé.
[APPLAUDISSEMENTS]
Merci Gro, tusen tak.
L'adoption de la Convention-cadre de l'OMS a coïncidé avec la première d'une série de flambées, d'épidémies et de pandémies qui ont marqué les deux premières décennies du XXI e siècle et qui ont contribué à façonner l'OMS d'aujourd'hui.
En février 2003, on a signalé les premiers cas d'une nouvelle maladie respiratoire étrange causée par un agent pathogène inconnu qui s'est avéré être un coronavirus. Cela vous rappelle quelque chose ?
C'était l'épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS). À peu près au même moment, les premiers cas humains de grippe aviaire A(H5N1) ont été signalés, suscitant la crainte d'une pandémie de grippe causée par un virus qui tue six des 10 personnes qui le contractent. Si le SRAS et le H5N1 ont semé la panique dans le monde entier, aucun n'a provoqué de pandémie mondiale, et ce en grande partie grâce au leadership fort de la Dre. Brundtland.
Son leadership a également été déterminant dans la révision en profondeur du Règlement sanitaire international qui a suivi, et qui prévoyait notamment la possibilité pour un Directeur général de déclarer une situation d'urgence de santé publique de portée internationale. Si elle n'a elle-même jamais eu besoin de recourir à cette disposition, la Dre Margaret Chan, originaire de Chine, qui lui a succédé au poste de Directeur général, l'a fait, quatre ans plus tard, lorsqu'un nouveau virus grippal a déclenché la première pandémie du XXI e siècle : la pandémie de grippe A(H1N1).
Alors que le H5N1 était hautement pathogène, mais peu transmissible, c'était l'inverse pour le H1N1. Bien qu'il se soit propagé rapidement dans le monde entier, il a causé des formes en grande partie bénignes de la maladie et, pour une pandémie, relativement peu de décès. Néanmoins, le H1N1 a révélé une dangereuse faille dans les défenses mondiales contre les pandémies. Des vaccins ont été rapidement mis au point, mais quand les populations démunies à travers le monde ont pu en bénéficier, la pandémie avait pris fin.
Cette expérience a conduit à l'élaboration, sous la direction de la Dre Chan, du Cadre de préparation en cas de grippe pandémique (PIP), un engagement historique entre les États Membres de collaborer face à une pandémie de grippe pour échanger des échantillons de virus et des vaccins. Mais l'encre du cadre PIP était à peine sèche qu'une nouvelle épidémie mortelle a éclaté, causée non pas par la grippe, mais par l'un des virus les plus redoutés au monde : Ebola.
Pendant plus de deux ans, le monde a regardé avec horreur la maladie à virus Ebola ravager l'Afrique de l'Ouest. Et même si elle ne s'est jamais transformée en pandémie mondiale, la flambée de maladie à virus Ebola en Afrique de l'Ouest a montré la nécessité de réformer en profondeur le travail de l'OMS en matière de préparation et de riposte aux situations d'urgence.
En 2015, toujours sous la direction de la Dre Chan, cet événement a conduit à la création du Programme OMS de gestion des situations d'urgence sanitaire et du Fonds de réserve de l'OMS pour les situations d'urgence, un instrument de financement flexible qui a permis à l'OMS de débloquer plus de 350 millions de dollars des États-Unis pour riposter rapidement à des centaines de situations d'urgence au cours des huit dernières années.
Chacune de ces flambées, épidémies et pandémies a enseigné au monde de nouvelles leçons et a débouché sur de nouveaux accords et de nouveaux outils pour mieux protéger l'humanité contre les menaces sanitaires. Pourtant, le monde a été pris par surprise et s'est trouvé mal préparé à la pandémie de COVID-19, la crise sanitaire la plus grave depuis un siècle.
Au cours des trois dernières années, la COVID-19 a bouleversé notre monde. Près de 7 millions de morts ont été déclarés, mais nous savons que le bilan est bien plus lourd : il s'élève à 20 millions au moins. La pandémie a fortement perturbé les systèmes de santé et provoqué de profonds bouleversements économiques, sociaux et politiques.
La pandémie de COVID-19 a changé notre monde, et c'était nécessaire. En 2020, j'ai décrit la COVID-19 comme un long et sombre tunnel. Nous sommes maintenant sortis de ce tunnel. Soyons clairs, la COVID-19 n'a pas disparu, elle continue de tuer, d'évoluer et de nécessiter notre attention, mais elle ne représente plus une urgence de santé publique de portée internationale.
La fin de la COVID-19 en tant qu'urgence sanitaire mondiale n'est pas seulement la fin d'un mauvais rêve dont nous nous sommes réveillés. Nous ne pouvons pas nous contenter de continuer comme avant. C'est le moment de regarder derrière nous et de nous souvenir de l'obscurité du tunnel, puis de regarder devant nous et d'avancer à la lumière des nombreuses et douloureuses leçons que la pandémie nous a enseignées.
Le premier de ces enseignements est qu'il faut une riposte commune pour faire face à des menaces communes. À l'instar de la Convention-cadre de l'OMS pour la lutte antitabac, l'accord sur les pandémies que les États Membres négocient actuellement doit être un accord historique visant à opérer un changement de paradigme dans la sécurité sanitaire mondiale, en reconnaissant que nos destins sont liés.
Le moment est venu pour nous d'écrire un nouveau chapitre de l'histoire de la santé mondiale, ensemble ; de tracer une nouvelle voie à suivre, ensemble ; de rendre le monde plus sûr pour nos enfants et nos petits-enfants, ensemble.
===
Excellences,
Au cours des trois quarts de siècle qui se sont écoulés depuis la création de l'OMS, le monde a connu d'importantes améliorations en matière de santé. L'espérance de vie est passée de 46 à 73 ans à l'échelle mondiale, les gains les plus importants étant enregistrés dans les pays les plus pauvres.
Quarante-deux pays ont éliminé le paludisme, nous avons fait reculer les épidémies de VIH et de tuberculose, nous avons pratiquement éradiqué la poliomyélite et la dracunculose et nous avons élargi l'accès au traitement curatif de l'hépatite C. Je voudrais profiter de cette occasion pour remercier l'ancien Président des États-Unis d'Amérique Jimmy Carter pour son leadership et son engagement en faveur de l'éradication de la dracunculose, qui devrait bientôt être une réalité.
Rien qu'au cours des 20 dernières années, la mortalité maternelle a diminué d'un tiers et la mortalité de l'enfant de moitié. Au cours des cinq dernières années seulement, de nouveaux vaccins contre la maladie à virus Ebola et le paludisme ont été approuvés et sauvent aujourd'hui des vies.
Bien entendu, l'OMS ne saurait revendiquer à elle seule le mérite de ces avancées, car la nature même de notre travail consiste à collaborer avec des partenaires pour soutenir l'innovation et les pays dans la mise en oeuvre de politiques et de programmes porteurs de changement. Mais il est difficile d'imaginer que le monde aurait bénéficié des mêmes progrès si l'OMS n'avait pas existé.
Les défis d'aujourd'hui sont très différents de ceux auxquels nous étions confrontés en 1948. Les maladies non transmissibles représentent désormais 70 % des décès dans le monde ; le tabac fait toujours 8,7 millions de morts chaque année ; les taux d'obésité explosent ; la pandémie de COVID-19 a mis en évidence l'énorme fardeau que représentent les troubles mentaux et la faiblesse des services de santé ; la résistance aux antimicrobiens menace de réduire à néant un siècle de progrès médicaux ; de profondes disparités persistent dans l'accès aux services de santé, entre les pays et les communautés et en leur sein ; et la menace existentielle des changements climatiques met en péril l'habitabilité même de notre planète.
Une crise climatique est une crise sanitaire.
L'OMS est également confrontée à ses propres défis institutionnels. Au cours des 20 dernières années, les attentes du monde à l'égard de l'OMS se sont considérablement accrues, mais nos ressources n'ont pas suivi. Vient ensuite le défi d'être une organisation technique et scientifique dans un environnement politique - et de plus en plus politisé.
Ces défis sont immenses et complexes. Nous ne les résoudrons pas lors de cette Assemblée de la Santé, et nous ne les résoudrons peut-être pas de notre vivant. Mais, petit à petit, nous construisons une voie que nos enfants et petits-enfants emprunteront et qu'ils continueront à construire. Parfois, la construction est lente. Parfois, la route est sinueuse et accidentée. Mais la destination est certaine et plus proche aujourd'hui qu'à l'époque de nos prédécesseurs en 1948.
C'est la destination qu'avait imaginée le premier Directeur général de l'OMS, le Dr Brock Chisholm, du Canada, l'un des pères de la Constitution de l'OMS : amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible.
Je vous remercie.