Le prêtre rwandais Hormisdas Nsengimana a été entendu le 22 mai au procès de l'ancien gendarme rwandais Philippe Hategekimana. Accusé lui-même de génocide et crimes contre l'humanité, l'ecclésiastique avait été acquitté en 2009 par le tribunal de l'Onu pour le Rwanda. Mais aux Assises de Paris, le parcours du prêtre à Nyanza durant le génocide a de nouveau été questionné.
« Excusez-moi, mais est-ce qu'il s'agit du procès de l'accusé ou du témoin ? », s'agace Emmanuel Altit, avocat de la défense, le 22 mai. De fait, il a été assez peu question de l'accusé, Philippe Hategekimana, en cette fin d'après-midi aux Assises de Paris. L'ancien gendarme rwandais y est jugé depuis le 10 mai pour des faits de génocide et crimes contre l'humanité commis dans la région de Nyanza, dans le sud du Rwanda, en 1994. Mais ce lundi, le témoin présent en visio-conférence est une personnalité bien connue de la justice.
Hormisdas Nsengimana, 68 ans, prêtre catholique et ancien directeur du Collège Christ-Roi de Nyanza, a été accusé de génocide et crimes contre l'humanité devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Il sera finalement acquitté, en 2009, la chambre de première instance estimant que les moyens de preuves présentés par l'accusation n'étaient pas suffisamment crédibles pour prouver au-delà de tout doute raisonnable la culpabilité du prêtre. Une victoire pour sa défense assurée alors devant le tribunal de l'Onu par Me Altit, qui se trouve être aujourd'hui l'avocat de Hategekimana. Mais un scandale aux yeux du gouvernement rwandais et de l'organisation de victimes Ibuka, également partie civile au procès du gendarme.
Résidant désormais en Italie, Nsengimana connaît l'accusé depuis presque toujours. Comme il le rappelle dans sa déclaration préliminaire, Hategekimana et lui sont nés dans des villages voisins du sud du pays. « J'ai eu l'occasion de le côtoyer à l'époque », déclare le prêtre de sa voix nasillarde. Les deux hommes se sont revus en Europe, il y a quelques années, alors que le prêtre se rendait en Bretagne rendre visite à un confrère. « Il m'a hébergé une nuit avant que je reprenne ma route », explique Nsengimana. « Vous étiez donc restés en contact ? », demande le président. « Non, pas vraiment, c'est mon confrère qui le connaissait. Dire que je suis resté en contact avec lui, c'est beaucoup dire. On se parlait au téléphone de temps en temps. »
« Je ne peux dire qui était extrémiste ou pas »
S'agissant des crimes que Hategekimana est accusé d'avoir commis dans la région de Nyanza en avril 1994, le prêtre déclare : « Je n'ai jamais entendu dire que l'adjudant-chef était mêlé aux massacres. Comme je le connais, c'était un homme très équilibré et il parlait avec les personnes des deux communautés. Il n'avait pas de penchant pour une ethnie ou pour une autre. »
Nsengimana affirme ne pas avoir eu de réel contact avec Hategekimana lors du génocide. Un terme qu'il n'utilisera d'ailleurs jamais, parlant de « situation très tendue ». « Je ne sortais pas beaucoup étant donné que la situation était très tendue. Mais je devais aller m'acheter à manger. Et bien sûr je me renseignais sur la situation. » À la question d'une assesseure cherchant à savoir comment il pouvait être si certain que Hategekimana fréquentait les deux ethnies et restait « modéré », selon le terme du témoin, ce dernier se contente de répondre : « Je vous l'ai dit, nous avons grandi ensemble. » Face aux questions des parties civiles, il est cependant en peine de donner les noms de Tutsis que l'accusé aurait fréquentés, évoquant seulement une famille hutue ayant caché des Tutsis et que Hategekimana, à ce qu'il a entendu dire, aurait aidée.
Hategekimana n'est pas le seul que le prêtre considère « modéré ». De l'ouvrier du collège du Christ-Roi, soupçonné par le TPIR d'avoir été impliqué dans plusieurs meurtres, il dit également qu'il le pensait « modéré », tout en nuançant : « Mon contact avec lui était limité. »
- « Est-ce que vous avez connu des personnes qui étaient extrémistes ? finit par demander le président Jean-Marc Lavergne.
- Franchement, je ne peux juger personne. À part l'adjudant-chef, que je savais modéré, je ne peux dire qui était extrémiste ou pas », répond le témoin.
De manière générale, le prêtre dit savoir peu de choses sur ce qui s'est passé dans la région de Nyanza en avril et mai 1994, réitérant encore et encore qu'il « sortait peu ».
- « Est-ce qu'il y a eu des massacres à Nyanza et aux alentours ? demande le président.
- Écoutez, moi personnellement, je ne suis pas sorti pour voir s'il y avait des massacres ou pas. Mais tout le monde sait qu'il y a eu des massacres, j'en ai entendu parler.
- Qui a été massacré ?
- Des Tutsis.
- Par qui ?
- Vous m'amenez très très loin là. Moi je ne suis pas sorti donc je ne peux pas vous dire par qui ! » s'agace Nsengimana.
« On m'a accusé de beaucoup de choses mais ce n'étaient que des rumeurs »
Quand le président le questionne sur de possibles massacres commis par des gendarmes dans la région, le témoin élude.
- « Pendant mon procès, j'ai entendu parler de faits commis par des gendarmes mais de massacres non.
- Est-ce que, au cours de votre procès, on a mis en cause des gendarmes pour les meurtres de personnes que vous-même étiez accusé d'avoir tué ? insiste le juge Lavergne.
- Un gendarme qui a commis des meurtres, de ça nous n'avons pas parlé non, finit par répondre Nsengimana après un silence. Mais on a parlé de gendarmes qui auraient arrêté des gens. »
Le président lit un extrait de la décision d'acquittement du TPIR le concernant - dans laquelle il est rappelé que sa défense a soutenu que le meurtre d'un abbé à l'église paroissiale de Nyanza, dont Nsengimana était accusé, aurait en fait été commis par un gendarme ou un militaire. Puis, face à la mémoire défaillante affichée du témoin, il lit d'autres extraits où l'implication de gendarmes dans des meurtres est évoquée. Chaque fois, le prêtre se justifie - « Je n'ai pas relu le jugement avant de venir témoigner » - et affiche sa perplexité : « Oui, ça me dit quelque chose mais j'ai comme l'impression qu'il y a eu des ajouts. »
Pendant près de deux heures, les accusations dont le prêtre a fait l'objet planent sur l'audience, nourrissant les questions du président puis, plus tard, des parties civiles. Meurtres de religieux tutsis, d'un élève venu chercher refuge dans son école, direction de groupes armés sanguinaires... « On m'a accusé de beaucoup de choses, mais le procureur n'a pu produire aucun témoin fiable, rappelle Nsengimana, ce n'étaient que des rumeurs. »
Sur les bancs de la défense, Me Altit finit par s'irriter que l'on refasse le procès du témoin qu'il a fait appeler. Le président lui réplique qu'il lui paraît nécessaire d'évaluer la crédibilité de ce dernier. « Dans ce cas, je me réserve le droit de dire au témoin de ne pas répondre à ces questions car il s'agit d'auto-incrimination », déclare l'avocat. « Auto-incrimination de quoi ? s'énerve à son tour l'avocate générale Céline Viguier. Il a été acquitté enfin ! » Et le président de demander que l'on cesse ces intempestives interruptions.
« Y a-t-il eu un génocide au Rwanda ? »
Quand vient le tour des parties civiles, les avocats cherchent tour à tour à savoir comment Hormisdas Nsengimana a pu se déplacer dans Nyanza et jusqu'à Butare pour rencontrer son évêque (un Tutsi, selon le prêtre, qui lui a conseillé de « rester tranquille dans son école », précise le prêtre) sans voir de ses yeux les massacres en cours. « Non je n'ai pas vu de victimes aux abords des barrages, par bonheur », réplique Nsengimana. Mais Richard Gisagara, l'un des avocats des parties civiles, repose surtout la même question qu'il avait posée, la semaine précédente, à un autre témoin acquitté du TPIR, le général Augustin Ndindiliyimana : « Y a-t-il eu un génocide au Rwanda ? »
À cela, l'ancien chef d'État-major de la gendarmerie rwandaise, acquitté en appel en 2014, avait répondu, le 16 mai : « Je ne peux pas nier le génocide puisqu'il a été reconnu par le TPIR. Moi, je pense que des gens sont morts. Des Hutus sont morts, des Tutsis sont morts. » Ndindiliyimana avait par ailleurs insisté sur la nécessité des barrages routiers, destinés à débusquer les « infiltrés » du Front patriotique rwandais (FPR), la rébellion qui prendra le pouvoir en juillet 1994, mettant fin au génocide. L'avocate générale lui rappelant les nombreux civils tués à ces barrages, le général avait répliqué : « On aurait dû donner des instructions plus claires mais ça n'a pas été le cas. »
Le 22 mai, face à Nsengimana, Me Gisagara reprend l'offensive : « Vous parlez de période "trouble", "très tendue", reconnaissez-vous aujourd'hui qu'il s'agissait d'un génocide ? » « La question a été tranchée par le TPIR », déclare le prêtre. Et quand un autre avocat des parties civiles réitère la question, l'ecclésiastique s'énerve. « Je le répète, la question a été tranchée par le TPIR. On n'y revient pas ! » s'exclame-t-il.
Philippe Hategekimana, enfoncé dans son siège dans le box des accusés, semble alors avoir été oublié.