Les populations autochtones subissent plus que les Européens l'épidémie de grippe espagnole de 1919, et les médecins l'expliquent par des conditions de vie et d'hygiène différentes des deux communautés. À commencer par l'alimentation. Celle des Malgaches est, en général, irrégulière, insuffisante ; sa préparation est sommaire ; les produits sont parfois ingérés dans un état de faisandage avancé.
Maurice Gontard (1970) explique : « L'eau est trop souvent puisée au ruisseau le plus proche, ou dans la mare voisine où les troupeaux ont laissé des traces évidentes de leur passage. » De plus, leurs maisons, « mal construites, n'abritent pas les habitants des intempéries ». Petites, elles favorisent la promiscuité qui facilite la transmission rapide de toutes les affections épidémiques, difficiles à nettoyer. Sans fenêtres suffisantes, elles manquent d'aération et d'insolation. Circonstance aggravante, dès le début de l'épidémie, de nombreux Malgaches essaient d'échapper au mal : ils « abandonnèrent les travaux en cours et se terrèrent dans leurs cases.
Entassés les uns sur les autres dans la pièce la plus sombre, sous la torture le plus souvent, les voies respiratoires irritées par la fumée, se nourrissant mal, vivant pêle-mêle avec les malades, ils offrirent tout de suite un terrain trop bien préparé où une maladie épidémique aussi contagieuse que la grippe, ne pouvait faire que des ravages importants ». Pour éviter cette contagion, l'administration interdit aux familles malgaches « dont un membre est atteint de grippe, de recevoir dans leur maison, des personnes qui habituellement n'y habitent pas ». Les traditions funéraires contribuent aussi (parfois) à la contamination.
Dans le village de Niarovana, à Vatomandry, une jeune fille décède de la grippe et est enterrée. Mais cinq jours plus tard, son corps est exhumé et porté en grande pompe au village de Masomeloka pour l'enterrement selon le rituel coutumier. « Tous les porteurs moururent et tout le gouvernement de Masomeloka paya les conséquences de cette imprudence. »
En outre, estiment les médecins, la grippe frappe les Malgaches « à l'automne austral, au moment où ils étaient épuisés par le paludisme des mois précédents, anémiés, porteurs de grosses rates», et constituent un terrain sans résistance. Un médecin d'Antananarivo observe que les ravages de la grippe « ont été proportionnés au degré d'impaludation des habitants. Tous ceux qui prennent de la quinine à titre préventif, sont restés indemnes ou ont eu des formes bénignes ».
C'est aussi l'avis du médecin du Vakinankaratra : « Le paludisme entraîne ici une partie des affections pulmonaires et digestives... Le paludéen est très sensible à la pneumonie. » Les statistiques montrent également que la grippe est surtout meurtrière sur les Hautes-Terres : les provinces d'Antananarivo, Fianarantsoa, Ambositra, Itasy et Vakinankaratra sont les plus éprouvées. Cela s'explique par les conditions thermiques, puisque la grippe se déclare à l'entrée d'une saison froide. Or, les Malgaches sont mal défendus contre les basses températures, leurs vêtements étant insuffisants. « L'usage de couvertures pour la nuit est très peu répandu et les nuits froides de l'Emyrne font autant de victimes que le paludisme. »
D'après un médecin, la pauvreté n'est pas à incriminer. « En Emyrne, le paysan est riche depuis la guerre, mais il est insouciant et frivole, et beaucoup de femmes arborent des bas de soie et des robes brodées au lieu d'acheter une couverture pour elles et leurs enfants. » Ce qui développe les complications pulmonaires qui se terminent souvent par la mort. Enfin, d'autres causes sont citées, notamment le fait que de nombreux médecins et infirmiers sont eux aussi victimes de la grippe. Ainsi, sur cent quatre-vingt-cinq médecins de l'Assistance médicale indigène, dix-sept en meurent, et les malades sont livrés à eux-mêmes.