Bola Tinubu prête serment ce lundi 29 mai. « Le parrain de Lagos », septuagénaire, devient le président du pays le plus peuplé du continent africain et succède à Muhammadu Buhari. Bola Tinubu est issu du même parti, le All Progressist Congress (APC, Congrès des Progressistes). Il a été désigné vainqueur de la présidentielle du 25 février au terme d'un processus électoral contesté.
La démocratie nigériane est souvent qualifiée de « plus grande démocratie du continent » et « une des plus grandes démocraties du monde » parce qu'elle compte 93 millions d'électeurs inscrits. Dans les faits, pour les analystes comme Sa'eed Husaini, chercheur au Centre pour la démocratie et le développement à Abuja (Center for Democraty and Development), la séquence électorale a montré que c'est une démocratie qui se porte mal.
« L'écart entre la perception des médias et de l'opinion publique avant l'élection de ce que pourrait être la participation et l'espoir suscités par un troisième candidat (Peter Obi), et la réalité d'une élection très difficile et contestée - la reconduction d'un parti dirigeant impopulaire - c'est probablement une des choses qui m'interpellent le plus. C'est vraiment [petit soupir] le jour et la nuit entre ce que les gens ressentent avant et après l'élection », souligne-t-il. Parmi les symptômes du malaise, Sa'eed Husaini pointe le rejet des résultats.
Élection contestée et participation en baisse
En 2015, au terme d'un seul mandat, Goodluck Jonathan avait concédé la victoire à Muhammadu Buhari, mais, comme en 2019, l'élection est contestée cette année. Les opposants Atiku Abubakar et Peter Obi ont dénoncé le scrutin avant même la proclamation des résultats. Bola Tinubu est investi aujourd'hui mais la bataille judiciaire continue.
Cette présidentielle nigériane a par ailleurs été marquée par la faible participation des électeurs, malgré les belles images qui ont circulé sur les réseaux sociaux, vidéos de longues files d'attente d'électeurs et d'électrices déterminés.
« Nous observons un déclin abrupt de la participation. Quand la démocratie revient au Nigeria, en 1999, après des années de régime militaire, le taux de participation tournait autour de 60, 70 %. Puis la baisse fut constante, jusqu'au point où, à cette élection de 2023, seuls 27 ou 29 % des électeurs ont voté, selon le mode de calcul. Il semble qu'à chaque élection, de plus en plus de gens se démobilisent et estiment que le processus ou que le résultat du processus ne justifient pas qu'ils se déplacent », explique Sa'eed Husaini,
Selon les chiffres officiels, Bola Tinubu, le nouveau président du Nigeria, a été élu avec quelque 8,8 millions de voix. C'est six millions de moins que son prédécesseur Muhammadu Buhari en 2019, alors que la Commission électorale se félicitait en début d'année d'avoir enregistré 9 millions de nouveaux électeurs.
Parmi les causes de l'abstention figurent la peur des violences, l'insécurité sur les routes ou encore l'absence de carburant et de cash en pleine période électorale. Mais les politistes comme Cyrielle Maingreaud-Martineaud, de l'Ifra (Institut français de recherche africaine) d'Ibadan soulignent aussi la profonde désillusion des Nigérians face au manque d'alternative proposée par le jeu électoral. « Il n'inclut que des partis et des personnalités politiques qui, de toute façon, acceptent un certain statu quo sur la manière dont le système et le régime politique au Nigeria fonctionnent. Par ailleurs, les mouvements dissidents sont des mouvements politiques qui n'ont pas droit de cité dans les médias et qui ne peuvent pas se présenter aux élections. Beaucoup de Nigérians n'ont pas le sentiment que leur vote pourrait changer quoi que ce soit », relève-t-elle.
Dysfonctionnement du système
Pour celles et ceux qui sont malgré tout allés voter, le coup de massue est venu du dysfonctionnement du système IReV. La Commission électorale nigériane avait promis une mise en ligne, en temps réel, de tous les résultats, bureau de vote par bureau de vote, le soir du scrutin. Cela n'a pas marché et il a fallu, comme les fois précédentes, attendre trois jours pour la compilation officielle des résultats et la proclamation du vainqueur.
Cyrielle Maingreaud-Martineaud souligne aussi l'illusion derrière cette course à la sophistication de l'assistance électorale par la biométrie ou le numérique présentés comme des outils de transparence. « Penser que la technologie arrête la fraude, c'est prendre le problème à l'envers. La fraude se déplace. Cartes électorales confisquées, intimidations... », dit-elle. Et d'ajouter : pour cette séquence électorale nigériane, « c'est le découragement qui fut le principal outil de la fraude. »