Ile Maurice: Torpeur tropicale et immobilisme inquiétant

Ce gouvernement est au pouvoir depuis fin 2014. Nous sommes en 2023. Neuf ans ont donc passé ! Et c'est maintenant, selon les dires du ministre Husnoo au Parlement, que l'on pense soudain à un projet majeur de réforme des administrations régionales et d'amendements à la Local Government Act de 2011 ? Qu'est-ce qui a requis autant de temps de réflexion ? Y a-t-il seulement eu de la réflexion pendant toutes ces années ?

On peut en douter ! Sinon, nous aurions déjà pu lire un White Paper sur la question ? Ou prendre acte des délibérations découlant d'un congrès ou d'une table ronde sur l'avenir de nos administrations régionales ? Ce qui aurait permis de décanter les diverses propositions sur la question et d'enclencher une itération raisonnable et raisonnée vers une réforme progressiste ? D'autant plus que la ministre Fazila Jeewa-Daureeawoo a insisté, au Parlement, que la Local Government Act de 2011 est une loi «bâclée» et qu'elle semble être particulièrement révoltée que l'ancien gouvernement ait «évoqué la création de nouveaux conseils municipaux en vue de réduire la disparité entre les villes et les villages» et que ces réformes étaient toujours attendues ! Torpeur tropicale, sûrement, ou immobilité inquiétante ?

En effet ! Comme on attend d'ailleurs les réformes de ce «nouveau» gouvernement, déjà vieux de neuf ans... Madame la ministre a aussi fait une proposition aussi surprenante qu'elle n'est attendrissante puisqu'il s'agirait, a-t-elle affirmé vigoureusement, désormais, de «mettre l'intérêt de la population avant celui des partis». Elle a immédiatement illustré son propos en votant une loi qui enlève aux citadins leur droit de vote aux municipales... Ça arrange quelqu'un ?

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De toute manière, en quoi est-ce que le renvoi des municipales vient favoriser la réflexion sur cette réforme soudainement prioritaire ? Si l'on avait respecté le droit de vote, pourtant déjà émasculé une fois déjà par la pandémie, est-ce que la «réflexion» n'aurait pas pu, en parallèle, se poursuivre ?

Finalement, le prétexte qu'un tel renvoi permettrait des économies au niveau de l'organisation des élections, l'idée étant d'organiser les régionales et les législatives en même temps, dépasse l'entendement dans un pays où l'on peut régulièrement jeter Rs 171 millions de médicaments périmés, acheter des Pack n Blister inutilisables, construire une branche du métro vers Côted'Or pour Rs 14 milliards, dépenser Rs 16 milliards pour ce que SAJ aurait appelé, avec sa verve coutumière, cette cacade de Safe City là, payer Rs 5,7 milliards de compensation à Betamax pour une intempestive rupture de contrat et dépenser Rs 13 milliards à Agaléga pour mieux «connecter» les Agaléens à leurs frères et soeurs mauriciens !

Faire des économies ne semble avoir jamais été une priorité absolue de ce gouvernement ! Et pourtant, si c'était encore seulement possible, sauf pour l'amendement constitutionnel voulu par le MMM pour OBLIGER des élections nationales tous les cinq ans, quelqu'un évoquerait-il aussi de faire «l'économie» de toutes les élections, vous croyez ?

En tout cas, dans un twist of fate étonnant, le Privy Council de Londres jugeait un renvoi des municipales similaires envisagé à Trinité-et-Tobago comme anticonstitutionnel. Voilà bien de quoi pimenter le ragoût antidémocratique local...

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Il y a longtemps que les démocrates de ce pays désespèrent de l'utilisation abusive de la charge provisoire par la police. L'intervention du Directeur des poursuites publiques (DPP) cette semaine dans le cas de Rama Valayden est une véritable bouffée d'air fais à cet égard ; cependant que nous attendons tous un Police and Criminal Evidence Bill (PACE) plus libéral et plus juste.

Me Valayden a été arrêté le 12 mai par la Special StrikingTeam (SST) sous une accusation de «perverting the course of justice» et la magistrate avait, dans un premier temps, exprimé son exaspération en accordant la liberté sous caution réduite. Me Rashid Amine est depuis intervenu avec une motion demandant, mardi, la radiation de la charge provisoire et recommandant fortement au commissaire de police «not to settle instantly into lodging provisional charges invariably in all cases, but rather to seek prior legal advice from the DPP who is constitutionally mandated to decide in all criminal proceedings». La charge provisoire contre Me Valayden fut alors rayée par la magistrate Azna Bholah.

On a peine à croire que la formule classique plaidée par la police pour retenir quelqu'un en prison sous une charge provisoire, c.-à-d. celle que le prévenu pourrait fuir ou falsifier les preuves ou encore menacer les témoins, peut s'appliquer dans tous les cas et qu'elle aurait pu s'appliquer à ce cas un peu farfelu de «perverting the course of justice». La magistrate et le DPP peinaient à le croire aussi. Le commissaire de police aurait intérêt à être plus prudent et à tempérer, le cas échéant, les prochains «strikes» projetés.

Car il n'y a pas des juges qu'à Berlin ! Ils sont même partout ces juges, y compris dans l'opinion publique et dans l'électorat national !

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Comme si une affaire Franklin ne suffisait pas à ce pays !

Il y a d'abord l'affaire Franklin dénoncée par l'express en janvier, qui nous aura valu un procès en diffamation de, tenez-vous bien, Rs 25 M ! Ce que l'express avait rapporté c'était, tout bonnement, que Franklin, de son vrai nom Jean Hubert Celerine, avait été condamné pour trafic de drogue à La Réunion.

Dans sa plainte, Franklin se présentait comme un homme d'affaires habitant Cité EDC, Grande-Rivière-Noire, et affirmait qu'il n'était impliqué dans aucun trafic de drogue ou de zamal et «qu'à sa connaissance», il n'avait jamais été condamné à la prison à l'île de La Réunion, ajoutant qu'il n'avait pas non plus été confronté à quelque mandat d'arrêt à cet effet.

Les autorités locales - restées étonnamment inertes depuis la condamnation réunionnaise il y a 18 mois, en juillet 2021 - se réveillent en obtenant, grâce à l'initiative de la Financial Intelligence Unit (FIU), le gel de divers comptes bancaires détenus par lui-même, des membres de sa famille et de compagnies lui appartenant, le 23 janvier. La commission anticorruption (ICAC) prend ensuite le relais et enquête depuis exclusivement sur une piste de blanchiment d'argent. L'Attorney General, Maneesh Gobin, quant à lui, tente de se dépêtrer du fait que la demande de collaboration d'une commission rogatoire de la Réunion n'ait pas trouvé d'écho ici pendant des mois et des mois... Les divers départements engagés se passent et se repassent la balle de la responsabilité première, mais ne peuvent, cependant, aucunement se dédouaner de leur responsabilité collective.

Notre pays, baignant dans sa torpeur tropicale et un immobilisme inquiétant, a ainsi permis à un condamné de droit commun de l'Union européenne d'opérer ici librement et de voyager pendant des mois, y compris pour un voyage d'environ 30 jours à Madagascar. Les guerres de territoire entre l'ADSU, la SST, l'ICAC et la FIU, qui sont remontées à la surface, ont suggéré des protections occultes en faveur de Franklin qui se défend, on le comprend bien, contre une demande d'extradition vers la Réunion. Son avocat, Me Yatin Varma, président sortant du Bar Council, est silencieux. Cette affaire Franklin a, au moins, jusqu'ici, produit des pelletées de prête-nom et des parkings entiers de Raptor, mais elle a été largement éclipsée depuis par les vadrouilles peu claires du «Minis cerf» dans les environs de Grand-Bassin. Surprise ! Il s'agit du ministre de l'Agro-industrie qui se trouve être aussi l'Attorney General de notre admirable pays. Pas très appétissant tout ça...

L'autre Franklin, c'est David Franklin, un citoyen britannique, cette fois-ci non pas interpellé, mais victime. Cela fait quatre ans que David Franklin cherche des réponses fiables sur Rs 200 millions qui ont été «égarées» par Finsburey Management Services Ltd. Ni la Financial Services Commission, ni la police, ni l'ICAC, ni la FIU, ni aucune autre institution n'a jusqu'ici, semble-t-il, rédigé un rapport pour expliquer à M. Franklin ce qu'est devenu son argent...

Encore un cas de «torpeur tropicale et d'immobilisme inquiétant» ?

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Notre port de Port-Louis préoccupe depuis des années sans que nos gouvernements ne veuillent agir de manière décisive. Luchmeenaraidoo a bien essayé la privatisation en 2015, mais il a reculé. On a continué à investir des centaines de millions sans voir des gains de productivité face aux autres ports du monde. C'est ainsi qu'en 2022, la Banque mondiale nous classe 327e sur 344 ports étudiés, confirmant les critiques des utilisateurs et les dangers que les lignes maritimes ne nous claquent finalement entre les doigts, avec les conséquences que l'on peut imaginer !

«Torpeur... immobilisme...» pour longtemps encore ?

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