Arrivé premier devant l'Ivoirien Seko Fofana, tenant du titre et pour qui il aurait voté, le Congolais Chancel Mbemba est ravi de décrocher le prix Marc-Vivien Foé. Avec RFI, il évoque sa fierté et revient sur sa saison à l'Olympique de Marseille, sans oublier les Léopards et... sa tante Sylvie.
Chancel Mbemba, que ressentez-vous après avoir remporté le prix Marc-Vivien Foé qui récompense le meilleur joueur africain de la Ligue 1 ?
D'abord, de la fierté. Ensuite, je dis merci à l'ensemble des personnes qui ont voté pour moi. Déjà, être dans la liste, ce n'est pas facile, parce qu'il y a beaucoup d'Africains en Ligue 1, je ne pensais pas le gagner. Aujourd'hui, c'est fait, je dis : « Merci ! ». En tant que Congolais, c'est un plaisir. En plus, pour ma première année en France, j'ai vraiment travaillé, parce qu'il y a beaucoup de talents en Ligue 1. Mais, grâce à Dieu, j'ai gagné.
Il y a une centaine de joueurs africains en Ligue 1. Vous auriez voté pour qui ?
J'aurais voté pour Fofana [le milieu ivoirien Seko Fofana de Lens, NDLR]. J'aurais voté également pour Bamba Dieng, parce que c'est mon gars (rires). Il y a beaucoup de joueurs africains en Ligue 1, et beaucoup auraient mérité de gagner ce trophée. Fofana avait gagné l'année dernière, c'est un plaisir d'être devant lui quand je regarde ses performances.
Vous considérez que c'est un gros exploit d'être devant Fofana, alors que c'est votre première saison en France ?
Oui, parce que gagner ce trophée était aussi un de mes objectifs. Fofana l'a remporté et, avant lui, c'était Gaël Kakuta, un Congolais comme moi. Quand je suis arrivé en France, je me suis dit qu'il fallait que je travaille à fond, montrer mes qualités à chacun pour faire comme eux et entrer dans l'histoire. C'est grâce à eux que j'ai gagné. J'ai une forte relation avec Gaël Kakuta. On est toujours ensemble en équipe nationale. C'était un exemple à suivre en arrivant en France.
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Vous venez du championnat portugais et vous débarquez en France dans un club exigeant et médiatisé comme l'OM. Comment vous expliquez cette adaptation presque parfaite pour votre première année ici ?
Pour moi, c'était d'abord un défi. J'ai fait un bon parcours au Portugal, mais il fallait tourner la page. L'OM m'a donné cette opportunité, je voulais aussi venir en France, parce que c'est plus médiatisé, c'est une vitrine, on regarde plus le championnat français au pays. Après, j'ai joué dans plusieurs clubs, mais l'appel du président Longoria pour me faire venir m'a beaucoup touché. C'était la première fois qu'un président m'appelait pour signer dans son club. J'ai aussi discuté avec « Bakagoal », Cédric Bakambu, qui était encore au club. Après, il fallait vite s'adapter, travailler pour ce nouveau challenge, m'imposer rapidement et montrer que j'étais capable de jouer en Ligue 1.
L'OM, c'est aussi beaucoup les supporteurs. Vous qui avez évolué en Belgique, en Angleterre, au Portugal, vous vous attendiez à un tel engouement de la part du public marseillais ?
Non ! Sans blague, je ne savais que c'était aussi... [il ne finit pas sa phrase, NDLR]. Je ne m'attendais pas à être adopté aussi vite. Moi, mon objectif, c'était juste de montrer de quoi j'étais capable, mes qualités. J'ai commencé à faire mes matchs et j'ai senti la joie des supporteurs. Quand il m'arrive de les croiser, ils m'encouragent beaucoup, me disent merci de me donner à fond. Ça fait plaisir. C'est un bonheur de jouer à l'OM, de donner de la joie aux supporteurs.
Depuis quelques semaines et les matchs contre la Mauritanie en éliminatoires de la CAN 2024, on a l'impression que vous marquez le pas. En tout cas, vous n'êtes plus un titulaire indiscutable aux yeux de votre entraîneur, Igor Tudor. Est-ce que c'est un problème physique, un choix du coach ?
D'abord, c'est une fierté quand tu pars au pays pour défendre le drapeau. Je suis parti et je suis revenu, même un jour plus tôt que prévu, parce que j'aime mon travail. Après, si je ne joue pas, c'est le choix du coach. Mes amis, mes coéquipiers me demandent si j'ai un problème avec le coach, mais il n'y a rien. Il fait ses choix, il faut les accepter. Moi, je suis à 100%, je suis là pour le club. Est-ce que je trouve injuste de ne plus être titulaire ? Je laisse tout entre les mains de Dieu. Je ne force pas les choses. Si j'ai l'opportunité de jouer, je joue. Sinon, je suis derrière l'équipe et mes coéquipiers. Je n'ai pas discuté avec le coach, je suis là pour travailler.
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En parlant de travail, il y a un phénomène qui est né à partir d'une de vos interviews, avec le hashtag #boulot-palais, c'est-à-dire : « On fait son travail et on rentre à la maison. Pas le temps de s'amuser. » Le fait que les supporteurs, les jeunes Congolais, véhiculent cette philosophie, « boulot-palais », qu'est-ce que cela vous inspire ?
« Boulot-palais », c'est ma devise, ce n'est pas quelque chose que je demande aux autres. J'ai une carrière, j'ai une ambition. Quand je suis arrivé en Europe, je me suis dit : il faut y aller étape par étape. Pour moi, pour être bien dans ma vie et réussir, je fais mon travail, je rentre à la maison. Je profite de mes enfants à la maison. Je profiterai du reste après ma carrière. Actuellement, c'est le travail. C'est grâce à mon travail que je suis ici. Le travail te valorise, c'est par le travail que tout le monde peut voir de quoi tu es capable. Si tu ne travailles pas... c'est chaud.
Vous avez parlé tout à l'heure de l'équipe nationale, on sent que c'est important pour vous. Qu'est-ce que cela représente de porter le maillot des Léopards ?
C'est une fierté de porter le drapeau de son pays. Quand tu as la grâce d'être appelé en équipe nationale, tu dois être fier. J'ai été appelé en 2012 pour la première fois par Claude Le Roy. J'étais dans la réserve d'Anderlecht et il m'a appelé pour venir m'entraîner avec l'équipe A. J'ai saisi l'opportunité et j'ai joué mon premier match contre les Seychelles à Kinshasa. Personne ne me connaissait, car je n'avais pas joué dans les grands clubs du pays comme Mazembe ou l'AS Vita. Les gens de ma famille disaient : « C'est notre fils. » Quand j'ai fini le match, je suis rentré au quartier, c'était la fête.
Il paraît que vous êtes tellement attaché à l'équipe nationale qu'un jour, à la veille d'un match contre le Congo-Brazzaville, vous étiez tellement motivé que vous en êtes arrivé à pleurer...
[Sourire] Le derby, c'est un match capital. Il y a tellement d'histoires entre le deux Congos que, pour nous, c'est un match à ne pas perdre. Ce match-là [quart de finale de la CAN 2015, NDLR], il fallait que chaque joueur se donne à fond pour gagner. On a mal commencé en première mi-temps [0-0]. Après, en deuxième mi-temps, on a marqué 4 buts [4-2, score final, NDLR].
Les supporteurs congolais vous surnomment « demi-dieu », d'où cela vient-il ? Qu'est-ce que cela traduit ?
[Il souffle.] Je ne sais pas. Au Congo, on aime beaucoup la musique. C'est un musicien congolais, Fabregas [Fabrice Mbuyulu, NDLR] qui m'a dédicacé une chanson, c'était en 2013. Je n'étais même pas au courant. C'est quand j'ai commencé à faire mes matchs à Anderlecht, à jouer la Ligue des champions, à marquer des buts et être plus connu que la chanson est ressortie et le surnom aussi. Voilà, je n'ai rien demandé, je n'ai pas le choix, les supporteurs m'appellent ainsi. Mais aujourd'hui, je préfère qu'on m'appelle par mon prénom, Chancel, qui vient de « chance ».
Vous avez commencé à jouer au football à Kinshasa. Vous rappelez-vous vos premiers pas dans le quartier ? Vous imaginiez-vous déjà jouer en Europe à ce moment-là ?
Au début, non jamais ! On commence dans la rue, pieds nus, avec un ballon fabriqué, rapiécé. Je jouais comme ça dans la rue avec mes amis et un jour ma tante, Sylvie, m'a dit : « J'ai fait un rêve dans lequel je te vois jouer au football en Europe et les gens chantent ton nom. ». J'avais six ans et cela m'a marqué. Cette phrase m'a accompagné dans ma carrière. Parce que je me disais que ce n'était pas un hasard que ma tante, qui ne s'y connaissait absolument pas en football, me sorte ça. C'était un message. Pour moi, j'avais une grâce et il fallait donc aller la chercher, me focaliser dans mon travail. Dès lors, je me suis discipliné très tôt. Je travaille, je ne sors pas, je m'entraîne, je rentre à la maison, je regarde mes films avec mon ami Georges. J'ai toujours fait ça. Aujourd'hui, ma tante rigole quand elle me voit et qu'on repense à ce qu'elle m'avait prédit.
Vous avez une relation particulière avec les Sénégalais : Cheikhou Kouyaté à Anderlecht, Mamadou Ndiaye Loum à Porto, Bamba Dieng et Pape Guèye à l'OM. Quel joueur sénégalais rêveriez-vous de voir à l'OM prochainement ?
Ah ! J'ai déjà parlé de mon gars [Iliman Ndiaye, attaquant qui joue à Sheffield United, NDLR] dans une interview récente et cela a fait beaucoup de bruit. Je ne vais rien dire cette fois [rire]. Mais je pense que pour la majorité des Sénégalais qui jouent au foot, leur premier rêve, c'est de jouer à l'OM. Ma belle-mère est Sénégalaise, j'ai des cousins au Sénégal qui me disent que l'OM est unique là-bas, c'est comme le Real Madrid. Moi, je veux que tous les bons joueurs sénégalais viennent à l'OM. Je ne vais pas citer de noms, sinon mon téléphone ne va pas arrêter de sonner [rire]. En tout cas, je dis aux joueurs sénégalais : s'ils ont l'opportunité de venir jouer pour Marseille et sentir la chaleur, c'est un top club.