TUNIS/Tunisie — Oser, provoquer et déranger sont les maîtres mots dans sa création artistique née de son regard critique pointu et avisé depuis les années 2008, face à un « ras-le-bol » ressenti par l'artiste protéiforme Faten Rouissi, qui fait partie des 6 artistes participants à l'exposition « 6 Regards » à la galerie MaKam à la Cité de la Culture Chedly Klibi de Tunis, dans le cadre des Journées d'Art Contemporain de Carthage (JACC, 26-30 Mai 2023).
Cette démarche téméraire l'a toujours habitée en tentant au fil des années d'adapter l'ironie classique dans le domaine littéraire au champ plastique/visuel. Pour cette adepte de l'ubiquité, d'où d'ailleurs l'intitulé de sa série actuellement présentée (jusqu'au 31 août 2023) à "La Galerie Africaine" à Paris dans le cadre de l'exposition « Echo », l'oeuvre picturale est un livre dont les pages s'ouvrent une à une pour en laisser place à chaque fois à un autre nouveau-né dans un perpétuel questionnement sur notre quotidien, sur ce que nous sommes et ce que ce nous voulons devenir.
Après un cursus académique pluridisciplinaire en design graphique, art plastique et théorie de l'art, la plasticienne et artiste visuelle Faten Rouissi, qui expose en Tunisie et ailleurs, esquissait au fil des années des oeuvres qui basculent complètement le visuel avec son regard artistique critique et dérangeant né avant même le 14 janvier 2011.
Ce qui relève du paradoxe, de l'hyperbole et de la caricature, explique-t-elle dans une rencontre avec l'agence TAP, est au centre de ses travaux. A commencer par « La grande lessive » en 2010, un plaidoyer artistique pour assainir le système, en passant par « Art dans la rue- Art le quartier » pendant la révolution, et sur les voitures brulées, « Fermeture provisoire», « Hommage à Mme censure" (2009) , ou encore « Bye bye Bakchich System » en 2014, « De Colline en Colline" (2013) etc, elle a, chaque fois, posé un regard sur l'art contemporain, un art apparu dans les années 50 et qui demeure tardif en Tunisie, avance-t-elle.
Après une première participation aux JACC dans leur édition de lancement en 2018, Faten Rouissi, également chercheuse-universitaire à l'Ecole Nationale d'Architecture et d'Urbanisme de Tunis (ENAU), revient pour ce troisième rendez-vous avec deux séries touchant à plusieurs médiums. Lesquelles, à l'image des énoncés narratologiques, sont des oeuvres peu habituelles en peinture : ce sont entre autres les enveloppes transparentes qui se multiplient et se métamorphosent et qu'Aude Minart, sa galeriste parisienne, considère comme « cheffes d'orchestre de son exposition « Correspondances du Temps Présent » du mois d'octobre 2022.
Ainsi, son installation « Jeu de transparences » faisant partie de cette dernière exposition, formée de 45 enveloppes transparentes en usant de multiples techniques (eau osmosée, acrylique bois, polymère transparent, sur socle en bois et à roulettes), se dresse comme un Patchwork, ce tapis multicolore brodé de milliers de points à ne pas en finir.
Et si son acrylique sur toile grand format «Enveloppe imaginaire » s'offre comme une invitation à chercher dans une toile abstraite et mystérieuse de nouveaux messages dans les formes et les couleurs, sa peinture/installation « Enveloppe XXL » invite-t-elle à découvrir cette correspondance polymorphe et polysémique dans son art agitateur.
Par ailleurs, son installation modulaire « Panneaux Dé-routants » composée de plusieurs panneaux et réalisée en 2009, est une mise à nue avec beaucoup d'humour et d'ironie, de situations souvent vues et passées sous silence : avec son regard poignant, elle interpelle à voir le monde qui nous entoure non pas comme il est mais comme il pourrait l'être à travers les yeux de ceux qui osent rêver : son art est une sorte de résilience et de résistance face à l'injustice, la corruption, le dogme, les verrous, Faten Rouissi expose ainsi une vision artistique alimentée de ses expériences et des fragments de son propre univers créé de la rencontre de divergences et petit à petit de cette envie de s'attarder sur ce qui s'alimente de sa vie sociale nourrie des douleurs des uns et des autres.
Une vision qu'elle partage dans le cadre de l'exposition « 6 Regards » à laquelle participent également d'autres créateurs et créatrices dans un circuit déambulatoire jubilatoire pour le regard, le coeur et l'esprit porté par cinq autres artistes dont chacun a un parcours varié, un style distinct, des médiums différents. Réunissant Ines Zili, Amel Bousslema, Imen Besrour, Mabrouk Elkamel et Maher Maaoui, l'exposition donne à voir une large mosaïque de créativité, qui raconte des idées, des histoires et des ressentis à travers l'Art, cette révélation onirique, fantasque, ludique....