Ile Maurice: L'ophtalmologue Patrick Yu Wai Man - Comprendre les défauts génétiques du nerf optique pour mieux développer des traitements de pointe

Ce lauréat mauricien, bardé de diplômes en ophtalmologie, a eu un parcours jalonné de succès depuis qu'il a pris avantage de sa bourse en Grande Bretagne. Mais cela ne va pas sans un travail acharné. En tant que professeur à l'université de Cambridge, il encadre les doctorants en ophtalmologie, dirige un service de soins spécialisés pour les malades atteints de troubles neuro-ophtalmologiques à l'hôpital d'Addenbrooke dans la même ville, de même qu'un service similaire au Moorfields Eye Hospital de Londres. Ajouté à cela, il vient d'être nommé directeur du Cambridge Clinical Vision Laboratory, unité qui fait des recherches poussées sur la neuro-ophtalmologie et la génétique. Portrait d'un professionnel, qui vit à 100 à l'heure.

Le Dr Patrick Yu Wai Man, 45 ans, jongle avec ses défis professionnels, ses soins aux malades, ses déplacements aux quatre coins du monde pour animer et participer à des conférences axées sur son domaine de prédilection, de même que sa vie de famille. «J'ai de la chance d'avoir trouvé en Linda une épouse très solidaire, qui m'aide beaucoup face aux longues heures de travail.» Cellule familiale qui s'est agrandie avec l'arrivée, en mai 2022, du petit Joshua, «grande source de joie» pour ses parents.

Le Dr Yu Wai Man est né à Maurice alors que son épouse Linda est née en Grande-Bretagne de parents mauriciens. Celle-ci trouve son bonheur professionnel dans la finance auprès de la HSBC à Londres. Patrick Yu Wai Man et elle ne se seraient sans doute jamais rencontrés si cet élève du Collège Royal de Port-Louis n'avait pas décroché la bourse d'État.

Car bien que ses parents étaient de la classe moyenne - son père Jean était représentant des ventes chez Panagora et feue sa mère Patricia, administratrice de bureau à la Mauritius Broadcasting Corporation - ils n'auraient pas été en mesurede lui payer des études supérieuresen Grande Bretagne, ni à sa jeune soeur Cynthia, lauréate après lui. Ailleurs sans doute mais pas la médecine en GrandeBretagne où cela coûte une petite fortune.

Jusqu'à l'âge de six ans, les Yu Wai Man habitent la maison des grands-parents paternels de notre interlocuteur à Port-Louis.Maison qui était située à l'angle des rues Monsieur et Labrillane, non loin de l'église de l'Immaculée Conception. «C'est là que mes parents se sont mariés et où j'ai été baptisé», précise-t-il par mél.

Souvenirs

Lui et sa soeur ont connu les joies des familles élargies car son père a une fratrie nombreuse. Ils étaient neuf enfants (sept frères et deux soeurs) à la maison. C'est avec une certaine nostalgie que le Dr Yu Wai Man se souvient «des journées d'enfance bruyantes passées avec un grand nombre de cousins, petits et grands. Même lorsque nous avons déménagé à Rose-Hill, nous passions encore de nombreux dimanches chez nos grands-parents à Port Louis.» Dans ses souvenirs, il revoit la cour principale de cette maison port-lousienne avec, en son centre, un immense arbre à fruit à pain sous lequel les femmes de la famille préparaient le dîner et où petits et grands, qui avaient convergé vers Port-Louis, se réunissaient pour partager un repas.

Du côté de sa mère, née Lau Hing Fut, la famille était moins nombreuse, soit quatre enfants. «Elle avait deux frères aînés et une jeune soeur.» Au contact de son grand-père maternel, «un homme d'affaires avisé» qui a le flair d'ouvrir le magasin Polaris près de la gare routière à Rose-Hill, il découvre le sens du dur labeur et que celui-ci porte ses fruits. «Je garde ce souvenir fort de lui utilisant le boulier chinois traditionnel et le bruit qu'il faisait, assis derrière un bureau, à l'arrière du magasin.» Durant les vacances scolaires, il venait prêter main-forte à la famille. «J'aime à penser que j'ai fait du bon travail pour sécuriser les ventes !!»

S'il effectue sa scolarité primaire à l'école NotreDame de Lourdes, ses résultats lui ouvrent les portes du collège Royal de Port-Louis. Et comme tous les élèves de sa génération, précise-t-il, les leçons particulières font partie intégrante de son quotidien, même le samedi et il en va de même pour sa soeur. Et c'est leur père qui les véhicule. «Je dois beaucoup à mon pauvre père qui a dû faire le va-et-vient entre Port-Louis et Curepipe, pour nous emmener, ma soeur et moi, à nos leçons particulières, chez les enseignantsles plus prisés.»

Et puis, sa soeur et lui ont une éthique de travail très forte car ils n'oublient pas notamment que leurs grands-parents maternels et paternels ont tout abandonné à Moyen en Chine pour venir s'établir à Maurice et partir de zéro pour réussir. «En tant que deuxième génération née à Maurice, il fallait aller à l'université et réussir dans notre vie professionnelle.»

Si tous ses enseignants misent sur lui comme lauréat probable de la cuvée 1995 dans la filière sciences, lui n'a jamais pensé que la partie était jouée et gagnée d'avance. C'est sa mère, qui a vu la liste des lauréats à la MBC, qui l'appelle pour le lui annoncer. «Je n'oublierai jamais ce coup de fil». Ce sera un coup double pour la famille Yu Wai Man car quatre ans plus tard, c'est Cynthia qui sera lauréate. «Ce n'est pas donné à tout le monde d'être boursier et nous avons tous les deux la satisfaction de ne pas avoir eu à compter sur nos parents pour payer nos frais d'études universitaires.»

Fascination

C'est à l'université de Newcastle qu'il prend avantage de sa bourse. C'est d'ailleurs dans ce même établissement d'enseignement supérieur que sa soeur le rejoindra plus tard. Son penchant pour les sciences à l'école va l'inciter à étudier la médecine. «En tant que détenteur du Sir Seewoosagur Ramgoolam State Scholarship, j'avais l'opportunité de choisir la médecine comme filière. Il n'y avait pourtant aucun membre de la famille proche qui était médecin mais j'avais toujours eu un penchant pour les sciences à l'école. Alors je me suis dit, pourquoi pas. Il se peut que j'ai été un peu influencé par la série téléviséeDoogie Howser avec Neil Patrick Harris !!»

Il a longtemps hésité entre la neurologie et la cardiologie. Or, c'est une bourse obtenue entre sa quatrième et dernière année de médecine qui va l'orienter vers l'ophtalmologie. «J'ai obtenu une bourse pour entreprendre un BMedSci intercalé. Mon projet de recherche a porté sur une maladie oculaire génétique connue sous le nom de neuropathie optique héréditaire de Leber, qui est une cause importante de cécité chez les jeunes adultes.» Il s'est alors rapidement découvert une fascination pour l'ophtalmologie et pour toutes les avancées majeures qui se produisaient à l'époque avec les nouveaux outils de diagnostic et les traitements.

Il se spécialise alors dans ce domaine, en grande partie dans les hôpitaux de Newcastle mais il fait aussi des rotations dans ceux de Sunderland et Middlesbrough. Patrick Yu Wai Man s'applique tant et plus qu'il décroche une bourse du Medical Research Council (MRC) pour entreprendre des études avancées sur les maladies oculaires génétiques, qui l'ont ensuite mené à un doctorat (PhD) en 2010. La même année, il part pour les États-Unis pour compléter sa spécialisation avancée en neuroophtalmologie et génétique. «Ce fut une expérience inouïe et j'ai eu la très grande chance d'apprendre avec des ténors dans leur domaine spécifique.»

Il accumule alors les distinctions et les diplômes, obtenant le Fellowship of the Royal College of Ophthalmologists (FRCOphth) en 2012 et la même année, un MRC Clinician Scientist Fellowship, qui lui donne l'opportunité de se joindre à la faculté de médecine de l'université de Newcastle en tant que Senior Lecturer avec un poste de consultant au sein du département d'ophtalmologie au Royal Victoria Infirmary. «C'était un moment important de ma carrière scientifique quand j'ai commencé à diriger mon propre groupe de recherches axées sur la découverte des causes génétiques de la cécité et les thérapies avancées, en particulier la thérapie génique.»

Ce n'est pas tout. En 2014, il a été approché par le Moorfields Eye Hospital de Londres pour diriger un service de soins spécialisés pour patients souffrant d'une perte de vision causée par des maladies du nerf optique. En 2015, il a reçu le Fellowship of the Royal College of Pathologists (FRCPath). «Je suis resté basé à l'université de Newcastle jusqu'en 2017, date à laquelle j'ai rejoint l'université de Cambridge.»

En tant que professeur d'ophtalmologie, il encadre des doctorants, dont certains sont des stagiaires en ophtalmologie, intéressés à poursuivre une carrière universitaire comme lui. En parallèle, il dirige un service de soins spécialisés pour les patients atteints de troubles neuro-ophtalmologiques, «en particulier les troubles du cerveau qui affectent l'oeil et les maladies oculaires génétiques», précise-t-il, à l'hôpital Addenbrooke de Cambridge et au Moorfields Eye Hospital de Londres. «C'est une carrière très enrichissante au sein d'une équipe pluridisciplinaire avec pour seul objectif d'améliorer le pronostic des patients souffrant de maladies oculaires entraînant la cécité.»

Il vient d'être nommé directeur du Cambridge Clinical Vision Laboratory, situé sur le Cambridge Biomedical Campus et en est très honoré, tout en étant conscient que ce poste s'accompagne de nombreuses responsabilités. «Mais j'apprécie personnellement les défis et les grandes opportunités qui viennent avec le poste.»

Deux ophtalmologues dans la famille

L'université de Cambridge, poursuit-il, attire des talents du monde entier. «Actuellement, mon équipe compte des chercheurs et des stagiaires en ophtalmologie de la Nouvelle-Zélande, du Brésil, de l'Inde, de la Chine et de Singapour. J'ai même appris récemment qu'un de mes doctorants avait des racines à l'île de La Réunion. Nos principaux objectifs sont de mieux comprendre comment les défauts du code génétique affectent le nerf optique, provoquant une perte de vision et, surtout, comment pouvons-nous utiliser ces connaissances pour développer des traitements de pointe.»

Et comme les chercheurs ne travaillent pas en isolation, il collabore étroitement avec des collègues basés dans des centres d'excellence à travers le monde. Il voyage aussi régulièrement pour animer des séminaires et participer à des congrès scientifiques. «J'apprécie vraiment cet aspect de mon travail car vous pouvez souvent le combiner avec des visites touristiques pour découvrir différentes cultures et profiter de la cuisine locale.» Sa soeur Cynthia est également ophtalmologue à Londres. Elle s'est spécialisée dans le glaucome. Il arrive parfois qu'ils se rendent dans le même pays étranger pour le travail. «C'est toujours agréable d'avoir de la compagnie.»

Il suit de près les derniers développements par rapport à la neuro-ophtalmologie et la génétique. «Nous investissons beaucoup d'efforts dans la thérapie génique pour l'oeil et l'application des cellules souches pour la médecine régénérative. Il y a aussi l'intelligence artificielle qui commence déjà à révolutionner la façon dont nous pratiquons la médecine et elle entraînera des changements encore plus importants dans les années à venir.»

En tant qu'ancien lauréat qui n'est pas rentré au pays, comment pourrait-il rendre un peu au pays de ce qu'il a reçu? «Je suis né et j'ai grandi à Maurice et mon coeur est toujours accroché à ma terre natale. Si mes services sont requis, j'aimerais beaucoup contribuer au développement d'un service de neuro-ophtalmologie et de génétique oculaire à Maurice, surtout maintenant que les thérapies avancées deviennent une réalité...»

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