DOUALA — L'Assemblée mondiale de la santé qui s'achève ce 30 mai à Genève (Suisse) est l'occasion de souligner l'importance de la disponibilité des données dans le secteur de la santé pour permettre aux autorités sanitaires de prendre des décisions plus efficaces.
« Ce qui n'est pas mesuré ne peut pas être géré », martèle souvent Exemplars in Global Health (EGH), un programme mis en oeuvre par Gates Ventures, qui vise à aider les décideurs politiques à s'appuyer sur des données avérées pour prendre des décisions éclairées en matière de santé.
« Les pays qui ont utilisé des données probantes pour éclairer les politiques et mis en place de solides systèmes de gestion des performances ont obtenu de meilleurs résultats », précise Niranjan Bose, Managing Director of Health & Life Sciences chez Gates Ventures.
En Afrique, certains pays illustrent à quel point la disponibilité de données fiables peut conduire à l'obtention de bons résultats dans le secteur de la santé. C'est le cas du Sénégal.
« Le Sénégal a pris des mesures efficaces pour améliorer la qualité des données, le renforcement des capacités des acteurs pour la collecte et l'analyse des données en temps réel, la recherche opérationnelle et la surveillance épidémiologique »,témoigne Ibrahima Seck, chef du service de médecine préventive et de santé publique à la faculté de Médecine, de pharmacie et d'odontologie de l'université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar.
Selon ses explications, cette stratégie a permis, dans le cadre de la prévention des maladies, d'avoir un système de suivi pour identifier plus rapidement les lacunes dans la couverture vaccinale et pour mieux cibler les prestations de services.
« Les méthodes de vaccination au Sénégal sont souvent adaptées aux différents besoins de la population, par exemple en augmentant la fréquence dans les centres de vaccination et en organisant des séances de vaccination en stratégie fixe déplacée, ou stratégie avancée ou mobile »[1], ajoute Ibrahima Seck qui fut le chef du cabinet d'Awa Marie Coll Seck pendant le mandat de cette dernière comme ministre de la Santé du Sénégal (2001 - 2003 et 2012 - 2017).
Autre illustration, la Tanzanie. A en croire le récit d'EGH, ce pays d'Afrique australe a d'abord identifié des indicateurs clairs pour mesurer les performances en matière de santé. Les données recueillies ont contribué à définir les plans d'amélioration de la qualité de 7 000 établissements de santé dans 26 régions.
« Cet exemple montre qu'une utilisation disciplinée des données favorise la responsabilisation à tous les niveaux de gestion ; ce qui peut conduire à des décisions plus éclairées », commente Niranjan Bose.
Pourtant, comme le souligne cette dernière, dans la plupart des régions du monde, et singulièrement en Afrique, l'un des défis majeurs en la matière demeure l'accès limité ou fragmenté à des données de santé publique fiables et de qualité.
D'où la mise en garde d'Ibrahima Seck : « L'absence ou l'insuffisance de données entrave le suivi et l'évaluation corrects des performances des programmes, et par conséquent la capacité de prise de décisions des responsables de la santé publique. Elle augmente aussi le risque que les ressources ne soient pas allouées de manière efficace ».
Partenariat
Par conséquent, les experts encouragent les chercheurs et les Etats africains à renforcer leurs capacités de production de données dans le secteur de la santé.
Pour Rhoda Wanyenze, enseignant-chercheur au School of Public Health, College of Health Science du Makerere University de Kampala en Ouganda, l'un des moyens les plus efficaces pour les chercheurs d'augmenter la probabilité que les données et les résultats de leurs études soient pris en compte par les décideurs est de mettre en place un partenariat avec ces derniers dès le début de la recherche.
« Cette approche permet un partenariat à valeur partagée où les chercheurs peuvent s'assurer qu'ils répondent aux besoins des décideurs et leur donnent des informations qu'ils pourront utiliser en temps opportun dans la mesure du possible », explique l'universitaire dans un entretien avec SciDev.Net.
Il cite à ce propos l'exemple de l'Ouganda où la collaboration entre la Makerere University School of Public Health, l'Infectious Diseases Institute, l'Uganda Virus Research Institute et le ministère de la Santé a permis au pays de mieux gérer la pandémie de la COVID-19 et la récente épidémie d'Ebola.
A en croire Rhoda Wanyenze, « l'Ouganda a été en mesure de tirer parti des leçons retenues et des systèmes développés à partir des épidémies précédentes », à savoir celles d'Ebola et de la fièvre de Marburg.
Si bien que, poursuit-il, « au début de la pandémie de la COVID-19, les responsables ougandais se sont appuyés sur les systèmes de données existants, ce qui a permis au pays de développer rapidement de nouvelles solutions selon les besoins » pour contenir la pandémie.
Ce succès de l'Ouganda a d'ailleurs fait l'objet d'un article dans l'édition d'août 2022 du « WHO's Monthly Operational Update on COVID-19 », un bulletin d'information que l'OMS produisait chaque mois pour renseigner sur la riposte contre la COVID-19 à travers le monde.
De son côté, Niranjan Bose s'appuie sur l'exemple de la Zambie pour inviter les Etats du continent à inscrire sur le long terme la culture de l'usage de données pour la prise de décisions.Au milieu des années 1990, explique cette dernière, le ministère de la Santé avait créé tout un département consacré à la mesure et à l'évaluation (M+E) afin d'améliorer et de pérenniser la gestion des données.
« Ce département propose régulièrement des formations et des ateliers au personnel des établissements de santé sur les systèmes d'information sanitaire et les outils utilisés dans la gestion des données, dotant les agents de santé de première ligne de ressources pour autonomiser la prise de décision locale », précise Niranjan Bose.
A en croire un article publié sur le site web de EGH, cette démarche vaut à la Zambie d'être aujourd'hui citée comme un cas d'école.
Le programme EGH encourage enfin les Etats à collaborer pour partager leurs expériences en matière de collecte et d'utilisation des données dans la prise de décisions. C'est ainsi qu'en marge de l'Assemblée mondiale de la Santé qui s'achève, un forum ministériel a regroupé plusieurs ministres de la santé du continent.
Références
[1]. Lorsque la vaccination se fait dans la structure de santé, on parle de stratégie fixe. Mais lorsqu'elle est faite dans un lieu proche de la structure de santé, on parle de stratégie fixe déplacée. Ainsi, une stratégie fixe déplacée est une séance de vaccination qui est faite par exemple dans une école proche du centre de vaccination.