Initialement programmée pour le 19 mai dernier, la décision du juge dans le procès déclenché par M. Amougou Bélinga est prévue ce 2 juin 2023. Rappel des étapes de la procédure et des arguments des parties dans un conflit suivi de près par la présidence de la République.
Dans l'affaire qui oppose Vision 4 Télévision SA à six inspecteurs des impôts, le verdict était prévu pour le 19 mai dernier. La fête de l'unité étant programmée le lendemain, les mis en cause avaient introduit par l'entremise de l'un de leurs avocats «une demande de prorogation de délibéré», pour leur permettre de faire face à leurs obligations citoyennes.
Dans un palais de justice quasiment désert à cause du faux «pont» décidé par les travailleurs du secteur public, en l'absence d'un arrêté du chef de l'Etat, le juge chargé de l'examen du dossier a accédé à la demande des inspecteurs des impôts, renvoyant aussitôt son verdict pour vendredi prochain, 2 juin 2023.
A quelques heures de ce rendez-vous, Kalara propose à ses lecteurs, en quelques points, la synthèse de l'affaire, en particulier la position de chaque protagoniste du dossier.
Ce rappel paraît d'autant important que le verdict de vendredi prochain ne concerne pas que les inspecteurs des impôts. En effet, à travers une note datée du 13 février 2023, alors que le procès était en cours, le chef de l'Etat avait réitéré au ministre des Finances, par l'entremise du secrétaire général de la présidence de la République, ses instructions en faveur du rétablissement du droit dans la gestion du contentieux fiscal à l'origine du procès.
Mais l'on sait que le Minfi, qui avait désavoué ses collaborateurs en accordant un cadeau fiscal de près de 9 milliards de francs à Vision 4 TV, n'a pas infléchi sa position jusqu'ici. Il est donc clair que l'issue du procès ne laisse pas indifférent l'argentier national.
La situation est quasiment la même du côté de la Chancellerie, M. Amougou Bélinga, qui a déclenché la procédure judiciaire, ayant jusqu'ici presque toujours bénéficié d'un traitement de faveur dans les juridictions de Yaoundé, fort de sa relation privilégiée avec le Garde des Sceaux pour ne pas en dire davantage.
Au début de l'affaire, le chef du Centre régional des impôts du Centre 1, qui fait figure de principale mise en cause, avait été jeté en prison. Mme Eméline Mvogo épouse Bihina n'en était sortie qu'à la suite des instructions réitérées de la présidence de la République. En dépit de ce coup de semonce, le parquet, qu'on sait soumis à la Chancellerie, a gardé sa position, empruntant au Minfi tout au long du procès les arguments ayant milité pour le cadeau fiscal accordé à Vision 4...
Naturellement, la présidence de la République ne va pas détourner son regard alors que le procès est à sa phase décisive. Au-delà des implications politiques du dossier, il est utile que les faits de la cause soient rappelés.
Le fait déclencheur du procès
Un contrôle fiscal déclenché à Vision 4 Télévision SA s'est soldé par un redressement fiscal notifié aux responsables de l'entreprise pour un montant global de 11,121 milliards de francs.
Lors de la séance de clôture du contrôle fiscal en question tenue dans les locaux de la télévision, le 17 mars 2022, plutôt que de présenter, comme annoncé par lui-même, les justificatifs des transactions financières d'environ 8 milliards de francs cachées à l'administration fiscale mais dévoilées suite à une dénonciation de l'Agence nationale d'investigation financière (Anif), le PDG de l'entreprise, M. Amougou Bélinga reconnaît le bien-fondé des redressements fiscaux envisagés par l'équipe du contrôle et propose de payer 350 millions de francs seulement, en sollicitant avec insistance l'indulgence du fisc. Le procès-verbal de la séance de travail en question est rédigé par son DAF et signé par lui.
Furieux d'avoir reçu le 21 mars 2022 un Avis de mise en recouvrement (AMR) de 11,121 milliards de francs, le PDG de Vision 4 TV dépose le 29 mars une plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction du Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centre administratif. Tous les inspecteurs des impôts intervenus à quelque niveau que ce soit dans le cadre du contrôle fiscal dans sa société sont accusés d'avoir volontairement salé sa note en lui exigeant des impôts indus.
Il affirme avoir corrompu sous le «regard» de ses caméras et contre décharge les quatre qui se sont retrouvés dans les locaux de Vision 4 le 17 mars, à hauteur de 50 millions de francs pour le chef du Cric 1 et 5 millions de francs pour chacun de ses collaborateurs présents. Le Directeur général des impôts, dit-il, aurait sollicité de lui, par l'entremise de Mme Mvogo, une enveloppe de 500 millions de francs pour se montrer bienveillant. D'où la plainte pour concussion, abus de fonction, chantage et trafic d'influence.
Ambiance à l'enquête judiciaire
A peine la plainte déposée et les formalités de sa mise en route accomplies sous des chapeaux de roues, le juge d'instruction chargé de l'affaire émet le 12 avril 2022 les convocations à l'attention des 9 inspecteurs des impôts visés par M. Amougou Bélinga qui sont attendus une semaine plus tard. Les destinataires des convocations en prendront connaissance sur les réseaux sociaux le même 12 avril. Rendus au rendez-vous avec le juge d'instruction, ils sont tous inculpés des infractions visées par le PDG de Vision 4.
Ils seront ensuite auditionnés. Le 12 mai, l'enquête connait un coup d'accélérateur. Mme Mvogo Eméline est placée en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé - Kondengui à la fin de la confrontation avec M. Amougou Bélinga. Cette évolution curieuse donne lieu à plusieurs actions visant la remise en liberté du chef du Cric 1. C'est grâce aux instructions du chef de l'Etat que cette remise en liberté est finalement accordée.
De toutes les façons, l'enquête judiciaire va se poursuivre dans une ambiance généralisée de suspicion. Cette enquête est clôturée le 6 septembre 2022 avec le renvoi en jugement de 6 inspecteurs des impôts parmi les 9 visés par la plainte. Trois infractions sont finalement retenues contre Mme Mvogo Emeline : concussion, corruption et trafic d'influence.
Les autres mis en cause sont concernés par une ou deux de ces infractions, en dehors du trafic d'influence auquel elle répond toute seule. Pendant la phase d'enquête, les avocats des mis en cause ont tenté en vain d'avoir copie de tous les éléments contenus dans le dossier. Ils ne parviendront à leur fin que lorsque le procès public est déjà ouvert, à la différence des avocats de Vision 4.
Au contact de ce dossier, ces conseils se rendent compte que le patron de Vision 4 a pu faire admettre hors délai de nombreux documents sur lesquels, disent-ils, le juge d'instruction s'est appuyé pour renvoyer leurs clients en jugement. Pour eux, c'est une raison suffisante pour que la procédure judiciaire soit annulée. Une demande a été faite dans ce sens.
Déballage au cours des débats
Le public s'attendait de découvrir au cours du procès public au moins les vidéos présentant les inspecteurs des impôts en flagrant délit de corruption, tel que claironné par les propres médias du Groupe l'Anecdote. On ne verra rien de tout ça. Même pas les copies des décharges des sommes d'argents prétendument données aux cadres du fisc. M. Amougou Bélinga viendra témoigner lui-même, suivi par son conseil fiscal et le DAF de son groupe. Ces deux derniers déclarent n'avoir pas pris part personnellement à la séance de remise de l'argent aux inspecteurs des impôts.
Lorsque leur est donné l'occasion de se défendre, les inspecteurs des impôts vont tous déclaré, à tour de rôle, que M. Amougou Bélinga est un fraudeur fiscal notoire. De 2017 à 2020, exercices sur lesquels a porté le contrôle fiscal, Vision 4 TV n'a déclaré en tout que 55 millions de francs des impôts. Mieux, ils révèlent que l'entreprise ne se contente pas de ce qui est prévu dans son objet social.
Les recherches menées par le fisc au niveau des banques montrent que l'entreprise agit aussi dans le domaine des marchés publics. Plus important, des transactions financières de 8 milliards de francs dissimulées au fisc ont été retracées dans les comptes de l'entreprise, dont un peu plus de 4 milliards de francs de paiements en provenance des caisses de l'Etat et le reste à travers des versements non justifiés en compte. Ce sont ces découvertes qui sont à la base du redressement fiscal.
L'on apprendra même que l'entreprise a dissimulé 4 des 5 comptes bancaires qu'elle détient auprès des banques. Ce sont les investigations menées après la dénonciation de l'Anif, qui suspecte M. Amougou Bélinga de blanchiment de capitaux, qui permettent de découvrir le pot aux roses.
Réquisitions et plaidoiries
Le cadeau fiscal accordé au Minfi à Vision 4 TV, soit un dégrèvement de 9 milliards de francs, s'étant régulièrement invité dans les débats, les avocats des inspecteurs des impôts vont demander au juge de surseoir à la poursuite de l'examen du dossier. En fait, le dégrèvement en question a été attaqué par les mis en cause au Tribunal administratif du Centre, juge de l'impôt.
Et ce juge ne s'est pas encore prononcé. Les conseils des accusés estiment que le juge ne peut se prononcer sans préjudicier au fond du litige soumis au juge administratif. En face, les avocats de Vision 4 se ravisent en disant que le procès ne concerne pas les faits intervenus après la plainte de leur client. Le juge va réserver sa réponse.
En prenant ses réquisitions, le représentant du ministère public estime que tous les mis en cause doivent être reconnus coupables de concussion. Il estime curieusement que les dégrèvements fiscaux intervenus après la plainte, bien qu'ils soient contestés, démontrent que la dette issue du contrôle fiscal de Vision 4 repose sur des impôts indus.
Dans sa démonstration, il dénature la loi dans sa définition de l'infraction de concussion, omettant de citer l'un des éléments constitutifs de cette infraction, à savoir le fait pour le mis en cause de retenir pour lui une partie des impôts notifiés au contribuable. Parlant de l'infraction de corruption, il essaie de justifier l'absence de preuves matérielles... Il restera silencieux au sujet de l'infraction de trafic d'influence. C'est le point de divergence avec les avocats de M. Amougou Bélinga, qui trouvent que c'est «une infraction dans l'infraction»...
Les conseils des mis en cause vont contester chacun des arguments émis en face, s'appuyant sur les nombreuses contradictions de l'accusation ajoutées à l'absence de preuves matérielles, au caractère anachronique de certains arguments déployés en face et à l'absence des témoins pour attester les faits présumés de corruption. C'est sur ces échanges que le juge doit se prononcer ce vendredi .