Afrique: Juliet Kabera - «Si on veut éliminer le plastique, il faut le rendre beaucoup plus cher»

interview

Depuis le 29 mai 2023, les représentants de près de 200 pays sont réunis à Paris pour élaborer un projet de texte dont l'ambition est de mettre fin à la pollution plastique d'ici à 2040. Légères, polyvalentes et abordables, les matières plastiques sont omniprésentes dans notre quotidien et elles engendrent de grandes quantités de déchets et de pollutions. Pour réduire leur impact sur l'environnement, des pays comme le Rwanda plaident en faveur de restrictions quant à leur usage. Entretien avec Juliet Kabera, chef de la délégation rwandaise.

Juliet Kabera, les négociations en vue d'établir un traité contre la pollution plastique ont buté le 30 mai sur des obstacles de procédure. Où en sont-elles aujourd'hui ?

Le temps est un facteur essentiel et nous voulons un traité qui fera la différence. Ainsi, lorsque nous nous sommes retrouvés dans une impasse, mardi, concernant les règles de procédure, nous avons eu l'impression que les négociations allaient tourner en boucle. Nous nous sommes alors mis d'accord sur l'utilisation de ces règles de procédure à titre provisoire, car nous avions besoin d'avancer sur les questions de fond. Du coup, hier et aujourd'hui, le 31 mai et 1er juin en fait, les choses ont bien avancé et, à cet égard, la Coalition de la haute ambition a joué un rôle clé.

La Coalition de la haute ambition est codirigée par votre pays, le Rwanda, et par la Norvège. Quel rôle avez-vous joué exactement dans le dénouement de cette impasse ?

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Nous avons réuni deux États membres, l'un qui voulait un accord sur les règles de procédure, l'autre qui souhaitait aborder des questions de fond. Puis, dans un cadre informel, nous leur avons dit : « Ok, nous avons compris vos positions. Pouvons-nous maintenant trouver un terrain d'entente ? Pour l'heure, au milieu, il n'y a que de la tension, mais il nous faut absolument un environnement favorable au consensus, un environnement moins tendu pour que nous puissions avoir une vue d'ensemble sur la question de l'élimination de la pollution plastique, au lieu de nous égarer dans les questions administratives et procédurales. »

Une fois les tensions passées, sur quoi allez-vous vous mettre d'accord ?

Nous devons nous mettre d'accord sur les obligations fondamentales, c'est-à-dire contrôler et restreindre les polymères plastiques primaires tout au long de leur cycle de vie. C'est le point de départ. Les polymères, ce sont de petits matériaux, ou ce sont des blocs qui composent une feuille de plastique ou même un article en plastique. Quoi qu'il en soit, nous devons les contrôler à la source. Mais nous nous rendons compte que cette réduction ne peut pas se faire du jour au lendemain. Cela peut se faire de manière progressive, à condition que nous soyons d'accord sur le fait que la réduction du plastique soit une obligation fondamentale.

Ensuite, nous devrons déterminer ce qu'il faut faire de ces personnes et de ces entreprises qui se sont engagées dans ce secteur d'activité. Comment seront-elles soutenues ? Nous ne sommes pas ici pour mettre un terme aux activités des entreprises, mais nous sommes ici pour examiner les activités de ces entreprises du point de vue de la santé humaine et de la santé environnementale.

Donc, l'objectif n'est pas de mettre en difficulté les fabricants de plastiques, mais de changer la conception de ces matériaux, c'est ça ?

Exact. Et il faut commencer par les plastiques les plus nocifs, dont on peut pourtant se passer. Par exemple, les plastiques à usage unique, c'est-à-dire les pailles, les bouteilles d'eau, les gobelets jetables, les couverts et ainsi de suite. Si leur usage n'avait pas été limité durant ces négociations, nous aurions cumulé des tonnes et des tonnes de ces déchets au terme de quatre jours de présence, ici, à Paris. Imaginez ce que ça pourrait être au niveau national, voire mondial. Ces plastiques finissent dans nos océans, dans les cours d'eau, les sols et aussi dans l'atmosphère. Nous pouvons donc commencer par réduire leur usage.

Ensuite, nous examinons également les produits chimiques qui sont ajoutés à ces produits lors de leur fabrication. Enfin, nous regardons la conception de ces produits : comment sont-ils conçus, en tenant compte du fait qu'ils seront recyclés par la suite. Certains produits sont fabriqués de telle sorte qu'ils ne peuvent même pas être recyclés. Il s'agit donc d'un changement systémique complet, qui aboutira finalement à un changement de comportement. Si vous pouvez utiliser une bouteille d'eau réutilisable, il n'y a aucune raison de ne pas le faire. En faisant cela, vous réduisez la consommation globale et donc la production globale.

En 2019, le Rwanda a voté une loi interdisant les plastiques à usage unique. Ce 29 mai, le président français Emmanuel Macron a salué votre exemplarité en matière de lutte contre la pollution plastique. Que fait le Rwanda que d'autres pays africains ne font pas ?

Nous essayons de faire de notre mieux. Notre approche est de limiter autant que possible les plastiques à usage unique. Notre message est : « Si vous pouvez vous passer du plastique, ne l'utilisez pas. » Si vous devez utiliser cette matière, vous devez obtenir une autorisation de l'autorité environnementale et préciser quelle quantité vous entendez importer et quelle quantité vous allez destiner à votre consommation. Si vous devez en importer davantage, il faudra en expliciter la raison. Nous appliquons des restrictions de la sorte. Mais notre lutte contre la pollution plastique n'est pas terminée. C'est pourquoi nous nous intéressons à ces négociations. Parce que nous cherchons à trouver des alternatives abordables aux plastiques.

Quelles sont aujourd'hui les alternatives aux matières plastiques ?

Il y a des matériaux recyclables, des produits qui ont les mêmes propriétés du plastique, mais dont l'origine n'est pas un combustible fossile, mais plutôt un produit naturel comme le bois ou une matière végétale. Nous essayons de boucler la boucle, mais c'est très difficile, car cela implique des réglementations commerciales à imposer aux entreprises. C'est difficile, mais nous faisons de notre mieux. Et, au moins, nous bénéficions du soutien politique. Nos dirigeants nous exhortent à faire mieux, nous disent qu'il faut aller plus loin. Donc, pour ce qui est de votre question sur ce que les autres ne font pas, je ne peux pas y répondre. Mais, je sais ce qui se passe chez nous, il y a une volonté forte pour passer à une vitesse supérieure, c'est-à-dire libérer notre population de sa dépendance à l'égard du plastique et, ce faisant, réduire la pollution.

Comment expliquez-vous cette dépendance aux plastiques au Rwanda et en Afrique en général ?

Parce que c'est tellement bon marché. Tellement que parfois on a l'impression que c'est gratuit. C'est pour cela, qu'on les voit partout. Si le plastique coûtait cher, vous ne le verriez pas jeté n'importe où. Le rendre coûteux par le biais de restrictions aura un impact sur les déchets en Afrique et réduira donc la pression exercée sur nos systèmes de gestion. Regardez ce qui s'est passé pendant le Covid. Tout d'un coup, nous avons dû utiliser trois ou quatre masques par jour. Et ce, pour protéger une seule personne. Ne parlons même pas de gants ou de seringues, autant de déchets plastiques qui ont été multipliés en raison de la pandémie.

Or nous n'étions pas prêts pour cela. L'Afrique est particulièrement intéressée par un traité ambitieux, car nos systèmes de gestion des déchets sont encore jeunes. Donc, plus nous serons ambitieux, mieux ce sera. Cela nous donnera au moins un cadre de mise en oeuvre clair, y compris un mécanisme de financement pour aider ces pays à être en mesure de tracer, de suivre les produits plastiques, de soutenir les innovations et les changements structurels, la réorientation de ces industries ou entreprises qui fabriquent les plastiques à destination des emballages, etc. Cela nous aidera de manière générale en tant que continent, et cela sera bénéfique pour l'environnement.

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