Au Sénégal, neuf personnes ont été tuées le 1er juin 2023 dans des violences après la condamnation d'Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme. L'opposant, accusé de viols par l'ancienne masseuse Adji Sarr, a été reconnu coupable de « corruption de la jeunesse ». Des affrontements meurtriers avaient éclaté dans la foulée à Dakar et Ziguinchor, ville dont le leader du parti Pastef est le maire. Ce 2 juin, les tensions persistent dans le pays. Explications.
À Dakar, la situation reste assez volatile, rapporte notre correspondante Charlotte Idrac. De nouveaux incidents, des pneus brûlés, ont été signalés ce matin du 2 juin dans le quartier de Ouakam, selon des témoins. Difficile pour le moment de prévoir la tournure des événements dans les heures à venir.
À l'Université Cheikh Anta Diop (Ucad), avec leurs sacs ou leurs valises, les étudiants ont commencé à plier bagages, quitter le campus, après les violences de la veille. Les cours ont été suspendus jusqu'à nouvel ordre. Les dégâts sont bien visibles à l'Ucad : bus calcinés, installations ravagées.
Même chose dans plusieurs quartiers de la capitale où les heurts se sont poursuivis jusque tard dans la nuit du 1er au 2 juin : Ngor, Yoff, par exemple, en banlieue de Dakar aussi. Des magasins, des stations-service ont été incendiés.
Ce vendredi matin, dans certains secteurs, Dakar ressemblait à une « ville fantôme » : commerces fermés, peu de circulation.
La vie a repris petit à petit, même si rien de comparable avec un vendredi habituel. De nombreux commerces et bureaux restent fermées. Idem pour les écoles.
À Ziguinchor, fief d'Ousmane Sonko, des affrontements ont repris À Ziguinchor, les affrontements ont fait 3 morts ce 1er juin. Tension très forte dans cette ville de Casamance. De nombreux édifices régionaux de l'état et des écoles ont été saccagés. La situation était revenue au calme ce vendredi matin mais elle était train de se tendre à nouveau à la mi-journée.
Les affrontements ont repris dans différents endroits de la ville. C'est notamment le cas dans le quartier Kadior, sur le boulevard 54, où des jeunes font face aux forces de l'ordre. La ville est quasiment à l'arrêt aujourd'hui. Les commerces sont fermés, les voitures ne peuvent pas circuler. Ziguinchor porte les stigmates des violents affrontements de la veille.
Il restait encore ce matin à certains endroits des troncs d'arbres et des amas de pierres sur les routes.
Les heurts entre jeunes et forces de l'ordre ont donc causé la mort de trois jeunes de la ville. Aucun bilan chiffré n'a été communiqué pour ce qui est des blessés. Les affrontements ont duré hier toute la journée jusqu'à tard dans la nuit.
Des agences et services régionaux de l'État ont été saccagés. C'est notamment le cas de l'Agence nationale des statistiques et de la démographie. Également prises pour cibles, des banques comme le Crédit mutuel. Plusieurs sources rapportent également que de nombreuses écoles et des lycées ont été vandalisés. « Rien n'a été épargné », commente, dépitée, une source locale.
Restriction d'accès aux réseaux sociaux, pour empêcher « la diffusion de messages haineux »
Les neuf décès de la veille font écho aux émeutes meurtrières de mars 2021, au tout début de la procédure judiciaire visant Ousmane Sonko face à Adji Sarr. À l'époque, ça avait duré 5 jours.
Le 1er juin, le parti Pastef d'Ousmane Sonko a appelé ses partisans à « résister », à descendre dans les rues. Le porte-parole du gouvernement a, lui, une nouvelle fois dénoncé des « appels à l'insurrection ».
La restriction des réseaux sociaux - un vecteur important de communication pour les jeunes - a été confirmée par le ministère de l'Intérieur, pour empêcher dit-il « la diffusion de messages haineux et subversifs ».
Ousmane Sonko ne s'est pas exprimé depuis sa condamnation
Quant à Ousmane Sonko, il n'est pas apparu en public depuis sa dernière déclaration vidéo dans la nuit du 29 au 30 mai. Aux dernières nouvelles, l'opposant était bloqué à son domicile dakarois de Cité Keur Gorgui, encerclé par les forces de l'ordre. Dans la matinée, le quartier était calme et on a pu constater un allègement du dispositif.
La veille, en fin d'après-midi, le ministre de la Justice a affirmé qu'Ousmane Sonko pouvait être « arrêté à tout moment ». Il a répété plusieurs fois ces mots « à tout moment », sans préciser de délai.
« Quand il y a une condamnation pénale, dans un État de droit, la condamnation pénale doit être exécutée », a dit Ismaïla Madior Fall.
Pour la suite, Ousmane Sonko ayant été absent à son procès, l'un de ses avocats, Maître Bamba Cissé, a bien précisé qu'il ne pouvait pas faire appel de sa condamnation à deux ans de prison. Mais il y a une autre option, rappelée par le ministre de la Justice : si le leader du parti Pastef se constitue prisonnier, il pourrait être rejugé par la même juridiction. Il pourrait donc y avoir un nouveau procès.
Une « parodie de justice » pour Khalifa Sall
En attendant, la classe politique a diversement réagi à cette affaire. Pour la coalition au pouvoir Benno Bokk Yaakar, « le Sénégal a démontré à la face du monde qu'il est une démocratie majeure, que tous les citoyens sont égaux devant la loi ». Le communiqué ajoute : « Il est établi qu'Ousmane Sonko a usé d'actes indécents, obscènes, pervers et vicieux de nature à pervertir une jeune fille. »
Du côté de l'opposition, on dénonce un verdict « inique ». Khalifa Sall - qui a participé mercredi au lancement du dialogue national initié par le président Macky Sall - a dénoncé au contraire une « parodie de justice », qui « révèle la transformation de la justice en un outil de manipulation politique ».
Mêmes critiques de la part des autres personnalités de l'opposition - Déthié Fall, Aminata Touré, entre autres. La coalition d'opposition Yewwi Askan Wi, dont fait partie Ousmane Sonko, a même appelé à la « démission » du chef de l'État qu'elle accuse de « haute trahison ».