Ile Maurice: L'Union européenne prépare une directive exigeante sur le devoir de vigilance

L'Union européenne prépare actuellement un projet de directive qui imposera à toutes les entreprises, qui ont un lien économique avec celles implantées dans l'Union européenne, d'évaluer et de réduire l'impact de leurs activités sur l'environnement et les droits humains. La directive doit être adoptée au courant de l'année 2023 et aura des impacts importants dans les pays dans lesquels le cadre législatif environnemental est faible.

Les entreprises européennes concernées par le devoir de vigilance

Le projet initial de directive ne devait concerner que les très grands groupes européens. Cependant, la dernière proposition de la Commission des affaires juridiques du Parlement européen, adoptée le 25 avril 2023, a étendu le champ d'application du projet de directive aux petites et moyennes entreprises européennes. Le projet de directive vise, par ailleurs, également les acteurs de la finance qui devront veiller à ce que toutes les activités qu'ils financent, y compris hors Europe, ne portent pas atteinte à l'environnement. La définition exacte des «entreprises européennes» concernées sera arrêtée prochainement.

Les activités des entreprises non-européennes concernées par le devoir de vigilance

La directive s'appliquera de façon indirecte aux entreprises non-européennes. Sont en effet visées par le projet de directive les activités des entreprises non-européennes qui réalisent une partie de leur chiffre d'affaires en Europe ainsi que les activités des filiales des entreprises européennes implantées hors Europe. Sont également visées les activités des entreprises non-européennes, même non-implantées dans l'Union européenne, avec lesquelles les entreprises concernées par la directive entretiennent une «relation commerciale établie», lorsque ces activités sont «liées à la chaîne de valeurs» de celles-ci.

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Les atteintes à l'environnement visées par le projet de directive ?

Le Parlement européen n'a pas encore adopté une position ferme sur la nature des atteintes qui seraient concernées. Pour rappel, cette institution européenne est composée d'une multitude de commissions parlementaires pluri-partisanes, réunissant en leur sein des eurodéputés aux compétences techniques et spécialisations différentes. La commission dédiée à l'environnement a proposé qu'une définition générale des atteintes à l'environnement (incluant le changement climatique, les atteintes aux sols, aux eaux, à la biodiversité et aux écosystèmes, etc.) figure dans le coeur de la directive. Cependant, la commission dédiée aux affaires juridiques a suggéré une approche plus restrictive en renvoyant uniquement à une liste de conventions internationales de nature sectorielle, qui serait annexée à la directive. Les commissions défendront chacune leur approche devant leurs pairs et la définition exacte des atteintes à l'environnement sera fixée prochainement après vote.

Les nouvelles obligations des entreprises européennes concernées par le devoir de vigilance

Les entreprises européennes concernées devront identifier et atténuer les impacts de leurs activités sur l'environnement et les droits humains. Cela peut inclure l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques et de procédures pour traiter les risques identifiés. Les entreprises devront publier un rapport mis à disposition sur leur site web, portant sur les risques identifiés et les mesures pour limiter ces risques. Elles devront également mettre en place des mécanismes de réclamation pour les travailleurs et les parties prenantes pour qu'ils puissent alerter sur les divers problèmes ou les défaillances rencontrés. Selon le projet de directive, les grands groupes auront également l'obligation de lutter contre le changement climatique, en adoptant un plan visant à garantir que leur modèle économique soit compatible avec l'endiguement du réchauffement climatique à 1,5° C, conformément à l'Accord de Paris. Elles devront inclure des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans leur plan. Les rémunérations de leurs dirigeants devront être fixées en fonction de la réalisation de ces objectifs.

Les sanctions prévues

Le non-respect du devoir de vigilance fera l'objet de sanctions financières. Les autorités nationales seront chargées de la surveillance des entreprises européennes concernées afin de veiller à l'application des règles énumérées. Elles pourront infliger des sanctions pécuniaires importantes, en fonction du chiffre d'affaires de l'entreprise, en cas de non-respect desdites règles. De plus, la directive prévoit un régime de responsabilité civile qui permettra aux personnes victimes du non-respect de ces obligations (mais également aux syndicats de travailleurs et aux ONG) de demander la réparation de leurs dommages, y compris lorsque le dommage est survenu non pas du fait des activités des entreprises directement concernées, mais du fait d'autres acteurs avec qui elles ont établi des relations commerciales. De telles actions en justice, outre l'aspect pécuniaire, entraînent des conséquences graves sur la réputation des grands groupes.

Les conséquences de ce projet de directive pour les entreprises mauriciennes

Il convient d'attendre la version finale de la directive pour connaître exactement son impact à Maurice. Cependant, les entreprises mauriciennes doivent se préparer dès maintenant. Les filiales mauriciennes des entreprises européennes devront rapidement être en mesure de communiquer aux entreprises européennes visées par la directive leurs impacts sur l'environnement. Il en est de même des entreprises mauriciennes financées par les acteurs de la finance ou par des fonds publics européens visés par la directive. Les entreprises mauriciennes qui entretiennent des relations commerciales établies avec les grands groupes européens devront être en mesure de déterminer les émissions de gaz à effet de serre résultant de leurs activités, lorsque ces activités sont liées à la chaîne de valeur des entreprises implantées en France ou dans d'autres pays de l'Union européenne.

Le projet de directive vise, par exemple, les activités des entreprises non-européennes qui développent des produits ou service vendus en Europe ainsi que les activités des entreprises non-européennes qui participent, de quelque manière que ce soit, au développement de ces produits et services (tels que les fournisseurs de matières premières ou les transporteurs). Devraient notamment être concernées, les entreprises de textile ou les entreprises sucrières. En cas d'atteinte ou de risque d'atteinte à l'environnement, des ONG pourront attaquer les entreprises européennes qui n'ont pas respecté leur devoir de vigilance devant les tribunaux européens. Les travailleurs et parties prenantes (actionnaires, soustraitants, clients, riverains, etc.) pourront également alerter les entreprises européennes via un mécanisme d'alerte, obligatoirement mis en place par ces entreprises.

Plusieurs entreprises françaises sont actuellement attaquées devant les tribunaux français pour manquement au devoir de vigilance dans le cadre de leur activité exercée hors Europe

Une loi sur le devoir de vigilance existe déjà en France depuis 2017, mais elle vise uniquement les très grandes entreprises (entreprises de plus de 5 000 salariés en France ou 10 000 salariés dans le monde). Cette loi est, depuis quelques années, de plus en plus invoquée devant les tribunaux français. Ainsi, des ONG ont accusé Casino de ne pas respecter le devoir de vigilance prévu par la réglementation française. Elles ont reproché à Casino de vendre de la viande issue de fermes à l'origine de déforestation. Elles lui reprochent également de n'avoir établi aucune garantie dans son plan de vigilance contre ce type de pratique. Elles ont demandé au juge d'imposer un nouveau plan de vigilance et ont demandé 1,8 millions d'euros de dommages et intérêts. Le jugement n'a pas encore été rendu. Les sociétés BNP Paribas, TotalEnergies et Danone sont, également, actuellement devant les tribunaux français pour manquement à leur devoir de vigilance.

*Cet article nous est parvenu avant le vote au Parlement européen.

Notre activité

Fanny Vellin est avocate mauricienne au Barreau de Paris, associée du cabinet Cliperton. Le cabinet CLP-Cliperton est spécialisé dans le financement d'infrastructures vertes et dans l'accompagnement des projets de transition énergétique et écologique. Fanny Vellin est chargée de la pratique Environnement & Energies. Elle accompagne les entreprises mauriciennes qui souhaitent se mettre en conformité avec la directive européenne sur le devoir de vigilance qui sera adoptée cette année.

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