Cameroun: Etienne killeng - C'est traumatisant de perdre 16 personnes

interview

Le président du village Ngock à Douala et principal organisateur des obsèques des 16 décédés de l'accident survenu à Edéa le 26 mai revient sur cette journée noire et se projette sur ces obsèques.

Dans la matinée du vendredi, 26 mai, le car de type Hiace qui se rendait à Eséka pour les obsèques de Jeanne Ngo Nsii a fait un accident, ôtant la vie à 16 membres de votre famille. Pouvez-vous revenir sur cette triste journée ?

Ce jour-là, après avoir laissé mes enfants et mes frères à la morgue et qu'ils ont pris la route pour accompagner Mme Ngo Nsii Jeanne à sa dernière demeure, je suis retourné dans mon bureau. Nous sommes en période d'examens officiels et je suis en train de travailler lorsque mon téléphone sonne et on m'informe qu'il y a eu un grave accident et que je serai le seul survivant. Je réponds à mon interlocuteur que je ne suis pas du voyage et que je suis à mon lieu de service.

Après l'appel, je me connecte et dans le forum WatsApp de la famille et il n'y a aucune information y relative. Je reçois un autre appel de ma soeur depuis l'étranger qui m'informe de l'accident et me dit que tout le monde est mort dans le car de transport. J'appelle mon petit frère qui était dans la Hiace , il ne décroche pas. J'appelle d'autres membres de la famille qui ont pris le car, et personne ne décroche. Je réalise. Je suis sous le choc. Je sors de l'établissement scolaire et tombe sur mon directeur. À me regarder, il constate que ça ne va pas, je lui confie la nouvelle. Il m'envoie au dispensaire du collège me calmer. J'y passe une heure à appeler les membres de la famille, réalisant au fil des appels que l'inimaginable s'est produit.

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Comment la famille s'est-elle par la suite mobilisée?

Après l'accident, certains membres de la famille ont pris la route pour Edéa pour s'enquérir réellement de la situation. Nous avons été agréablement surpris de voir venir le ministre des Transports et le gouverneur de la région du Littoral. Ils ont organisé plus tard une réunion pour comprendre ce qu'il se passe et consoler la famille. Le gouvernement a pris cette affaire à bras le corps, en transférant d'abord, la même nuit, les trois survivants à l'hôpital Laquintinie de Douala. Et le lendemain, vers 12h, les corps sont arrivés dans un véhicule de l'armée et ont été placés à la morgue de l'hôpital Laquintinie. Les corps ont été réceptionnés, identifiés. Nous y avons passé toute la journée. La nuit de l'accident, le ministre des Transports nous a donné de quoi prendre en charge les trois blessés.

Merci au ministre des Transports pour cette compassion, pour cet élan de coeur, pour cet humanisme. Lorsque vous parlez de l'appui que vous a donné le ministre des Transports, à quoi faites-vous exactement allusion ? Nous n'avons rien à cacher. Le ministre nous a remis 1,4 million Fcfa pour prendre en charge les trois blessés que sont Suzanne Bian épouse Njiki, Albert Kam et Loïc Ossasem ; et 600 000Fcfa pour la suite des obsèques de Mme Ngo Nsii Jeanne. Cette seconde enveloppe a été remise aux membres de la famille qui devaient aller poursuivre les obsèques de notre maman pour qui nous effectuions ce voyage.

Depuis la survenue de cet accident, le vendredi 26 mai à Edéa II, comment le reste de la famille s'organise-t-elle pour les obsèques ?

La première réunion que j'ai organisée a eu lieu lundi 29 mai. Au cours de cette rencontre, nous avons expliqué aux membres de la famille présents, la situation telle qu'elle se présente jusqu'à ce moment-là. Sur le transfert des blessés, sur l'acheminement des dépouilles à l'hôpital Laquintinie, sur la prise en charge des blessés et leur état de santé actuel. Ensuite, nous avons fait une projection sur les préparatifs des obsèques. Une autre réunion est prévue ce jeudi (1er juin) à Edéa, au sein du commissariat chargé de l'enquête sur cet accident. A cette réunion, le commissaire voudrait rencontrer le représentant de chaque famille victime afin qu'on puisse savoir qui joindre en cas de besoin.

Y a-t-il des difficultés particulières auxquelles vous faites face dans l'organisation de ces obsèques ?

C'est toujours difficile. Le drame est tel qu'aucun membre de la famille n'est insensible. La tâche est énorme. Il s'agit d'enterrer 16 personnes. Cela n'arrive pas tous les jours. Déjà quand vous avez un mort, vous avez tous les problèmes du monde à l'enterrer. Imaginez lorsqu'il y en a 16. Nous nous battons pour conscientiser chaque membre de la famille afin qu'on réfléchisse ensemble et qu'on puisse bien gérer cette catastrophe. Le besoin est énorme.

Les difficultés sont donc également d'ordre financier. Nous avons besoin d'un autre appui, d'un autre soutien de l'Etat. Nous avons aussi besoin que nos frères et soeurs camerounais nous viennent en aide. Nous avons besoin de tous ceux qui peuvent nous accompagner, nous soutenir dans ces moments difficiles, à accompagner tous ces jeunes-là qui sont morts à la fleur de l'âge. Je ne sais pas si les gens peuvent imaginer ce que nous ressentons dans notre famille.

L'accident et surtout la mort de ces 16 membres de votre famille a suscité une vive émotion sur les réseaux sociaux. Chacun y allant de son commentaire, de son analyse sur les circonstances et les causes réelles ou supposées de cet accident. Qu'en dites-vous ?

C'est camerounais çà. Mais sachons que notre famille a besoin des gens qui compatissent au malheur qui nous est arrivé, et non des gens qui disent des choses qui ne sont pas vraies. Mme Ngo Nsii Jeanne n'a jamais demandé qu'on ne l'enterre pas dans le village de son mari, comme les gens le disent. C'est faux. Ngo Nsii Jeanne avait été la femme de mon frère Mbee Amos. Ils ont vécu ensemble, puis ils se sont séparés. Mais avant, ils ont eu trois enfants, Hélène qui est morte dans l'accident, Landry et Rita. Pour nous, il était hors de question de mêler les enfants aux problèmes qui ne les regardent pas. Déjà leur père biologique ne vit plus. Et Mme Ngo Nsii n'était plus de notre famille. Mais, nous ne pouvions pas laisser nos enfants avec le corps de leur maman. Elle vivait à Eseka et c'est là-bas que nous l'avons accompagnée.

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