Le Centre d'interprétation et la nouvelle exposition de la Maison des esclaves de Gorée ont été inaugurés, hier, par le ministre de la Culture et du Patrimoine historique, le Dr Aliou Sow. Une occasion pour les acteurs d'insister sur le devoir de préserver ce patrimoine pour que l'histoire ne s'efface pas.
L'inauguration, hier, du nouveau Centre d'interprétation et de la nouvelle exposition de la Maison des esclaves de Gorée a permis d'effectuer un voyage dans le temps, de revisiter l'esclavage, l'un des chapitres les plus sombres de l'histoire de l'humanité et dont l'île mémoire a été témoin. À Gorée, cette tragédie n'a pas été rangée dans les méandres du passé. Elle se conjugue au présent. La porte du « voyage sans retour » et les cellules lugubres et crasseuses sont là pour rappeler à chaque instant cette monstruosité qu'a été l'asservissement de milliers de femmes, d'hommes et d'enfants assimilés à des objets. Au travers des fers à entraver les chevilles ou poignets, des portraits d'esclavagistes, des panneaux explorant le rôle et la vie des femmes sur l'île, des maquettes de négrier et de maisons, de la multitude d'objets archéologiques composant l'exposition, l'on perçoit la réalité de cette horreur qu'a été l'esclavage. Le ministre Aliou Sow, guidé par l'éloquent Eloi Coly, a eu droit à un parcours-mémoire sur les traces de ce passé colonial et négrier, que le temps n'a pas réussi à effacer.
Ce centre d'interprétation est, selon lui, un lieu où « nous » pouvons plonger dans les profondeurs de l'histoire de l'île de Gorée et les événements qui l'ont façonné. « C'est un lieu de convergence des connaissances, un espace dédié à la découverte et un carrefour où les passionnés de culture, les chercheurs et étudiants peuvent se réunir pour explorer et échanger des idées et élargir leurs horizons à travers des ateliers et programmes éducatifs », a-t-il expliqué après la visite du tout nouveau centre qui est l'aboutissement du projet de revitalisation de la Maison des esclaves de Gorée. Un projet d'un coût de 1,8 million de dollars (plus d'un milliard 107 millions de FCfa) et conjointement financé par la Fondation Ford et le Sénégal. Le ministre de la Culture a souligné l'importance de « regarder les cicatrices encore vives qui marquent notre société aujourd'hui » et surtout « d'entendre les voix étouffées et les histoires oubliées de ceux qui ont été opprimés et exploités ».
Un appel à l'action
De l'avis du Dr Aliou Sow, « il ne s'agit pas de se pencher devant des murs de lamentation en victimes permanentes qui se plaignent, mais de se relever et de tirer les meilleures leçons pour ensemble construire un monde meilleur ». De même, a-t-il fait savoir, cette exposition ne devrait pas seulement se limiter à rappeler les horreurs passées. Elle doit aussi être un appel à l'action, une invitation à réfléchir sur les conséquences de l'esclavage et à oeuvrer pour la justice et l'égalité. « En comprenant notre passé, nous sommes mieux préparés à construire l'avenir où chaque individu est respecté, valorisé et libre », a indiqué le ministre pour qui « il est crucial de comprendre les liens entre l'esclavage d'hier et les injustices et discriminations persistantes d'aujourd'hui ». Le ministre a remercié tous ceux qui ont contribué à la réalisation de ce projet, particulièrement la Fondation Ford Usa, la Coalition internationale des sites de conscience et la commune de Gorée. Il a exhorté la population à s'approprier la Maison des esclaves revitalisée qui, selon lui, traduit, de façon définitive, l'expression d'une vision partagée sur les mémoires des traites négrières.
Le maire de Gorée, Me Augustin Senghor, a salué la volonté inébranlable du président Macky Sall de faire en sorte que ce patrimoine soit préservé. Il a insisté sur le devoir de préserver cet outil pour que l'histoire ne s'efface pas.
Digitalisation du patrimoine
L'exploration de la nouvelle exposition permanente engage à remonter le cours de l'histoire et à affronter la réalité brutale de cette période très sombre qu'est l'esclavage. C'est la conviction du ministre Aliou Sow. « Je suis persuadé que le contenu que j'ai visité est à diffuser largement, car la synthèse pédagogique doit pouvoir inspirer nos jeunes générations et surtout les mettre dans une dynamique de maîtrise d'appropriation de leur vérité historique », a-t-il dit. Selon lui, le président Macky Sall a beaucoup insisté sur les besoins de digitalisation du patrimoine historique et son département est en train de réaliser ce projet en relation avec l'Afd (Agence française de développement), le grand groupe français Explorers et beaucoup d'acteurs de la presse sénégalaise. Le Dr Aliou Sow a magnifié l'importance qu'il accorde à la préservation et à la promotion de notre riche patrimoine historique. « Les jeunes doivent se l'approprier pour davantage connaître qui ils sont et quelle doit être la contribution du Sénégal dans la marche du monde », a-t-il expliqué. Le ministre de la Culture a informé qu'une mission technique séjournera la prochainement à Gorée pour aider l'État du Sénégal à évaluer l'état de conservation du site afin de préconiser les meilleures recommandations à prendre en compte dans la réactualisation du plan de gestion. De même, a-t-il indiqué, « le Sénégal a été choisi pour abriter un atelier sous-régional de suivi de l'état de conservation souhaitée pour le retrait des sites de la liste du patrimoine mondial en péril du 12 au 16 juin à Toubacouta et au Niokolo Koba ».
Doudou Diène a, au nom de la Coalition internationale des sites de conscience, magnifié le projet de revitalisation. L'esclavage transatlantique, selon le Conseiller du projet et ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur les formes contemporaines de racisme, est un phénomène universel que toutes les sociétés humaines ont connu. Caractérisé par Jean-Michel Deveau comme la plus grande tragédie de l'histoire humaine, a-t-il indiqué, il est marqué par le silence et l'invisibilité. « Le silence a été un instrument important pour banaliser la tragédie, mais effacer sa dimension tragique et invisible de ceux qui ont été victimes. Nous ne parlons pas d'une question du passé, mais d'un phénomène massif historique qui a structuré l'ensemble de l'univers parce que c'est la première forme de globalisation et elle structure encore le monde », a noté M. Diène qui est convaincu que malgré la disparition de l'esclavage comme structure, l'idéologie qui l'a légitimé demeure. « Le travail fait à Gorée et l'événement d'aujourd'hui, est d'une extrême importance parce qu'on ne peut pas briser le silence par la simple parole historique, mais en redonnant au lieu de mémoires toute son épaisseur et toute sa vitalité », a-t-il relevé.
Création d'un réseau mondial des lieux de mémoires
Doudou Diène, Conseiller du projet, s'est félicité du soutien du gouvernement du Sénégal qui a été précurseur du mouvement d'éveil politique en donnant à la Maison des esclaves la place qu'elle mérite. Selon lui, il y a aujourd'hui un réveil de conscience à cause du combat mené par les descendants d'esclaves et lesquels sont en train de donner à cette tragédie sa place dans l'histoire des mondes. « Ils ont réussi à faire en sorte que l'Onu adopte la décennie mondiale des descendants d'esclaves qui a abouti à la création du forum permanent des descendants d'Africains qui existe à Genève », s'est-il réjoui. Le défi aujourd'hui, a-t-il dit, c'est de le fructifier et de faire de Gorée un centre mondial de l'esclavage, mais aussi de créer un réseau mondial des lieux de mémoire de l'esclavage. De même, M. Diène a plaidé la création d'un fonds des Nations unies permanent de financement des lieux de mémoire de l'esclavage et la mobilisation de la communauté scientifique pour mettre tout cela à jour. « Il va falloir que nous redonnions à toute cette histoire qui est en train de restructurer le monde sa dimension profonde, et qu'on lui donne sens et vitalité », a-t-il relevé.
Le ministre de la Culture et du Patrimoine historique a souligné la nécessité de mettre en relation les sites de mémoires pour créer le réseau mondial. « C'est une anomalie à prendre en charge et le Sénégal doit jouer un rôle de leadership dans cette belle initiative », a affirmé le Dr Aliou Sow. Il s'agira, selon lui, de travailler dans les meilleurs délais en relation avec les autorités municipales de Gorée, le conservateur de la Maison des esclaves, les partenaires et la Coalition internationale des sites de conscience pour élaborer une bonne stratégie ; cela pour convier un certain nombre de dirigeants de réseaux et de sites assez représentatifs du monde pour faire une ébauche et lancer le processus.
L'ombre de Boubacar Joseph Ndiaye
Il était la mémoire de l'île de Gorée. Et on ne peut mettre les pieds à la Maison des esclaves sans avoir une pensée pieuse pour son ancien conservateur disparu il y a près de 15 ans. Pendant plus de quatre décennies, ce grand défenseur de la mémoire de la traite atlantique ne s'est jamais lassé de narrer aux visiteurs de la Maison des esclaves de Gorée, les grandes lignes de la traite négrière. Hier, lors de l'inauguration du Centre d'Interprétation et de la Nouvelle exposition de la Maison des esclaves, feu Boubacar Joseph Ndiaye était l'absent le plus présent. Sa mémoire a plané dans la cérémonie présidée par le ministre de la Culture, Aliou Sow.
Un vibrant hommage lui a été rendu aussi bien par son successeur, Éloi Coly, mais aussi par Doudou Diène qui l'a longtemps côtoyé. Selon ce dernier, Nantes est la première ville au monde à baptiser une rue au nom de feu Boubacar Joseph Ndiaye. Une façon pour le maire de la ville, Johanna Rolland, et son Conseil municipal, d'immortaliser l'ancien combattant, qui a contribué de fort belle manière à la constitution d'une mémoire autour de la tragédie humaine que constitue l'esclavage. « Dans sa tombe, il doit être fier de ce qui est fait de cette Maison des esclaves qui est devenue un musée du 21e siècle.
Car dans ce musée ont été intégrées toutes les innovations muséales et cela nous le devons à la Coalition internationale des sites de conscience avec laquelle nous partageons la même vision », s'est félicité Eloi Coly, l'actuel conservateur. Selon lui, les musées et les sites ont un devoir de raconter l'histoire telle qu'elle a existé. « Il ne s'agit pas d'histoire sélective, mais aussi de permettre aux protagonistes de pouvoir aller ensemble autour d'une vision partagée vers la paix et la réconciliation », a fait savoir M. Coly.