Comme un air de déjà-vu. Des milliers de militants du parti d'Ousmane Sonko, ivres de colère, descendent de manière intermittente dans la rue depuis jeudi dernier pour s'en prendre à certains édifices publics et privés, suite à la condamnation de leur leader à deux ans de prison ferme pour avoir poussé à la débauche, une jeune femme de moins de 21 ans.
Des détonations assourdissantes ont été entendues dès l'énoncé du verdict dans les ruelles adjacentes au tribunal, qui a scellé le sort du patron du PASTEF, avant que le grabuge ne s'étende aux autres quartiers de la capitale et à certaines villes de l'intérieur du pays.
Ce nouvel épisode du psychodrame qui tient le Sénégal en haleine depuis deux ans a, comme on le redoutait, occasionné des scènes de guérilla urbaine entre les partisans du truculent opposant et les forces de l'ordre, faisant plusieurs morts et des dégâts matériels importants.
A voir les pavés, les morceaux de planches et les panaches de lacrymogènes qui jonchaient les rues de Dakar, de Ziguinchor, de Mbour, de Kaolack et de Saint-Louis, on a l'impression que les Sénégalais sont, cette fois-ci, prêts à tout, même à exécuter les pas de leur mythique danse du Mbalax sur un volcan, quitte à précipiter dans l'inconnu, ce pays pourtant réputé pour la solidité et la stabilité de ses institutions.
Le président sénégalais devrait faire baisser la tension en mettant un terme au suspense sur sa candidature
Les imposants dispositifs sécuritaires qui quadrillent les principales villes depuis que le tribunal de Dakar a fait peser une hypothèque sur la candidature de Sonko à la prochaine présidentielle, ont pour ordre d'empêcher la jeunesse dopée par la soif de changement, d'investir les points névralgiques, afin de parer aux risques énormes de survoltage de l'atmosphère déjà enfiévrée depuis la condamnation, à six mois de prison, du leader actuel de l'opposition dans une autre affaire, il y a de cela quelques semaines.
Reste à savoir si cette présence massive des forces de l'ordre sur les trottoirs, va dissuader tous ces milliers de manifestants qui se battent pour la survie judiciaire et politique de leur leader, et contre la supposée ou réelle machination du pouvoir pour l'écarter de la course à la magistrature suprême.
Rien n'est moins sûr, d'autant que cet outsider au discours souverainiste et panafricaniste a, dans une rafale verbale dont il a le secret, appelé ses compatriotes à faire barrage au plan de liquidation politique orchestré contre lui par Macky Sall qui rêve toujours de voir sa candidature noyée dans le triangle des Bermudes formé ici en l'occurrence par la plaignante et "marionnette" Adji Sarr, le procureur et "ventriloque" Sérigne Bassirou Guèye et le juge d'instruction chargé de l'affaire et "marionnettiste", Mamadou Seck.
Le scénario rappelle celui qui a permis au même président d'écarter de la course au sommet de l'Etat, le fils de son prédécesseur, en 2016, et de disqualifier de la même compétition, le maire de Dakar en 2018. Et comme en politique aussi il n'y a jamais deux sans trois, c'est Ousmane Sonko qui, après sa condamnation sur commande, va, cette fois-ci, passer à la trappe.
L'enjeu du bras de fer en cours est, en effet, éminemment politique d'autant que l'autre facteur de tension est le flou entretenu par Macky Sall sur son intention de briguer ou non un troisième mandat.
On prête, en effet, l'intention au président sénégalais, de ciseler la Constitution à sa mesure afin de rempiler pour la 3e fois consécutive, en février 2024, au mépris d'une disposition rédhibitoire de la loi fondamentale, et au risque de voir la situation sociopolitique dégénérer, avec possiblement une union de circonstance de toute l'opposition pour pilonner le parti présidentiel et ses satellites.
Au regard des dégâts humains et matériels déjà enregistrés et afin d'éviter au Sénégal, une déflagration généralisée en cas d'arrestation de Sonko, le président sénégalais devrait faire baisser la tension en commençant par mettre un terme au suspense sur sa candidature au prochain scrutin.
Espérons que Macky Sall ne tentera pas un passage en force
Les exemples de Blaise Compaoré et d'Alpha Condé doivent être suffisamment dissuasifs et instructifs pour l'enfant de Fatick, qui ne devrait pas avoir besoin de dessin pour comprendre que tous ceux qui le poussent aujourd'hui à la faute en l'encourageant à briguer le mandat de trop, seront les premiers à quitter le navire et à prendre le large à la moindre secousse.
Malheureusement, comme le dit un proverbe bien connu de chez nous, « quand l'âne veut te terrasser, tu ne vois pas ses oreilles ». Malgré toutes ces alertes, en effet, il n'est pas exclu que Macky Sall fonce droit dans le mur , à moins qu'il ne soit arrêté in extremis par de violentes révoltes comme celles qui, en 2011, ont contraint son prédécesseur Abdoulaye Wade à faire, malgré ses 86 ans, un double salto arrière digne d'un acrobate chinois, en retirant fissa fissa le projet de texte qui entendait baisser le seuil nécessaire pour être élu président à 25% dès le premier tour, et dans la foulée, en renonçant à la création d'un poste de vice-président qu'aurait certainement occupé son fils.
Espérons que Macky Sall ne tentera pas un passage en force, et n'essayera pas de franchir le Rubicon en s'accrochant, à ses risques et périls, à ce fauteuil présidentiel qu'il a occupé pendant de si longues années.
Pour cela, il devrait s'inspirer des anciens présidents du Niger et du Nigéria, Mahamadou Issoufou et Muhammadu Buhari, qui sont entrés dans l'histoire de leurs pays respectifs par la porte et en sont sortis par le portail, en passant le flambeau à leurs successeurs à la fin de leurs mandats constitutionnels.
En attendant que le président Macky Sall lève définitivement le doute sur ses intentions, les Sénégalais retiennent leur souffle en se demandant si les choses déjà suffisamment délétères, ne vont pas partir en vrilles avec l'arrestation possible voire probable d'Ousmane Sonko, le recours suspensif n'étant plus possible d'autant qu'il a été condamné par contumace.
Mais même si tous les ingrédients d'une escalade de la violence sont réunis, l'espoir de voir cette poussée de fièvre retomber est encore grand, avec le comportement profondément républicain de l'armée sénégalaise, l'extraordinaire faculté des hommes politiques de ce pays à lâcher du lest pour sauver cette démocratie réputée pour être l'une des meilleures du continent, sans oublier évidemment le contexte sous- régional et international qui est hostile aux micmacs pour rester au pouvoir, envers et contre tout.
*Mbalax : danse populaire sénégalaise