Sénégal: Les « Baye pelles » à Touba - Dans l'univers des ouvriers à tout faire

Touba — Dans la cité religieuse de Touba, des hommes vigoureux et bien portants, armés de pics et de pelles, leurs outils de travail, font partie du décor. Ils sillonnent les quartiers de Touba à la quête de menus boulots. On les surnomme les « Baye pelles ». Ces hommes aux douze métiers, avec leur courage et dignité en bandoulière, refusent la fatalité et la facilité. Main d'oeuvre à bon marché, ils préfèrent gagner leur vie à la sueur de leur front.

Regroupés parfois en associations, en dahiras, ou travaillant en solo, ils font de la vidange de fosses septiques, déchargent des camions de sable ou de gravat puis se partagent leurs gains en fin de journée. Ils sont plus d'un millier et sont très présents sur le terrain. Débrouillards, les « Baye pelles », dont l'âge varie entre 30 et 50 ans, ne rentrent jamais les mains vides. Polyvalents, ces hommes aux douze métiers refusent la fatalité. Et la facilité aussi. Dans la ville de Touba où les chantiers poussent comme des champignons, il est évident que trouver du travail ne doit pas être plus difficile.

Les « Baye pelles », hommes à tout faire, savent se muer en journalier. Assis à même le sol, ils ont à portée de main leurs outils : pelles, pics, pioches, marteaux, coupe-coupe, etc. Partout, ils sont identifiables grâce à leurs pelles. Ils s'habillent généralement en ouvrier et s'adonnent à toutes les tâches. Ils sont aptes à exécuter de menus travaux allant de la maçonnerie au curage des canaux, en passant par les tranchées, le vidange des fosses septiques, l'abattage d'arbres entre autres menues activités pour gagner honnêtement leur vie. Et ils ne demandent qu'une chose : trouver du travail tous les jours pour assurer la dépense quotidienne.

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Samba Ndiaye, un « Baye pelle », exerce ce métier « pour ne pas tendre les mains, ou agresser ». Ce dernier ne dispose d'aucune qualification professionnelle. « Depuis plusieurs années, je suis sur le terrain et c'est grâce à ce travail que je nourris ma famille », nous dit-il. « Sous feu Serigne Saliou Mbacké, nous avons fait la campagne de Khelcom par équipes et nous avons creusé des fondations et des canalisations », indique-t-il.

Un travail dur et mal rémunéré

Mohamed Seck, 42 ans, « Baye pelle » trouvé sur un chantier, le visage dégoulinant de sueur, marteau entre les mains, frappe à coups réguliers sur le mur qui finit par s'effondrer avec fracas. Un nuage de poussière envahit le site. Il a été engagé pour démolir des pans de mur de la maison. Originaire de Kaffrine, Mohamed s'active dans le métier depuis 2013. Polygame et père de plusieurs enfants, ce cultivateur n'avait pas d'occupation à son arrivée à Touba. « Je me suis lancé dans le métier de « Baye Pelle » parce que je n'avais ni terres, ni semences. C'est un travail au quotidien, qui nécessite de la force et il est rare qu'on rentre bredouille à la maison », indique-t-il.

La grande majorité des personnes qui s'activent dans ce domaine ne sont pas de Touba. Ils sont âgés entre 30 à 50 ans, mais leur apparence physique leur donne plus que leur âge. Monnayer leur force est la seule forme de travail qui leur permet de gagner honnêtement leur vie et de subvenir aux besoins de leurs familles respectives.

Á Touba, ils n'ont pas de siège mais les entrepreneurs savent où les trouver pour venir leur proposer du travail. Le rond-point de la corniche Serigne Cheikh accueille la majorité des « Baye Pelles ». Samba Ndiaye raconte : « Nous avons eu à faire la campagne de Khelcom sous Serigne Saliou Mbacké. Chaque "Baye pelle" dispose de ses propres outils. Ce sont ses armes et son gagne-pain. Nous souhaitons qu'il y ait du travail chaque jour afin que nous puissions gagner notre dépense quotidienne ».

Dans une tranchée, de grosses gouttes ruisselant sur son visage, Abdou Lahad Diop, habite Sham Serigne Bara Khoredia, à 4 km de la ville. Il a quitté son village de Thilmakha il y a plusieurs années. Marié et père de quatre enfants, il exerce le métier de « Baye Pelle » depuis plus de 10 ans. « Je ne suis pas au chômage. Chaque jour, il y a du travail ; mais c'est mieux que voler ou de tendre la main. Parfois on gagne plus et d'autres fois moins. Il n'y a pas de sot métier, je suis respecté dans mon quartier », soutient-il.

Revenant sur son parcours, Abdou Lahad Diop révèle qu'il avait un petit commerce et a fait faillite. En bonne santé et bien portant, le bonhomme reconnaît que c'est difficile. Toutefois indique-t-il, un homme doit pouvoir s'en sortir licitement à force d'abnégation. « J'ai d'abord été apprenti maçon, puis j'ai voulu y aller seul », confie-t-il. Ngagne Diop, 45 ans, habitant de Madyana, exerce la maçonnerie, creuse des tranchées, fait des vidanges et du transport de gravats. « Je suis devenu "Baye pelle" parce que c'est ce qu'il y avait de plus accessible à faire. Je n'ai pas d'autres occupations. Nous voulons travailler, mais nous n'avons pas de diplôme ni de formation. Mais nous préférons de loin les menus métiers et gagner honnêtement notre vie que de verser dans la délinquance. C'est difficile parce que la rémunération est largement en deçà des efforts fournis et en cas de maladie ou de blessure, nous nous prenons en charge et puisons dans la caisse sociale de la dahira », explique-t-il.

Modus operandi des « Baye pelles »

Loin d'être novice dans ce métier, Abdou Lahad Diop a commencé par creuser des fondations de bâtiments. Il casse des dalles, abat des murs, ramasse du gravat... C'est son lot quotidien. « À défaut de trouver mieux, je suis encore dans ce métier qui est mon gagne-pain. Une journée de travail varie entre 5000 FCfa, 7000 FCfa ou 10.000 francs. Il n'y a pas de barème fixe, nous marchandons avec nos potentiels clients. Nous nous accordons à l'amiable sur le coût du travail », rappelle-t-il.

Le grand Magal de Touba constitue un grand moment de travail pour les « Baye pelle ». En effet, les citoyens lambda comme Moustapha Ndiaye un « gorgorlou », chef de famille, qui ne peuvent bénéficier des camions de vidange, font appel aux « Baye Pelle ». Le grand Magal de Touba constitue la période la plus faste pour ces hommes à tout faire. « Nous sommes très sollicités par les populations. Nous gagnons 10 000 à 20 000 francs en une journée », indique Moustapha Ndiaye. « Les "Baye pelle" sont des gens qui gagnent honnêtement leur vie, à la sueur de leur front. Il faut se référer à ces gens », explique Souleymane Mbow, maître-maçon. « Ils font un travail difficile mais avec beaucoup d'engagement et de qualité. J'ai souvent recours à eux parce qu'ils sont moins chers pour des travaux d'Hercule », fait-il savoir.

Pour les populations bénéficiaires des travaux des « Baye pelles », ces derniers sont indispensables. « Ils nous rendent un grand service. Ils travaillent bien, sont efficaces et moins coûteux qu'un camion vidangeur quand il s'agit de vider une fosse », fait savoir Mamadou Seck, délégué de quartier, au village de Khaïra II. « Tous les ans, à la veille du grand Magal, je fais appel à eux pour vider ma fosse septique et ils font un travail exceptionnel en peu de temps et pour un coût abordable », ajoute-t-il.

Lamine Dieng, chef de famille, reconnaît également que les « Baye pelle » sont indispensables à Touba. « Il y a constamment des travaux à faire et les bourses ne sont pas équitables. Je pense qu'on doit formaliser le secteur et leur trouver du travail en permanence. Ce sont des soutiens de famille, ils préfèrent vivre dignement que de faire des actes irresponsables. L'État doit organiser cette main d'oeuvre facile au grand bénéfice des populations », affirme-t-il.

Chef d'entreprise de Btp, Fatou Diallo dit employer ces « Baye Pelle » depuis une dizaine d'années sur leurs différents chantiers. « Je leur fais confiance, car les bénéficiaires ne se sont jamais plaints. C'est parce qu'ils font du bon travail et à des coûts très abordables », assure-t-elle.

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