Le procès de Philippe Manier se poursuit devant la Cour d'assises de Paris. Cet ex-gendarme, connu aussi sous le surnom de « Biguma », était adjudant-chef à Nyanza, dans la préfecture de Butare, au sud du Rwanda. Il est notamment poursuivi pour génocide et crimes contre l'humanité, des accusations qu'il conteste.
En ce début de cinquième semaine du procès, la Cour entend des parties civiles en lien avec le massacre de la colline de Nyabubare qui a fait plusieurs centaines de morts, le 23 avril 1994.
François, un agriculteur de 57 ans aujourd'hui, rescapé de la tuerie, raconte. Malgré sa frêle carrure, François tient à transmettre toute la force de sa conviction, quitte à mimer son récit. La veille du massacre, l'agriculteur tutsi fuit juste avant que sa maison soit incendiée et se réfugie, comme beaucoup, sur la colline de Nyabubare.
Le matin, une dizaine de gendarmes et la population attaquent. Alors que les morts s'accumulent, François pense « plutôt une balle que la machette » et s'approche des gendarmes mains en l'air. Sa chance : l'adjudant-chef, « Biguma », connait bien son beau-frère, hutu, et laisse François en vie le temps de vérifier qu'il est hutu, aussi.
« Je n'ai qu'un souhait, que vous condamniez Biguma »
Ce beau-frère lui laissera finalement la vie sauve mais en cet instant, la chance de François scelle le malheur d'une soixantaine d'autres personnes. Le voyant épargné, elles avancent, comme lui, mains en l'air. « Biguma » ordonne alors qu'elles soient mitraillées puis achevées à l'arme traditionnelle.
La voix de François se brise : « Je l'ai vu de mes propres yeux. C'est Biguma qui a fait tuer jusqu'à l'extermination les gens de Nyabubare. Civils contre civils, il y aurait eu plus de survivants mais l'intervention des gendarmes avec des fusils a changé la donne. Si je meurs après avoir livré mon témoignage, je mourrai en paix. Je n'ai qu'un souhait, que vous condamniez Biguma, il a beaucoup tué, tué, tué », répète-t-il.
« Reconnaissez-vous la personne dans le box ? » demande le président. Philippe Manier se lève. Les deux hommes se regardent. L'accusé garde une neutralité indéchiffrable. François, lui, est bouleversé : « C'est bien Biguma », confirme-t-il, avant d'ajouter : « Il tuait avec beaucoup de zèle. J'ai beaucoup de chance car il n'a épargné personne. Il a beaucoup de sang sur les mains. »