Ile Maurice: L'économie sans chiffres, c'est possible !

C'est Vishnu Lutchmeenaraidoo, alors ministre des Finances, qui avait expliqué aux membres de la rédaction de l'express, visiblement pris de court, qu'on pouvait parler d'économie sans se référer aux chiffres - qu'ils soient ceux de la croissance, de la balance commerciale, de l'inflation ou de la dette publique. Il n'a pas pu aller au bout de ses propos car il a fini sa carrière de ministre d'une façon assez brusque, ce qu'il n'avait pas prévu. Sont restés virtuels sa vision et son second «miracle».

Il y a sept ans, on disait qu'il y avait un «complot» au sein du gouvernement Lepep. Il existait «un crime qui profite aux comploteurs». Les termes entre guillemets sont ceux de l'ex-ministre Lutchmeenaraidoo, qui n'avait alors pas encore nommé celui qui voulait sa peau, alors que tout le monde savait de qui il s'agissait.

En face de Lutchmeenaraidoo, Grand argentier sous SAJ, il y avait un stratège qui a étudié Sun Tzu et Clausewitz, et qui savait fort bien qu'une bonne part de l'Art de la guerre demeure basée sur la duperie. Si l'ennemi est à terre, il faut se jeter sur lui et déclencher la bataille d'anéantissement, sans tarder.

Dans le cas de Lutchmeenaraidoo, on avait violé le secret bancaire, terni l'image de la SBM, fait chuter l'action boursière de la banque, effrayé les investisseurs, mobilisé l'ICAC pour l'atteindre. Simultanément, on avait sorti des dossiers contre sa soeur, son fils, sa belle-fille, sa proche collaboratrice. Et on avait actionné des leviers complaisants pour diffuser les news. Lutchmeenaraidoo, pourtant grand tacticien, n'avait rien pu faire pour esquiver tout cela.

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Aujourd'hui c'est Renganaden Padayachy et son épouse Valérie qui sont sous les feux des projecteurs. Il doit faire des jaloux car l'on voit sa proximité avec le Premier ministre. C'est peut-être pour cela qu'il porte autant de bracelets en corde autour du poignet... Il faudrait le lui demander.

Dans l'opinion, on est partagé sur l'impact de son budget social et de son nouveau régime fiscal progressif. L'overdose des réactions post-budgétaires se poursuit encore dans un brouhaha parfois incompréhensible. Chacun y va de son couplet. Chacun, en fait, tend à réagir selon ses intérêts, ou plus simplement, par rapport à sa poche.

Sur le discours de Padayachy, Pravind Jugnauth ne dira pas du tout la même chose que Navin Ramgoolam, c'est normal. Même Paul Bérenger et Xavier-Luc Duval, qui pensent tous deux que c'est un mauvais Budget, ou plutôt «un bon Budget pour l'opposition», tant il fournit des munitions pour critiquer le gouvernement, ne vont pas s'appuyer sur les mêmes points, car ils ont des perspectives différentes sur l'économie, sujet aussi vaste que complexe, que nul ne peut expliciter en quelques phrases.

Dans ce concert abrutissant de commentaires, il faut ajouter les voix discordantes des syndicats (du privé versus du secteur public), des entrepreneurs, des cabinets spécialisés qui rivalisent en PDF comme s'ils étaient devenus des journaux d'un soir, dont plusieurs opérant dans le Global Business, ou des artistes, dont certains seront enchantés, alors que d'autres vont déchanter.

À l'express, nous nous demandons surtout comment Padayachy va financer son chapelet de projets, dans tous les villages et quartiers de Maurice, cités avec une belle appétence, au détriment des fondamentaux macroéconomiques, comme le taux de l'inflation et le sort de la roupie. Un peu comme Vishnu Lutchmeenaraidoo l'expliquait jadis. On parle d'économie, en prose.

Comment pouvons-nous oublier que la base du premier Budget de ce gouvernement (qui est aussi le premier Budget post-lockdown) repose d'abord et avant tout sur du Helicopter Money - ce terme que Rama Sithanen avait lancé en plein confinement et qui a été accueilli comme une bouée de sauvetage inespérée par ce gouvernement. Gouvernement qui était, rappelons-le, déjà sous perfusion à l'Intensive Care Unit avant le coronavirus.

Dev Manraj et son équipe de techniciens avaient sauté sur l'aubaine politique, tant il fallait, coûte que coûte, préserver les emplois face à la double crise sanitaire et économique. Sans rentrer dans les méandres de la ponction des Rs 60 milliards de la Banque centrale, il était clair qu'on ne peut pas bâtir un Budget «équilibré», si vous prenez un argent qui ne vous appartient pas à la base et que vous faites toujours comme s'il n'y avait pas lieu de le rembourser...

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