Les Émirats Arabes Unis ne comptent plus laisser le marché africain aux grandes puissances comme les États-Unis, la Chine, l'Europe, la Turquie, entre autres. La tenue du Gitex, plus grande rencontre de l'écosystème digital mondial organisée depuis plus de 40 ans à Dubaï, pour la première fois en Afrique en est une illustration. Dans une interview accordée à la presse africaine dont allafrica.com, le 31 mai 2023 à Marrakech (Maroc), en marge des travaux du Gitex Africa, M. Omar Sultan Al Olama, ministre de l'Intelligence Artificielle, l'Économie Numérique et des Nouvelles Applications des Émirats Arabes Unis, revient de fond en comble sur les ambitions des EAU notamment en terme d'investissements digitaux.
Quel est le montant exact de l'investissement des Émirats dans l'écosystème technologique africain ?
Honnêtement, je ne connais pas le montant exact, mais les investissements des Émirats arabes unis en Afrique se chiffrent en milliards de dollars, qu'il s'agisse des énergies renouvelables et de la technologie nécessaire grâce à Masdar et Mubadala ou, par exemple, d'un investissement au Maroc, en Égypte et dans d'autres pays.
Les Émirats arabes unis investissent donc massivement en Afrique. Ils sont convaincus que le continent africain est un moteur essentiel de l'avenir de l'humanité, ainsi que de l'avenir de la technologie telle que nous la connaissons.
Nous pensons également qu'il est possible d'apporter beaucoup d'expertise à l'Afrique, mais aussi que ce continent peut sauter une grande partie des cycles de développement que nous avons connus dans le passé.
Ainsi, nous avons vu l'Afrique, par exemple, sauter le pas lorsqu'il s'est agi de passer des télécommunications fixes aux télécommunications mobiles, par exemple, dans le monde entier.
Même si nous prenons des exemples comme M-Pesa, l'Afrique a été en mesure d'exporter un modèle dans le reste du monde qui a été extrêmement fructueux.
Nous croyons donc sincèrement que l'avenir de la technologie dépendra de l'Afrique, que l'Afrique sera un acteur clé et que nous devons travailler main dans la main pour faire en sorte que les opportunités disponibles en Afrique soient celles qui permettent aux individus sur le terrain d'en bénéficier.
Que nous soyons en mesure de créer des modèles économiques qui traversent les frontières et qui ont un impact positif tangible.
Que faites-vous pour le renforcement des capacités des populations africaines ?
Excellente question. Nous faisons donc plusieurs choses. L'un des projets dont je suis personnellement responsable s'appelle l'École Numérique. Il a été lancé lors de la Covid par son Altesse, Sheikh Hamad bin Rashid Al Maktoum, le vice-président des Émirats arabes Unis, le premier ministre et le dirigeant de Dubaï.
Le projet vise à éduquer un million d'élèves par le biais d'une véritable éducation scolaire. Il ne s'agit donc pas de leur donner uniquement un enseignement. Il s'agit d'un enseignement en ligne accrédité, qui leur permettra, une fois diplômés, d'obtenir des bourses et d'aller dans les meilleures universités du monde, et qui n'entrera pas en conflit avec les systèmes mis en place par les gouvernements.
Ce que nous voulons garantir, c'est que les gouvernements qui adoptent ce système d'éducation soient en mesure de l'exploiter et de l'étendre au-delà des frontières. Nous avons donc déjà plus de 25 000 étudiants en Afrique.
Ce nombre va passer à plus de 100 mille étudiants l'année prochaine et il va continuer à croître de manière exponentielle. Nous espérons donc qu'au moins la moitié, soit 500 mille de nos étudiants, se trouveront en Afrique au cours des trois prochaines années.
Concernant le marché principal en Afrique, vous intéressez-vous à la collaboration dans le secteur du numérique ?
Je ne pense donc pas qu'il y ait un marché principal. Je pense que l'Afrique dans son ensemble est un marché très intéressant pour le monde. Que va-t-il se passer ?
Je pense que c'est quelque chose qui s'est produit dans le passé : en Afrique, il y a des poches d'excellence dans certains pays. Ce sera une poche d'excellence pour le développement, pour la technologie.
Le talent pour certains marchés sera une poche d'excellence lorsqu'il s'agira de déployer la technologie. Nous l'avons vu, comme je l'ai mentionné, avec M-Pesa, mais il y a aussi d'autres exemples comme Zipline au Rwanda et d'autres.
C'est vrai ? Et certains autres marchés seront également ceux où les entreprises et les gouvernements du monde entier seront en mesure d'adopter cette technologie et de l'exporter dans le reste du monde. Je pense donc personnellement qu'il n'y aura pas d'approche unique pour l'Afrique.
Dans le passé, le potentiel de l'Afrique a peut-être été sous-estimé parce qu'on pensait qu'il n'y avait qu'un seul marché intéressant ou qu'il n'y avait qu'une seule application intéressante.
Je pense que l'Afrique dans son ensemble est très intéressante et que nous devons travailler avec un esprit et des yeux ouverts pour nous assurer que nous obtenons ces avantages.
Quelles sont les mesures spécifiques que vous en tant qu'Émirats Arabes Unis avait pris pour investir en Afrique ?
Sur le continent, nous investissons beaucoup dans l'Intelligence Artificielle. Ce qui a des répercussions positives sur le continent dans certains domaines.
Les EAU ont annoncé la création d'une université, l'Université Mohammed bin Zayed de l'intelligence artificielle, qui est la première université au monde à se consacrer spécifiquement à la recherche sur l'intelligence artificielle en vue de l'obtention d'un master et d'un doctorat.
Il s'agit également d'une université appliquée où les Africains vont y allez donc pour appliquer leurs connaissances. Ce qui sera très prometteurs pour les pays, les entreprises ou la vie.
Certains étudiants de cette université qui reçoivent des bourses sont originaires du continent africain et je pense qu'ils reviendront et deviendront vraiment les artisans du changement en Afrique.
Il y a d'autres initiatives, comme, par exemple, Gitex. Il s'agit d'une initiative des Émirats Arabes Unis qui est devenue le plus grand événement technologique du monde.
Mais les Émirats Arabes Unis ont pensé que si nous voulons vraiment, en tant que pays, investir dans l'avenir, nous devons aller là où se trouve l'avenir. Et l'avenir, aujourd'hui, c'est l'Afrique.
C'est pourquoi l'investissement que les Émirats Arabes Unis et le gouvernement marocain ont consenti pour organiser cet événement est un investissement qui, je pense, portera ses fruits pendant de nombreuses années.
Quelles sont les conseils à donner aux gouvernements africains et au secteur privé en matière d'investissement afin d'aider le continent à arriver au niveau souhaité ?
Je ne pense pas que les chiffres d'investissement soient très élevés. Je pense qu'au fur et à mesure que cette technologie se développe, nous assistons à une prolifération.
Auparavant, pour travailler dans le domaine de l'IA, par exemple, il fallait disposer de capacités de supercalculateurs se chiffrant en milliards de dollars. Il fallait disposer de talents très qualifiés ayant fait des études universitaires ou ayant travaillé dans ce domaine pendant plus de dix ans.
Aujourd'hui, nous constatons que tout est accessible du bout des doigts. Si vous voulez libérer votre pays, il vous faut deux choses.
Premièrement, il faut supprimer la paperasserie, car je pense qu'il est facile pour nous, en tant que gouvernements, de réglementer, et la sur-réglementation tue et étouffe toujours l'innovation.
Deuxièmement, nous devons également accroître la sensibilisation. Je pense que les jeunes Africains ont les capacités de façonner l'avenir de cette technologie. Ce dont ils ont besoin, c'est quelqu'un qui leur dise où aller.
En tant que gouvernement, je m'intéresse à l'IA dans le tourisme ou à l'IA dans l'éducation. Le gouvernement doit décider des thèmes et s'il le fait, je pense que les jeunes suivront. Les marchés seront ouverts et, avec un peu de chance, nous verrons en Afrique des exemples que nous pourrons exporter dans le reste du monde.
(Propos rassemblés par B Dabo)