Sénégal: [Reportage] A trois semaines de la Tabaski - Incertitudes sur le marché du mouton

La situation tendue à Dakar et dans d'autres localités ne permet pas aux éleveurs de rejoindre les points de vente. Cela constitue une sérieuse menace sur l'approvisionnement du marché en moutons à trois semaines de la Tabaski. Du côté des éleveurs, la peur est, sans doute, le sentiment le mieux partagé.

Des sacs de foin soigneusement rangés, des piquets en fer de l'autre côté, non loin d'une dizaine de sacs d'aliment de bétail. Chez Pape Malé, tout est en place. Sauf l'essentiel : les moutons.

Habitué des opérations Tabaski depuis près d'une décennie, il recevait les moutons à un mois de l'événement, le temps de les acclimater et de les remettre en forme, avant de les écouler. Depuis quelques jours, c'est la panique chez celui qui habite non loin du stade Léopold Sédar Senghor.

« On n'a pas le choix. On ne peut pas prendre le risque de convoyer nos moutons dans ce contexte de crise. Le danger, c'est que nous sommes à un peu plus de trois semaines de la Tabaski. Si dans une semaine la situation ne s'améliore pas, je pense que je serai obligé de renoncer », estime l'ancien joueur de navétane.

Si sa peur est aussi grande, c'est qu'il est convaincu qu'en période de chaleur, il est non seulement difficile d'engraisser les moutons, mais il faut plus de temps pour que les sujets reprennent leur forme.

Cheikh Samb, lui, est dépassé par les événements. Il vient de consacrer deux semaines à faire le tour des marchés hebdomadaires de moutons dans les régions pour se ravitailler. Il ne restait qu'à les convoyer à Dakar.

« Je n'ai reçu que la première vague. Mais, quand j'ai vu des manifestants attaquer des vendeurs de moutons à Keur Massar, j'ai décidé de patienter. C'est très risqué. Aujourd'hui, tout est cher. Si on doit encore perdre plus de temps pour remettre les moutons en forme, ça risque gros », alerte-t-il.

Menaces sur la qualité et la quantité

Coïncidant avec la période de chaleur, la Tabaski de cette année ne se présente pas sous les meilleurs auspices. En cette matinée de dimanche, Mame Mor et ses amis éleveurs n'ont qu'un sujet à l'ordre du jour : la Tabaski. Ici, si certains ont tout simplement décidé de renoncer, d'autres prédisent le chaos. « Les moutons élevés dans des zones chaudes ont besoin de plusieurs jours pour se remettre en forme, pour ensuite commencer à changer de régime alimentaire pour l'engraissement. Les délais sont courts. Les Sénégalais risquent de voir des moutons chétifs et très mal nourris », dit-il.

Pour Papis, son voisin, au risque d'approvisionnement, il faudra ajouter la cherté des moutons maintenant. « Nous sommes en période pré-hivernale. Le foin est inaccessible. Le concentré, communément appelé « ripass », qui se vendait entre 8000 et 9000 FCfa le sac est désormais cédé à 12 000 FCfa à Dakar », souligne-t-il.

Pire, poursuit-il, même dans les villages les plus reculés, où les éleveurs avaient l'habitude de se ravitailler, les moutons sont devenus inaccessibles. « Il y a de sérieux risques aussi bien sur la qualité que sur la quantité de moutons, à moins que les autorités prennent des mesures d'urgence. Et même cela risque d'être compliqué avec les délais », alerte-t-il.

INSÉCURITÉ, PRÊT BANCAIRE

La peur s'installe à la maison des éleveurs

Des agressions et des scènes de pillage sont constatées depuis jeudi dans plusieurs localités. Dakar et Ziguinchor restent les zones les plus touchées par les manifestations qui ont suivi la condamnation du leader de Pastef, Ousmane Sonko, à deux ans de prison ferme. L'ambiance morose et chaotique inquiète les éleveurs à moins d'un mois de la célébration de la Tabaski.

De sérieuses menaces pèsent sur la fête du mouton, selon le président de la Maison des éleveurs du Sénégal, Ismaïla Sow. À l'en croire, la peur est en train de gagner les acteurs majeurs. « Le business n'est possible que dans une ambiance de paix. Et ce n'est pas le cas actuellement. Les jeunes détruisent et ramassent tout sur leur passage. Et si la situation reste tendue à Dakar et dans les autres capitales régionales, les gens hésiteront à venir », considère M. Sow.

L'impact immédiat sera, selon lui, l'absence de marchés, car les zones jadis aménagées pour l'opération Tabaski sont des cibles particulières des manifestants. « Quand les jeunes manifestent, ils ne restent pas sur place. La foule avance et essaie de faire le tour de la ville. Cette situation ne rime pas avec la vente de moutons », ajoute-t-il.

La plus grande difficulté, à ses yeux, est que les vendeurs ne pourront pas fuir avec le bétail. « Si les éleveurs sont pris au dépourvu, c'est fini. On peut fuir avec certains produits, mais pas avec une centaine de moutons. C'est impossible. Donc, tout ce que nous voulons, c'est que le calme revienne, afin qu'on puisse travailler correctement », estime le président de l'Association des éleveurs du Sénégal.

À l'en croire, ses membres sont entre le marteau et l'enclume puisque ne pouvant pas riposter en cas d'attaque. « L'unique option pour nous est la légitime défense. Et ça peut nous conduire en prison. Donc, la situation est compliquée pour nous. Cette campagne est pleine d'incertitudes », explique Ismaïla Sow.

Pour lui, à défaut d'un climat calme et apaisé, des milliards d'investissements peuvent être perdus. « La plupart des éleveurs, impliqués dans l'opération Tabaski, ont bénéficié de crédits bancaires. Aujourd'hui, s'ils font l'objet d'attaques, ils seront ruinés et auront des ennuis tout le reste de leur vie », souligne M. Sow.

La situation, affirme-t-il, ne restera pas sans conséquence pour les ménages, car si les éleveurs n'arrivent pas à s'installer dans les capitales régionales, les prix vont exploser. « Les produits vont forcément renchérir si la situation perdure. Ainsi, beaucoup de pères de famille vont peiner à avoir un mouton », alerte le président de la Maison des éleveurs.

Pour éviter pareille situation, l'Association des éleveurs du Sénégal interpelle l'État. « Nos messages vont à l'endroit des gouvernants. Nous leur demandons d'user de tous les moyens légaux pour mettre fin à cette situation. Saccager les magasins, voler des biens appartenant à autrui ; ce n'est pas une manifestation politique, c'est du banditisme », soutient Ismaïla Sow.

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