Ile Maurice: Décloisonner l'ascenseur social

Entendons-nous bien, le quatrième budget de Renganaden Padayachy ne prépare pas le pays à aller aux urnes. La classe politique en est aujourd'hui convaincue, elle qui fantasmait à l'idée d'une échéance imminente. Le ministre a lui-même rappelé qu'il fera un dernier Budget, confirmant ce que Pravind Jugnauth a plus d'une fois maintenu, soit la volonté de son gouvernement d'aller jusqu'au bout de son mandat, donc techniquement en novembre / décembre 2024.

Du coup, si le Budget 2023-24 gravite autour du social, il faut déjà penser que c'est le début d'une opération de marketing politique savamment orchestrée à travers des mesures de soutien hautement populaires. Elle vise principalement les ménages fortement fragilisés par le double effet de la crise pandémique et de la guerre russo-ukrainienne.

Mais aussi ceux de la classe moyenne, prise en sandwich entre la classe aisée et celle au bas de l'échelle, et dont les membres éprouvent, plus aujourd'hui qu'hier, des difficultés à sortir la tête de l'eau. C'est donc un countdown que le ministre a lancé vendredi et qui s'achèvera à pareille époque l'année prochaine par un Budget purement électoraliste, avec une pluie de mesures populistes. Le décor est bien planté.

Pour le reste, on s'y attendait déjà : un Budget à forte coloration sociale. D'abord, pour apaiser la tension issue des ménages endettés jusqu'au cou, qui arrivaient difficilement à dépenser pour leur consommation. Plus particulièrement, face à un pouvoir d'achat qui s'est réduit comme une peau du chagrin au fil des mois, en raison d'une inflation galopante à deux chiffres.

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En y investissant plus de Rs 10 milliards pour financer une palette de mesures sur le front social (nouvelle hausse de Rs 1 000 de la pension de vieillesse, maintien de la CSG allowance de Rs 1 000 aux salariés de moins de Rs 50 000, enveloppe de Rs 20 000 pour les jeunes de 18 ans, réduction symbolique des prix des carburants ou encore la baisse de la TVA sur une quinzaine de produits de consommation), le ministre des Finances a souhaité, comme il souligne dans son discours, rendre «à la population ce qu'elle a donné» au pays en s'appuyant sur les fruits de la reprise économique, avec une croissance de 8 % prévue à l'horizon de l'année 2023/24.

Est ce un aveu de ce qu'on n'a pas suffisamment fait pour cette classe sociale durant les périodes difficiles et qu'on tente à travers ce budget de faire son mea culpa, comme l'a rappelé le leader de l'opposition, Xavier-Luc Duval, dans sa réplique lundi au discours du Budget du ministre ?

Pour autant, ces mesures de protection ne peuvent être balayées d'un revers de main. Elles sont le prix à payer pour obtenir la paix sociale. Cela, même si au fil des années, les bénéfices sociaux ont augmenté considérablement, plus de 16 % par rapport à 2022 et 38 % depuis 2021, pour atteindre plus de Rs 65 milliards en 2023-24.

Si le chiffre peut interpeller les spécialistes et autres politiciens sur la capacité financière de l'Étatprovidence à contenir ces largesses, la classe politique n'ose remettre en cause sa raison d'être dans un contexte de consolidation du fondement économique, sachant que des critiques peuvent ne pas rapporter des dividendes politiques dans une prochaine échéance électorale.

D'ailleurs, les réactions post-budgétaires de l'opposition sont révélatrices d'une constante : le gouvernement aurait pu faire mieux et dispose d'une marge de manoeuvre suffisamment confortable pour le faire.

Or, si la réalité des chiffres offre peut-être une tout autre lecture, notamment pour les spécialistes de la finance, on ne voit pas les dirigeants politiques affirmer le contraire. D'ailleurs, le Country Senior Partner de PwC a raison de souligner dans son interview qu'il sera «difficile pour les futurs gouvernements de renverser cette culture de soutien et de protection sociale».

Depuis vendredi, économistes, fiscalistes et autres experts financiers ont pu décortiquer le quatrième Budget de Padayachy et y trouver un fil conducteur. Car comme on aime le dire en anglais, «the devil is in the details».

Ainsi, on a vite compris que si les mesures à caractère éminemment social vont devoir permettre le rattrapage du pouvoir d'achat chez les ménages financièrement fragiles, le ministre veut aussi surfer sur un retour de confiance chez les consommateurs. Ce qui relancera de facto la consommation des ménages avec l'État engrangeant des recettes fiscales sur les biens et services : plus de Rs 104 milliards en 2023-24, dont Rs 61 milliards venant de la TVA. Une inflation à deux chiffres ne peut que faire exploser les recettes de l'État projetées à Rs 156 milliards.

Sans doute, la mesure-phare de ce Budget reste sans conteste la réforme fiscale, un nouveau régime qualifié de progressif qui est venu remplacer celui de Rama Sithanen, en 2007, d'un taux fixe de 15 %. L'ex-ministre des Finances vantait à l'époque sa nouvelle politique de fiscalité légère pour attirer des investisseurs et autres expatriés. N'empêche que ce régime a été souvent critiqué pour son injustice aux contribuables et son absence d'équité.

Les premières analyses réalisées sur le nouveau régime assorti de 11 tranches, qui épargne déjà ceux qui touchent en moyenne Rs 30 000, démontrent des sentiments mitigés. Si certains spécialistes estiment qu'il est peut-être progressif sous sa forme, ils ne pensent pas qu'il soit réellement progressiste, comme le souligne l'économiste Kugan Parapen.

Eric Ng note dans son analyse plus loin que «les hauts revenus, avec un revenu imposable entre Rs 1 M et Rs 4 M, seront moins taxés sous ce système progressif». Mais le ministre persiste et signe : chacun paiera moins d'impôt qu'il n'en paie aujourd'hui et selon un premier calcul, quelque 30 000 contribuables pourraient être enlevés du registre du fisc.

La cellule d'études et de recherches de l'EDB, Maurice Stratégie, a chiffré cette réforme : la MRA enregistrera un manque à gagner de Rs 3,5 milliards sous l'impôt sur le revenu suivant l'application du nouveau régime, mais qu'avec le dynamisme fiscal qui s'ensuivra, elle récupérera Rs 3,7 milliards. Mieux, la réforme, souligne cette cellule, influera positivement sur la consommation avec une hausse de 2,25 %.

Renganaden Padayachy a certes défini les contours de son dernier Budget avec celui présenté vendredi. Il peut se réjouir d'être associé à une grande réforme économique, comme Vishnu Lutchmeenaradoo et Rama Sithanen dans le passé. Il veut décloisonner l'ascenseur social. Tant mieux. Mais réussira-t-il au terme de son mandat ?

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