Ile Maurice: Perte de USD 40 millions - Pourquoi l'ex-CEO de la SBM P.V. Rao a-t-il pu quitter le pays ?

Cet Indien a exercé des pressions sur toutes les équipes concernées, de même que sur des membres du «board», pour que le prêt de Rs 1,7 milliard soit approuvé le plus vite possible.

Comme s'il savait que NMC Healthcare Ltd allait être démasquée par Muddy Waters deux mois plus tard. Pourtant, il n'a jamais été inquiété. Ce sont les cadres qui en ont fait les frais.

Personne ne savait exactement combien la SBM avait perdu dans l'affaire NMC Healthcare de l'Indien établi à Dubaï, Bavaguthu Raghuram Shetty. On vient de l'apprendre, via un ruling rendu en Cour suprême le 30 mai, «SBM (Mauritius) Bank Ltd v Commissioner of Police» : USD 40 millions, soit Rs 1,7 milliard, ont été déboursées le 11 décembre 2019. L'histoire de cette générosité à un étranger est éloquente. Pourtant, la SBM venait de perdre plusieurs milliards au profit d'autres étrangers, notamment les frères indo-kenyans Pabari en août 2017, et l'autre Indo-Dubaïote Hitesh Mehta, de Renish Petroleum, en juin 2018.

Mais pourquoi cette affaire s'est-elle retrouvée entre les mains de la police ? Il est difficile de penser que c'est la SBM qui l'y a référée, vu sa réticence et même son refus de collaborer avec cette même police. «Il est possible, nous dit-on, que ce soit la compagnie d'assurances vers laquelle s'est tournée la SBM pour obtenir compensation de cette perte.

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L'assureur a dû se rendre compte en voyant le dossier qu'il y avait matière à enquêter plus profondément.» L'autre petite banque qui y a laissé USD 10 M pourrait aussi avoir été celle qui a déposé plainte, vu que c'est la SBM qui a été «the arranger» ou le leader dans cette organisation de «syndicated loan» à NMC Healthcare LLC. Ce qui est certain, c'est que, dans ce cas, la police semble sérieuse et veut mettre la main sur ces documents. Il est vrai que le State Law Office s'y est mêlé, et a pris en charge l'enquête et la poursuite.

Urgence à perdre USD 40 M

Selon nos informations, oui, il y a matière à enquêter. Ce prêt de USD 40 millions aurait été décidé en l'espace de deux semaines seulement. Alors que le petit client mauricien doit parfois attendre des mois pour emprunter Rs 200 000 à la SBM... Tout a commencé par la rencontre - organisée par qui, on le sait - d'Osman Ramdin, un courtier en affaires, avec le Chief Executive Officer (CEO) indien de la SBM de l'époque, Parvataneni Venkateswara Rao, dit P.V., en octobre 2019. Le lendemain même, Rao a convoqué les cadres de l'International Banking Department (IBD) pour leur demander la raison de leur refus du précédent deal avec NMC Healthcare, agencé par la MCB.

Et il a sommé ses cadres de rencontrer Osman Ramdin. Après la rencontre, Rao a proposé de financer NMC à hauteur de USD 75 M, soit Rs 3,5 milliards, puis USD 100 M à travers une syndication de banques locales et étrangères. L'équipe d'IBD est quand même arrivée à terminer sa part de recherches et d'évaluation, et a soumis son rapport au Credit Underwriting Team (CUT), le 11 octobre 2019. À la fin, c'est le montant de USD 40 M de prêt à NMC qui est recommandé comme participation de la SBM à la syndication.

Toujours pressé, Rao a envoyé un mail à la CUT le 14 octobre 2019, lui demandant de soumettre son rapport sur les risques au plus tard le 18 octobre, le jour de la réunion hebdomadaire du Board Credit Committee (BCC) car, a-til dit, une équipe devait prendre l'avion pour Dubaï, le lundi 21 octobre, pour y effectuer une «site visit». L'empressement de Rao est incompréhensible, et c'est le premier problème. S'est-il laissé berner par B. R. Shetty qui savait qu'un rapport accablant allait bientôt sortir sur son groupe ? Rao a-t-il été mis au parfum et a-t-il participé à ce «complot» en connaissance de cause ? Rien d'autre n'explique les pressions qu'il a commencé à exercer.

Le 18 octobre, Rao a exigé de la CUT que le rapport lui soit soumis le lendemain, le 19 octobre, et cela même si c'était un samedi. La responsable ne voulait pas venir travailler un samedi. Rao lui a reproché son insubordination, mais la responsable, qui est une forte tête, ne s'est pas inclinée. Et que lui a répondu Rao ? S'il n'a pas le rapport, pourtant essentiel de la CUT, il s'en passerait. C'est-à-dire que lui, Rao, enverrait la demande au BCC avec la sales note de l'IBD, sans la credit note de la CUT. Ce qu'il a d'ailleurs fait.

Les inspecteurs internes de la SBM relèveront par la suite que Rao «took upon himself to submit the sales note for approval» au BCC, et cela, sans la credit note de la CUT. Rao a adressé, le samedi 19 octobre, un mail aux membres du BCC pour les prévenir de l'absence de la recommandation de la CUT et leur demandant de considérer le dossier dans l'AOB (NdlR, any other business), la demande n'étant pas à l'agenda. Une autre intervention impromptue de Rao

Joyeux lurons

Le BCC est le comité qui approuve tout crédit transfrontalier, entre autres, et était composé, à l'époque, de «joyeux lurons qui ne comprenaient pas tous le domaine bancaire et étaient plus intéressés à participer aux réunions pour les rafraîchissements et autres mondanités qu'à étudier les dossiers. Ils se reposaient sur l'avis du CEO et du chairman». Deuxième problème.

Sauf le chairman Balachandra justement, un autre Indien, qui a été le seul à poser la question à son compatriote Rao : pourquoi n'y a-t-il pas de recommandation de la CUT ? Rao a expliqué que c'était urgent et que c'était parce que l'équipe de la CUT avait refusé de venir travailler le samedi 19 octobre. La CUT, elle, a affirmé que c'était l'IBD qui avait soumis le rapport en retard, soit le 14 octobre. En fait, le rapport avait été adressé à la CUT le 11 octobre. Personne ne retiendra ce mensonge de la CUT, de même que son refus de venir exceptionnellement travailler un samedi. Ni de sa recommandation de financer NMC pour USD 20 M. La responsable sera lavée de tout blâme et vient même, apprend-on, d'obtenir une promotion.

Malgré cette demande cruciale, le BCC a approuvé, mais à condition de prendre en compte la credit note lorsqu'elle sera soumise, le lundi 21 octobre, avant de débourser l'argent par la suite. En attendant, Rao a envoyé la sales note à Andrew Bainbridge, l'ex-CEO de la banque qui agissait alors comme consultant. Le Britannique a approuvé sans hésitation. «S'il avait rejeté la demande, personne n'aurait approuvé», nous dit-on. Pourquoi Bainbridge a-t-il approuvé ? On ne le sait. Pour l'instant.

La CUT a soumis, comme promis, sa credit note le lundi 21 octobre, mais à 15 heures, soit après la réunion du BCC. Toutefois, la CUT n'a recommandé que la moitié de la somme, soit USD 20 M Or, c'est USD 40 M qui seront déboursés le 11 décembre 2019. Qu'est-ce qui s'est passé ? Pourquoi a-t-on passé outre de cette credit note de la CUT ? Qui a décidé de le faire ? Est-ce que le BCC en a fait le suivi lors de sa réunion suivante du 25 octobre ? C'est ici que l'histoire devient floue. Si on avait suivi les recommandations de la CUT, la SBM aurait, certes, quand même perdu de l'argent, mais USD 20 M, au lieu des USD 40 M.

Shopping à Dubaï

Après le rapport de Muddy Waters du 17 décembre 2019 et l'annonce de la faillite de NMC, la SBM se rendra compte que les Rs 1,7 milliard sont déjà perdues. Et ce seront les petites mains de l'IBD qui endosseront la responsabilité. On les accusera, entre autres, d'avoir été invitées par NMC à Dubaï, le 21 octobre. Mais tout le monde était au courant et cette «site visit» faisait partie des procédures de due diligence, telles que prescrites par la SBM et la Banque centrale.

On apprendra que P.V. Rao a aussi rencontré B. R. Shetty au moins deux fois aux Émirats arabes unis avant le déboursement du prêt. Et qu'une autre équipe, dirigée par le département légal, a effectué une visite à Dubaï pour faire signer la paperasse lors du déboursement. Le responsable de cette équipe, R.M., passera plus de temps à faire du shopping pendant des heures qu'à vérifier les documents.

Et lorsque le prêt sera déboursé, nous dit un avocat, ce n'est pas NMC qui remerciera la banque, mais R.M., qui le fera en adressant un mail resté inoubliable à B.R. Shetty, en y insérant une phrase en hindi à la fin : «We thank you 'Dil se' for all the help/assistance provided to all of us for this transaction and also during our stay in Dubai...» C'est-à-dire que nous vous remercions du fond du coeur. Pour les USD 40 M prêtés en pure perte à NMC ?

Élections générales

C'est lui qui a exercé des pressions tout le long et a imposé aux équipes concernées de conclure le deal en 45 jours, alors que cette démarche devrait prendre au moins quatre mois, le temps de parcourir des tonnes de documents et de rédiger des rapports. Pourquoi cet Indien a-t-il pu quitter le pays sans être inquiété le moins du monde ? Il y a même eu un «farewell party» émouvant, réunissant les employés de la SBM et de SBM Holdings. Seule explication : il jouissait d'une protection occulte.

Pourquoi cette protection ? On nous rappelle que l'on était presque à la veille des élections générales du 7 novembre 2019. La SBM était une des entités qui finançaient le plus les campagnes électorales. «Même hors campagne, Rao était celui qui aurait accordé des prêts aux copains et copines qui ont profité du Covid pour faire du business sur le dos de la population.»

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