Ile Maurice: Emmanuel Anquetil Building / Démolition annoncée - Fonctionnaires et visiteurs ne s'imaginent pas aller ailleurs

D'abord les problèmes. Au bâtiment Emmanuel Anquetil, le chapelet de bobos est connu. «Kan ena lapli, enn katastrof.» Entre l'eau qui s'infiltre dans les bureaux et la moquette humide qui insiste lourdement pour faire sentir sa présence, à en croire fonctionnaires et visiteurs, on n'est pas vraiment à son aise dans cet immeuble au coeur de Port-Louis.

Hier, il n'est pas encore 11 heures. La file d'attente a de quoi décourager les plus coriaces devant le bureau de l'État civil. Il y a 20 personnes assises et 25 autres debout, venues pour un certificat de naissance. À l'autre bout du bâtiment, une préposée égrène des numéros : 72, 73, 74. Il faut s'armer de patience devant le bureau de la National Land Transport Authority. Malgré l'attente, Siven se demande : «Si tir sa dan sant porlwi, kot pou al met sa ? Là, c'est bien accessible.»

Pourtant, dès que l'on évoque l'annonce - faite dans le Budget 2023-2024 vendredi - de la destruction du bâtiment Emmanuel Anquetil, on tombe surtout sur des sceptiques et des nostalgiques. Sous couvert de l'anonymat - «mo travay dan gouvernman, konpran mwa», un cadre lance d'un ton définitif : «Si lané prosenn ena eleksion, népli pou koz sa.» De toute façon, «bizin rod sa plas kot pou alé-la».

Mala, avec ses enveloppes rangées dans son despatch book sous le bras, nous dit seulement : «So model ki li été la, sé enn zafer mo lanfans sa. On ne peut pas démolir ce bâtiment.» L'une de ses collègues se verrait pourtant bien au Citadelle Mall, «li pli nef, pli high class». Un préposé qui prend la conversation en cours lance, laconique : «Markégardé.

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Peut-être qu'on va nous envoyer au Sun Trust. Il paraît qu'il y a beaucoup de bureaux vides là-bas...» Le bâtiment sera détruit pour faire place à une mini-forêt, rappelle-t-on. L'ironie monte d'un cran. Le préposé nous assène : «Il y a déjà le Jardin de la Compagnie et il faut le fermer à cause des mauvaises fréquentations.»

«Rant par bann fant»

Au milieu des escaliers, nous tombons sur l'une des employées de la société de nettoyage. La dizaine d'étages n'a pas de secret pour ces petites mains qui ont accès partout. Elle confirme - en présence de collègues - que l'eau de pluie «rant par bann fant». Et que la puanteur de moquette humide à réveiller les morts se fait toujours sentir périodiquement.

«Si fer renovasion sa korek. Krazé non.» Dire que cette catégorie d'employés, qui s'accroche à ce vieux bâtiment, parce qu'il représente leur «pié douri», n'y a pas de mess room... C'est sur un banc, à côté de l'une des entrées de l'Emmanuel Anquetil Building, qu'elles prennent leur repas. Tout en répondant, en même temps, aux visiteurs qui demandent où se trouve tel ou tel bureau.

Historique: le «jumeau» du New Government Centre

Dans le jardinet mal entretenu au centre de l'Emmanuel Anquetil Building, une stèle indique que la plaque commémorative qui s'y trouve a été dévoilée par sir Anerood Jugnauth le vendredi 16 août 1985.

C'est une question parlementaire adressée au Premier ministre (PM) d'alors qui livre des détails sur la genèse de cet immeuble construit en même temps que le New Government Centre. Deux bâtiments qui sont donc «jumeaux», avec des composants d'amiante.

Le PM d'alors indique que la construction du Registrar Building - ou Emmanuel Anquetil Building - prendra fin en août 1979. Les architectes des deux immeubles sont Fry, Drew, Knight and Creamer. Les Quantity Surveyors sont Davson and Ward et les ingénieurs Drake and Scull.

Au moment de l'allocation des contrats, le montant des soumissions était de Rs 105 millions. Le constructeur est Laxmanbhai and Co. La réponse du PM d'alors précise que la somme à payer à Laxmanbhai dépassera les Rs 182 millions, soit une différence de Rs 77 millions.

À cette époque, le Registrar Building comprend neuf étages. Au rez-de-chaussée se trouve un parking pouvant alors accueillir 74 voitures. Le premier étage devait en principe abriter une galerie pour les archives nationales.

Auparavant, l'emplacement du Registrar Building était occupé par un bâtiment en pierre, qui abritait les archives de Maurice. C'était avant le déménagement des archives vers la zone industrielle à Coromandel. À sa construction, le Registrar Building fait plus de 280 000 pieds.

Moins de 500 fonctionnaires en poste

Combien de fonctionnaires occupent la dizaine d'étages de l'immeuble voué à la destruction ? Narendranath Gopee, président de la Federation of Civil Service Unions, estime qu'ils sont «moins de 500». Ces cadres sont répartis entre des départements des ministères des Finances, de la Santé, des Administrations régionales, le Registrar General, le bureau de l'État civil, de la National Land Transport Authority, la poste, entre autres.

Amiante

Un vieux problème En 2010, la présence d'amiante dans le bâtiment Emmanuel Anquetil est confirmée par le Mauritius Standards Bureau. Les échantillons d'une cloison qui lui ont été remis ont été envoyés aux Cavendish Laboratories, une institution britannique. Laboratoire qui a indiqué qu'il y a bien trois types de fibres dans le bâtiment.

Temps forts: incendie, grève, moquette qui pue etc

22 avril 1994 : Le syndicaliste Rashid Imrith, aujourd'hui disparu, explique que le département administratif du Registrar of Companies a déménagé de l'Emmanuel Anquetil Building pour s'installer au Bacha Building. Il précise que l'État doit verser une location de Rs 4 millions aux propriétaires du Bacha Building pendant 20 ans.

29 septembre 2004 : Les cadres travaillant au bâtiment Emmanuel Anquetil sont rentrés plus tôt à cause des étincelles émanant d'un fil électrique. Le courant a dû être coupé.

27 janvier 2006 : Sit-in des cadres du ministère de la Santé au bâtiment Emmanuel Anquetil. Ils déplorent : des toilettes qui fuient, la moquette qui dégage une odeur nauséabonde, la mauvaise climatisation des bureaux, les locaux exigus et la fourniture d'eau irrégulière.

4 avril 2013 : Après de fortes pluies, l'eau s'accumule dans le parking et des bureaux. L'immeuble, sans électricité, reste inaccessible pendant plusieurs jours.

17 mai 2013 : Rashid Imrith, alors président de la Fédération syndicale du service public, entame une grève de la faim au bâtiment Emmanuel Anquetil. Il proteste contre un énième report du rapport du PRB concernant les «Errors and Omissions».

11 mars 2016 : Déménagement du ministère de la Jeunesse et des sports de l'Emmanuel Anquetil Building vers le Citadelle Mall. La délocalisation du ministère des Finances pour la Sicom Tower à Ébène est suspendue.

21 mars 2017 : Manif des employés du Registrar General's Department. Ils sont contre la transition sous tutelle de la Mauritius Revenue Authority.

15 mai 2017 : Système informatique en panne au Registrar General's Office. Les bureaux ferment pour la journée.

29 août 2019 : Inauguration de la nouvelle salle pour célébrer les mariages civils, au rez-de-chaussée. Elle a coûté Rs 7,3 millions.

9 juin 2021 : Une fonctionnaire se jette du 10e étage. Elle était employée comme office executive au ministère de la Santé.

18 novembre 2021 : Explosion d'une bonbonne de gaz et incendie à l'Emmanuel Anquetil Building.

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