Afrique de l'Ouest: Le Burkina Faso et le Mali, ou la mauvaise conscience des autorités nigériennes

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Comme si le front de la lutte contre le terrorisme ne suffisait pas, le Burkina Faso et le Mali doivent aussi essuyer des salves qui partent des moyens de communication les plus divers.

Lorsqu'elles sont le fait du chef d'Etat-major d'une armée et de son chef de l'Etat contre deux autres Etats, cela est assez inhabituel. En l'occurrence, il s'agit du chef d'Etat-major de l'armée nigérienne, le général Abou Tarka et du chef de l'Etat nigérien, Mohamed Bazoum.

L'autre fait remarquable c'est l'organe de presse qui s'est offert en tribune à ce dernier. Il s'agit de Jeune Afrique, qui aurait pu devenir un mythe s'il n'avait pas renié l'idéal de son fondateur. En effet, ce magazine, fondé en France par un Africain au début des années 1960 pour porter la voix d'une Afrique qui entrait dans le concert des nations modernes, semble avoir abandonné son projet après la disparition de son fondateur ; comme il en va de tous les Africains de la deuxième génération, nés en Europe et ailleurs, qui se coupent de leurs origines.

Ledit magazine se prête d'autant mieux à une entreprise d'intoxication que son projet initial lui sert de couverture, mais celle-ci n'est plus qu'un masque. En fin de compte, loin d'avoir rendu service au Président Mohamed Bazoum, il l'a desservi tout en ternissant davantage sa propre image. L'on écoute, éberlué, ces diatribes venant des autorités d'un pays voisin qu'on dirait frère, confronté au même péril. Quand on en revient, on s'interroge. Mais avant d'évoquer les raisons probables, un rappel est nécessaire.

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Le discours du chef d'Etat-major des forces armées nigériennes (intégral) « Les autorités maliennes et burkinabé se sont isolées de la communauté internationale. Ils ne reçoivent plus aucun soutien, ni militaire, ni financier. Elles se gargarisent de slogans creux et font la guerre à coups de propagande sur les réseaux sociaux. Le réveil ne sera que plus douloureux. Pour notre part, le président de la république a fait le choix de faire appel à nos alliés, Français, Allemands, Américains, Italiens, Espagnols, mais aussi, nos alliés africains au sein de la CEDEAO, de l'Union africaine, des agences des Nations unies. Tous se mobilisent à nos côtés sous notre direction.

Ceux-ci comprennent que c'est à nous de mener cette guerre. Ils viennent seulement en soutien là où nous en avons besoin. Si nous échouons, l'échec sera essentiellement le nôtre et non celui de nos alliés. Et si nous réussissons à protéger notre pays et à le reconstruire, nous l'aurons fait en toute souveraineté. »

Extrait de l'interview du chef de l'Etat nigérien

Dans son interview au magazine Jeune Afrique, le chef de l'Etat Mohamed Bazoum a tenu un propos qui, à lui seul, est significatif de la légèreté des considérations invoquées.

Question J. A. : « La levée de volontaires civils, est-ce que ça peut être fonctionnel ? »

Réponse : « Si c'était fonctionnel, cela aurait été notre action propre. Ces terroristes, ils sont plus forts que nos armées, plus aguerris que nos armées, et des civils ne peuvent pas leur faire face. Quand vous donnez des armes à des civils, vous êtes exposé à deux types de risques : le risque qu'ils soient une proie que les terroristes viseraient délibérément avec des intentions cruelles ; l'autre risque c'est que, ils ne sont pas militaires, vous n'avez aucune idée de leur moralité individuellement, vous donnez à des civils que vous ne connaissez pratiquement pas, des armes et vous les lâchez dans la nature, et ils peuvent en abuser.

Malheureusement aujourd'hui on en voit le résultat. » A remarquer d'entrée, une contradiction : alors que le chef d'Etat-major reconnaît que c'est à l'armée nigérienne (puisque les civils n'y prennent pas part) « de mener cette guerre », le chef de l'Etat déclare que les terroristes sont plus forts, plus aguerris que cette armée. Comment peut-elle l'emporter, avec seulement du « soutien ». Quels commentaires relative-ment succincts, à mon humble niveau, peut-on faire ? Quelle aide les autres membres de la CEDEAO et de l'Union africaine ont apportée au Burkina Faso et au Mali ?

Ces institutions feraient-elles de la discri-mination dans les aides ? Si l'on peut justifier leur refus par le fait que ces deux Etats sont dirigés par des militaires, la guerre a débuté sous des régimes civils : au Mali, sept ans avec Ibrahim Boubacar Keïta ; au Burkina Faso, six ans avec Roch Marc Christian Kaboré. Ni l'un ni l'autre n'ont reçu une aide quelconque. Quant aux Etats membres de l'Union européenne, généralement, c'est le recrutement de civils volontaires qui ferait obstacle à leur aide militaire.

Là de même, l'argument opposé à l'aide discriminatoire de la CEDEAO (si elle est avérée), peut être émis : sous Roch Marc Christian Kaboré, la guerre a duré six années. Jusqu'à plus ample informé, aucune aide en armement venant d'un membre de l'U.E. n'a été portée à la connaissance des Burkinabè. Quel était alors l'obstacle ? Quant aux agences des Nations unies, aucune n'a annoncé suspendre ses interventions au Burkina Faso, puisqu'il ne s'agit pas d'aide militaire. Alors, si vouloir assumer soi-même la défense de son territoire doit vous valoir d'être sanctionné, figurez-vous autrement que comme de grands-enfants qui joueraient avec le feu, et qu'il faut laisser en faire la douloureuse expérience ?

En tout état de cause, le chef de l'Etat burkinabè, l'armée et les volontaires qui se sont engagés par dizaines de milliers pour la défense de la patrie, ont pris le risque, selon toute vraisemblance, soit de périr individuellement, soit, collectivement, de réduire la capacité de nuisance de l'ennemi à un niveau tel qu'il y réfléchirait par deux fois avant de réengager les hostilités. En attendant, le peuple burkinabè n'aurait plus seulement qu'une dizaine ou une vingtaine de milliers de militaires mobilisables, mais plus d'une cinquantaine de milliers de combattants en plus, tous aguerris.

Car, comment 20 millions d'habitants, qui se veulent dignes, pourraient-ils vaquer sereinement à leurs occupations et laisser à un millième (au plus) d'entre eux, le soin de défendre leur sécurité et leur territoire, au risque de se voir dépossédés de celui-ci, et de se retrouver sous l'empire d'un califat d'un autre âge et d'une contrée lointaine ? Aucune guerre ne se gagne sans pertes, pas seulement de volontaires, mais aussi de militaires aguerris, et même de civils, sans armes, visés « délibérément avec des intentions cruelles ».

Nous ajouterons même que ces civils ne sont pas pris dans le viseur d'une arme comme le sont les volontaires et les militaires, ils sont exécutés, froidement, par des méthodes d'une barbarie que l'on croyait à jamais révolue. Alors, que choisir ? Apprendre à se battre avec au moins 50% de chances de gagner la guerre, ou fuir, en abandonnant la terre que les ancêtres ont léguée, qu'eux se seraient battus pour conserver ?

L'honneur et la dignité se défendent, comme l'espace vital. L'enjeu dans toute guerre est de la remporter, en faisant le moins de pertes possibles, mais pas sans la moindre perte. Enfin, une "sainte" écriture dit : « Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. » Ici, il ne s'agit pas d'aller au front en martyr, mais de relever le défi de l'ennemi comme preuve d'amour pour sa patrie et les siens, et revenir en héros.

Les motivations

Les deux sorties, objet de la présente tribune, malheureuses pour le moins, dissimulent mal la mauvaise conscience que sont pour leurs auteurs, les chefs d'Etat burkinabè Ibrahim Traoré et malien Assimi Goïta. Eux ils ont fait un pari qu'elles, autorités militaire et politique nigériennes au sommet, n'ont pas osé faire. Une décision courageuse qui fera assurément date dans l'histoire.

La mauvaise conscience du général Abou Tarka et du chef de l'Etat Mohamed Bazoum nous semble transpirer à travers les deux objectifs suivants : Le premier objectif est une auto-justification Quand on a accepté d'accueillir une force étrangère que deux voisins ont rejetée pour insuffisance de résultats, il faut tenter de convaincre ceux qui veulent y croire que ce rejet s'est soldé par un échec et que le Niger a fait le bon choix. Les premiers se seraient isolés, abandonnés de tous, tandis que le Niger serait entouré de tous, recevant d'eux appuis militaires et financiers.

Comme si ces nombreux alliés étaient les seuls pourvoyeurs d'appuis au monde. Pourtant, le Président Bazoum a achevé son interview avec une information qui, même si elle n'avait pas de rapport avec sa diatribe ci-dessus, aurait dû lui inspirer plus de retenue. En effet, il a fait remarquer que la superficie du Niger est de six fois celle du Burkina Faso. Or, le Niger a 1,267 million km2 et le Burkina Faso 274 mille km2, et peuplés respectivement de 26 millions et 20 millions d'habitants ; donc en pourcentages le Burkina Faso c'est seulement 21,6 % de la superficie du Niger, avec une population qui représente 76,9% de celle du Niger.

Si l'on peut comprendre que ce dernier ait nécessairement besoin d'aide extérieure pour couvrir une telle étendue de territoire quand de surcroît l'armée est faible et peu aguerrie (dixit), l'on peut également comprendre que le Burkina Faso, toutes proportions gardées, puisse engager le pari de s'en passer, toute autre considération mise à part. C'est qu'à un moment où il commence à souffler en Afrique, y compris dans le peuple nigérien, une brise d'indépendance véritable, l'entreprise est risquée. Aussi, tout doit-il être mis en oeuvre pour convaincre que là où elle souffle, « le réveil sera douloureux ». A croire que les autorités nigériennes disposent d'une boule de cristal où elles lisent les lendemains des uns et des autres.

Le second objectif c'est l'absolution

On ne peut tenir rigueur à celui qui n'a pas appris de ne pas savoir. Mais lorsque le professionnel aguerri dans le métier des armes, nanti de toutes sortes d'armements jusqu'aux plus sophistiqués, est appelé sur un théâtre d'opérations et ne produit pas de résultats, celui qui s'était attaché ses services mérite-t-il des imprécations lorsqu'il se résout à s'en séparer ? Les armées burkinabè et malienne ne demandaient pas non plus que la (ou les) force(s) étrangère(s) se batte(nt) à leur place.

Elles avaient seulement besoin de renseignements. Puisque l'avantage que les terroristes ont sur les armées régulières c'est l'effet de surprise (attaques et embuscades), la première et meilleure arme dans ces conditions était celle qui permettait d'annihiler cet effet. Quel intérêt y aurait-il eu à mettre fin, avant que l'objectif ne soit atteint, à des contrats d'assistance produisant des résultats ?

Cependant, le chef d'Etat-major de l'armée nigérienne et le chef de l'Etat lui-même ont entrepris de laver à la place des offensés, ce qui est considéré comme un affront et, à titre de réparation, de s'attacher les services de leurs forces. Pour justifier une option, est-il besoin de s'en prendre aussi gratuitement aux autres qui n'y voient plus d'intérêt ? Comme le crachat en l'air retombe en plein visage de son auteur, la vérité est trop au-dessus du mensonge pour qu'il l'atteigne. L'Histoire rend toujours justice à l'une aux dépens de l'autre.

Les enseignements

Cette guerre contre le terrorisme qui s'est abattue sur les Burkinabè (et les Maliens) comme un cataclysme leur aura ouvert les yeux sur au moins deux choses : La première c'est qu'un Etat n'est fort ou faible que pour autant que son peuple est l'un ou l'autre. La force ne survient pas par hasard. Celle-ci est de tradition. Et les traditions se forgent et se pérennisent, pour autant qu'elles sont une force qui protège.

Il y a eu des peuples guerriers, conquérants souvent, et c'est ainsi que d'autres ont été envahis, dominés, et ont perdu non seulement leur espace vital, mais aussi leur culture, jusqu'à leur langue. Et c'est précisément le projet des forces obscurantistes aujourd'hui, après les puissances colonisatrices hier. Toute puissance politique a obligatoirement vocation à devenir une puissance économique et inversement.

Et la puissance politique et économique devient, par contrainte, une puissance militaire. Mieux, c'est la puissance militaire qui a souvent induit les deux autres formes de puissance. Enfin, l'indépendance est inconcevable dans un Etat politiquement, économiquement et militairement sous la domination d'un autre. Si l'on ne peut reprocher à l'un de préférer la domination déguisée en assistance, l'on serait malvenu de reprocher à l'autre de se vouloir indépendant. La seconde chose, c'est que l'on ne connaît ses véritables amis que dans l'adversité (selon l'adage), surtout quand elle est des pires qui puissent être imaginées.

Que vous ne soyez pas aidés de ceux qui n'ont pas d'amis et n'ont que des intérêts ; qui sont même capables de laisser vos ennemis vous affaiblir pour justifier leur présence envahissante, cela n'est pas fait pour étonner. L'Afrique les subit depuis le XVème siècle avec l'esclavage. Plus surprenant, c'est lorsque des regroupements d'Etats, ayant pour projet de s'unir pour être plus résilients face à ceux qui n'ont jamais renoncé à les soumettre tous politiquement, économiquement et culturellement, ne lèvent pas le petit doigt pour une quelconque aide concrète.

Le comble, c'est lorsque certains condamnent d'autres qui, en toute souveraineté, décident de prendre leur destin en main. Est-il encore loin, le jour où une masse critique d'Africains trouvera plus d'intérêt à l'union qui fait la force qu'à la singularité qui rend impuissant face à ces ogres dominateurs, qui ont le génie de savoir diviser pour continuer d'accaparer.

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